De l’or olympique avec l’Equipe de France de rugby à 7 à une quête intime de ses racines nigérianes, Aaron Grandidier-Nkanang incarne un parcours hors norme. Né à Londres d’une mère française et d’un père nigérian, ce champion au talent explosif raconte comment le sport, la musique et la mode l’accompagnent dans sa reconnexion à une identité riche et multiple, portée avec fierté.
Sport News Africa : Dès votre plus jeune âge, rêviez-vous de devenir athlète de haut niveau. Qu’est-ce qui a allumé cette flamme en vous, et qui ou quoi vous a inspiré à persévérer ?
Aaron Grandidier-Nkanang : Le sport a toujours fait partie de ma vie. Dès l’enfance, je passais mes journées à faire du vélo, courir, jouer au basket... C’était un mode de vie encouragé par mes parents, même s’ils n’avaient pas eux-mêmes pratiqué de sports collectifs. Au lycée, tout s’est intensifié. Mon coach de rugby et mes meilleurs amis ont été déterminants. Ils m’ont poussé à croire en moi, à me donner les moyens. C’est là que le rêve a commencé à devenir un vrai projet.
Vous avez pris l’initiative d’envoyer une vidéo de vos skills à des agents français après avoir été ignoré en Angleterre. D’où vous est venue cette audace, et comment avez-vous géré les doutes ou les incertitudes à ce moment-là ?
Aaron Grandidier-Nkanang : À ce moment-là, j’étais certain que je voulais être rugbyman professionnel. En Angleterre, on ne croyait pas en mon profil et je me suis dit que la France allait être mon « Last shot » entre guillemets. Je savais absolument ce que je voulais, et pour moi c’était la solution qui allait me l’apporter donc j’ai foncé sans hésitation, fait un montage de mes skills et je l’ai envoyé à des agents. C’était instinctif. Je n’avais aucun doute : c’était ça ou rien.
Passer de Londres à Brive a dû être un choc culturel non ? Comment un « Anglais » se retrouve dans le Sud-Ouest ?
Aaron Grandidier-Nkanang : Honnêtement, oui, c’était un vrai changement. Je venais d’une métropole cosmopolite pour m’installer dans une petite ville du sud-ouest, avec une autre mentalité, un autre rythme. Il y a eu des moments de doute, des périodes où j’avais l’impression de stagner. Mais mon intégration en équipe de France de rugby à 7 a tout changé. Ça a ravivé la flamme. L’objectif Paris 2024 m’a donné un nouveau cap.
« Les JO ont montré l’impact qu’on peut avoir en tant que sportif »
Justement, en l'espace de quelques années, vous êtes passé d’un jeune joueur à Brive à champion olympique de rugby à 7 lors des JO de Paris 2024. Quels ont été les moments clés ou les sacrifices qui ont marqué ce chemin vers l’or ?
Aaron Grandidier-Nkanang : C’était en cinq ans, oui effectivement. C’était un sacré parcours pour moi. Les moments clés sont le tournoi d’Hong Kong en 2022, où je marque 11 essais et égalise, le record du nombre d’essais marqués dans un tournoi de rugby à 7. Ce tournoi m’a permis de comprendre que j’avais la capacité de réaliser des grandes choses, et il m’a offert la confiance de me dire que je pourrais peut être, devenir un des meilleurs joueurs de cette discipline.
Le rugby à 7 est un sport exigeant et spectaculaire. Qu’est-ce qui vous a attiré dans cette discipline, et comment reflète-t-elle votre personnalité ou vos valeurs ?
Aaron Grandidier-Nkanang : C’est une discipline spectaculaire, exigeante, physique et mentale. Ce qui m’a attiré, c’est que je sentais que je pouvais vraiment m’exprimer sur le terrain dans le rugby à 7. Tous les skills individuels sont mis sous pression que ça soit des passes plus longues ou des duels, un contre un... C’est du pur engagement. Il y a aussi l’ambiance : la musique dans les stades, les tournois dans le monde entier. Je trouve que cette discipline colle avec ma personnalité, Le rugby à 7 est explosif, libre, créatif.
En tant que champion olympique, vous êtes un modèle pour beaucoup. Comment gérez-vous cette responsabilité, et quel impact souhaitez-vous avoir sur les générations futures ?
Aaron Grandidier-Nkanang : Après les Jeux Olympiques, on a eu beaucoup de personnes qui nous ont dit qu’ils ont pleuré devant l’écran devant la finale et ça montre l’impact qu’on peut avoir en tant que sportif. Ça montre les émotions via le sport qu’on est capable de faire vivre aux gens. Si après avoir regardé notre finale ça donne envie aux gens d’essayer le rugby, je pense qu’on aurait tout gagné et que ce soit des adultes, des filles des garçons, je pense que c’est la chose la plus belle qu’on puisse faire pour notre sport. Donner aux gens l’envie de jouer, l’envie de faire du sport.
« J’ai insisté pour porter les deux noms sur mon maillot »
Vos noms, Grandidier et Nkanang, semblent porter une histoire riche. Que représentent-ils pour vous, et comment vous connectent-ils à vos origines française et nigériane ?
Aaron Grandidier-Nkanang : Bien sûr, c’est les noms de mes deux parents donc ça compte énormément pour moi. J’ai insisté pour porter les deux sur mon maillot. Forcément on pense de suite à Grandidier parce que au final j’ai choisi de jouer pour la France qui est le pays de ma mère mais Nkanang le nom de mon père me rattache à notre héritage africain qui est très important.
Vous êtes né à Londres, d’une mère française et d’un père nigérian. Comment avez-vous navigué entre ces identités multiples en grandissant, et quelle était votre perception de « qui vous étiez » à l’époque ?
Aaron Grandidier-Nkanang : Je pense que pour beaucoup de personnes métissées, on traverse des périodes un peu compliquées parce que on est trop noir pour être blanc et trop blanc pour être noir. Je trouve que parfois on peut se sentir un peu seul et un peu perdu concernant qui on est. On peut essayer de se rapprocher d’un côté ou de l’autre comme des caméléons pour essayer de s’adapter. Mais aujourd’hui je suis fier d’être ce mélange de plein de cultures différentes qui font qui je suis.
Récemment il y a eu un événement qui a déclenché pas mal de choses chez vous, votre rencontre à l’Élysée avec le président nigérian. Pouvez-vous nous raconter ce moment et ce qu’il a éveillé en vous ?
Aaron Grandidier-Nkanang : Au début même mon père n’y croyait pas. Comme si je n’étais pas légitime ou que c’était une arnaque (Rire). J’ai même appelé le secrétariat de l’Élysée pour être sûr que ce ne soit pas un 419 comme disait mon père ! C’était un moment très particulier, de partager un moment avec de nombreuses de personnes de la diaspora nigériane, des gens comme moi qui n’ont pas forcément grandi au Nigeria, mais qui ont un fort lien avec le pays. Ça m’a fait aussi comprendre que j’étais beaucoup trop loin de cette culture et que je ne connaissais pas assez de choses sur un de mes pays d’origine. Un pays qui est très riche en culture que ça soit la musique, les arts et le sport. C’est vraiment cette soirée-là qui a réveillé cette envie de découvrir le pays de mon père et d’en connaître un peu plus sur qui j’étais.
« J’ai l’impression qu’il me manque quelque chose »
Vous parlez de ne pas être « tout à fait anglais, ni français, ni nigérian ». Comment définiriez-vous votre identité aujourd’hui, et comment cette réflexion évolue-t-elle avec votre projet de reconnexion à vos racines ?
Aaron Grandidier-Nkanang : Je pense que ce serait trop dur de me mettre dans une case, j’ai grandi en Angleterre, j’habite maintenant en France ma mère est française et mon père est nigérian. Je suis ce mélange de pays et de cultures et je pense que c’est une grande force. Mais aujourd’hui je me rends compte que je n'en connais pas assez sur mon héritage nigérian, et c’est pour ça que ce projet de reconnexion est important pour moi. J’ai vécu en Angleterre. Je vis en France et toute la partie nigériane. Elle est venue de mon père qui est pas forcément très connecté avec le Nigeria non plus. Donc j’ai l’impression qu’il me manque quelque chose, j’ai envie de découvrir toutes les belles choses que cette culture peut m’offrir et apporter et j’ai envie de redonner ce que je peux à cette culture, ce pays aussi.
Qu’espérez-vous découvrir ou ressentir en explorant vos racines paternelles nigérianes à travers ce voyage que vous avez en projet ?
Aaron Grandidier-Nkanang : J’ai envie de découvrir leur culture, plus profondément. La cuisine, le sport, la musique, la mode tout cela est important pour moi. Je veux me nourrir de ces expériences pour continuer à grandir en tant qu’homme. J’ai envie de ressentir du rattachement à ce pays, comprendre ce que mes ancêtres ont vécu et ce que certains membres de ma famille vivent toujours.
Vous avez choisi trois prismes pour explorer vos racines nigérianes : le sport, la mode et la musique. Pourquoi ces trois domaines, et comment pensez-vous qu’ils vous aideront à mieux comprendre votre histoire ?
Aaron Grandidier-Nkanang : J’ai choisi ces trois domaines, parce que qu'ils comptent énormément pour moi et trois domaines où le Nigeria est brillant. Le sport a toujours été omniprésent au Nigeria et j’aimerais beaucoup faire un partage d’expériences avec d’autres sportifs type Michael Olise (nous venons du même quartier de Londres) ou un joueur de l’équipe du Nigeria, discuter et débattre et donner envie. Le sport a été mon levier de réussite, ce qui a rendu mon rêve possible. Ma soeur est chanteuse aussi (AmieBluu, ndlr), le lien avec la musique pour moi, pour elle est très fort. Aujourd’hui le Nigeria est un pays incontournable quand on parle de musique internationale et la musique est une de mes passions et une partie très importante de ma vie.
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La mode, car la mode est omniprésente en Afrique et prend de plus en plus de place. Je trouve que le joueur de NFL Jeremiah Owusu-Koramoah d’origine ghanéenne est inspirant. Il rend hommage à ses origines en arborant des tissus traditionnels d’Afrique subsaharienne avant chaque match. J’aime beaucoup ces créateurs également : Adebayo Oke-Lawal de Orange Culture Nigeria qu’on a vu briller au Met Gala avec Bryan Tyree Henry, ou Lisa Folawiyo Studio avec son inspiration foot, j’adore vraiment, j’espère pouvoir les rencontrer. J’ai envie d’apprendre sur tous ces sujets.
En quoi le sport, qui a été le moteur de votre réussite, peut-il servir de pont pour vous connecter à la culture nigériane ? A travers ce projet, quel message universel espérez-vous transmettre à ceux qui suivront votre démarche, en particulier les jeunes issus de cultures multiples ?
Aaron Grandidier-Nkanang : De par mes succès sportifs, j’ai pu vivre des moments incroyables mais aussi très difficiles. Je pense que ces expériences de vie font que je suis légitime d'avoir des discussions profonde avec les gens que je pourrais rencontrer. Que je pourrais peut-être les inspirer, mais en même temps m’inspirer de leur chemin est les difficultés et succès qu’ils ont pou avoir aussi. Croire en ses rêves, se donner la force pour y parvenir et que le sport est un acteur culturel, continuer d’inspirer pour que de plus en plus de personnes, petites filles garçons se mettent au sport cela a été un levier de réussite dans mon cas !
A travers ce projet, quel message universel espérez-vous transmettre à ceux qui suivront votre démarche, en particulier les jeunes issus de cultures multiples ?
Aaron Grandidier-Nkanang : Pour moi le message est très simple, on a tous besoin de savoir d’où l’on vient pour comprendre qui nous sommes. Notre héritage est une force, pas un poids. Quue notre héritage fait partie de la personne qu’on est, et c’est important de connaître d’où on vient pour savoir où on veut aller.