Qualifié pour les Jeux olympiques 2024, le judoka nigérien Ismaël Alahassane se rendra à Paris avec son entraîneur et frère aîné, Abdou, qui avait déjà disputé une Olympiade à Athènes. Une histoire de famille qui se répète et permet au judo de se faire une place au Niger.
Par Romain Molina
« Il m’avait lancé un défi petit :’Fais plus que moi !’ Je lui ai répondu d’accord, je ferai davantage. » Ismaël Alhassane rigole. Après une longue journée d’entraînement, le judoka raconte son parcours entremêlé avec celui de son frère, Abdou. « Il était un modèle, évidemment », concède-t-il. « Sauf que je n’ai pas commencé par le judo, je jouais au football enfant. J’étais un milieu offensif, technique (sourire). Lorsque j’étais en CM2, ma famille a voulu m’envoyer dans un centre de formation au Ghana. Or, il y avait des soucis pour continuer l’école là-bas, donc ils n’ont pas voulu. »
Resté au Niger, Ismaël découvre les dojos et la passion de son frère qui lui inculque les bases. Ancien champion national, triple médaillé africain (argent en 2005, bronze en 2004 et 2006), Abdou Alassane fut le premier judoka nigérien à se qualifier pour les Jeux Olympiques. Défait en seizièmes de finale, puis en repêchage par l’Espagnol Oscar Penas, son parcours inspira toutefois énormément de jeunes à Niamey, dont son frère cadet. « J’ai tout fait pour le surpasser », s’esclaffe Ismaël. « Je m’entraînais tous les jours, souvent dans un club différent à chaque fois avec un programme spécial. J’avais un objectif en tête, donc je n’allais rien lâcher. »
« Il y a des nuits où je n’arrivais pas à dormir car mon corps me faisait mal »
Pionnier de la discipline à l’échelle internationale, Abdou a embrassé immédiatement une carrière d’entraîneur après sa retraite des tatamis. Reconnu, il accompagna les espoirs nigériens comme Ahmed Goumar, qualifié pour les Jeux de Rio en 2016. « Les moyens nous manquent, mais on a du talent », estime Ismaël. « Il y a une culture judo au Niger avec de nombreux athlètes de bon niveau. Après le taekwondo, le judo est probablement la discipline d’art martial la plus développée chez nous. »
Grâce à Issoufou Alfaga, médaillé d’argent à Rio et champion du monde en 2017, le taekwondo s’est bâti une aura incomparable à Niamey. Cependant, la régularité des judokas nigériens a permis l’émergence de clubs et dojos à travers la capitale pour structurer une discipline attirant de plus en plus de pratiquants. « Ça n’a jamais été un frein de m’entraîner au pays », assure Ismaël. « Par contre, les expériences à l’étranger et les voyages m’ont permis de découvrir d’autres choses. »
Devenu l’un des meilleurs combattants continentaux en moins de 66 kilos – comme son frère -, il glana la médaille de bronze de l’African Open de Yaoundé en 2019. Une reconnaissance suivie de plusieurs récompenses les années suivantes (l’or à l’African Open de Dakar en 2022, l’argent à l’African Open d’Abidjan en 2024). « J’ai sacrifié beaucoup de choses pour en arriver là. Les gens ne voient jamais ce qu’on vit au quotidien. Pour eux, si tu as foiré, tu as foiré. Ils n’ont pas conscience des blessures, des nuits où je n’arrivais pas à dormir car mon corps me faisait mal, du fait que j’ai déjà dû m’entraîner trois fois par jour et que dès 6 heures du matin, je suis sur la route. Tous les efforts, le fait de vire loin de ma famille, des miens… »
L’amertume des Jeux de Tokyo
Présent aux Jeux de Tokyo, Ismaël était le seul judoka parmi les sept athlètes nigériens qualifiés. Un moment forcément unique dans une carrière, a fortiori au Japon. « C’était une grosse, grosse pression », avoue-t-il. « Représenter tout un pays, porter aussi haut le drapeau d’un pays… Mon coach me disait que ça allait être autre chose, que ce n’était pas comparable. Pourtant, j’avais combattu dans tous les championnats du monde. Il me répétait que les Jeux, c’était différent, que ça n’avait rien à voir. »
Opposé au Français Kilian Le Blouch au premier tour, Ismaël Alhassane s’inclina à neuf secondes du terme pour un troisième shido (ndlr, une pénalité) synonyme de défaite. « C’était très, très serré… Je ne me suis pas vu inférieur. Par contre, mentalement, ça a été un combat différent. Il refusait parfois de combattre et l’arbitre m’a attribué un shido qui devait lui revenir selon moi. Ça n’a pas été facile de se relever de cette expérience, j’étais dégoûté. »
Après une période de latence, le Nigérien retrouva les tatamis et obtint une bourse pour parfaire son entraînement en France après une expérience de près de trois mois en Hongrie. « Avec d’autres athlètes africains, on a bénéficié d’un stage à Budapest à côté de la Fédération internationale de judo. Ensuite, j’ai eu cette possibilité de venir en France. C’était très important pour ma préparation et pour m’améliorer techniquement surtout. »
Fini le problème de visa
Au Centre Régional Jeunesse et Sport Petit-Couronne, il dispose d’un entraîneur français en plus de son frère, resté au pays pour s’occuper des espoirs nigériens. « Il sera là pour les Jeux », sourit-il. « C’est une énorme fierté, surtout pour les parents. Depuis que j’habite loin, on s’appelle tous les jours et même ça n’a pas toujours été évident, ça valait le coup. J’ai vaincu les doutes, le fait de ne pas pouvoir me rendre au championnat d’Afrique au Maroc l’an dernier à cause d’un problème de visa lorsque les frontières du Niger étaient fermées… Puis, finalement, revenir cette année et me qualifier pour Paris, c’est incroyable. »
Mieux préparé, plus obligé de perdre le poids nécessaire trois ou quatre jours avant la fatidique pesée - « auparavant, on avait l’habitude de faire comme ça mais ce n’était pas bon pour la santé » - Ismaël Alhassane compte désormais dépasser son frère aîné en devenant le premier judoka nigérien à gagner un combat aux Jeux. Histoire de tenir la promesse faite lorsqu’il était enfant dans un dojo de Niamey.