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«Maître Chaka», 30 ans de prédation sexuelle dans le taekwondo au Gabon

Après le scandale d'abus sexuels et viols sur mineurs qui a éclaté au sein du football gabonais avec l'arrestation de Patrick Assoumou Eyi, les langues se délient. La rédaction de Sport News Africa a été contactée par plusieurs anciens disciples, qui pointent du doigt un formateur de taekwondo. Martin Avera, surnommé «Maître Chaka», est accusé d'attouchements sur mineurs, chantages sexuels et autres viols. Des actes qui auraient débuté à la fin des années 80. Enquête.

Maître Chaka, Martin Avera de son vrai nom.

De Libreville à Port-Gentil, nombreux sont ceux qui connaissent son nom, tout comme ses pratiques. Pourtant, Martin Avera, plus connu sous le surnom de «Maître Chaka» n'a jamais été inquiété pendant plus de 30 ans. «Dans le quartier de Louis à Libreville où je résidais, tout le monde savait. Les voisins savaient mais n'ont jamais rien fait», confie Mathias*, ancien discipline et surtout victime de l’ancien instructeur du Lycée Léon Mba et des Clubs Ecoles des Champions de Libreville. Si ce jeune homme désormais la vingtaine bien passée, a enfin eu le courage de parler, c'est pour dénoncer celui qu'il pensait être un mentor. Agé de 15 ans au moment des faits, le jeune apprenti taekwondoïste va vite déchanter.

Des cadeaux pour amadouer et du chanvre avant de passer à l'acte

«A cette époque j'étais très timide. J'avais une petite amie et Maître Chaka l'a appris je ne sais comment. Il m'a fait venir chez lui pour me dire que cette fille était sa nièce. J'avais des doutes, mais il a fini par m'embobiner et m'a dit que je pouvais venir avec elle chez lui pour qu'on soit tranquille. Il m'a amadoué avec pas mal de privilèges en m'offrant de l'argent ou des jeux vidéos. Au fur et à mesure, son discours a changé et il a fini par me dire qu'il avait de l'attirance pour moi. Face à mon refus, il m'a menacé physiquement et a tenté de me mettre la pression », détaille l'ancien pensionnaire du club de Maître Chaka, avant que l'instructeur ne passe de la parole aux actes.

«Il savait que j'étais fumeur occasionnel et un jour, il m'a fait fumer du chanvre. J'étais comme drogué. Je me suis laissé avoir... Il m'a lavé et étalé sur son lit. Il portait un débardeur noir avec des trous. Ensuite, il m'a fait une fellation, puis m'a bandé les yeux et m'a embrassé de force. Ensuite, il m'a retourné et a voulu me pénétrer, mais j'ai tout fait pour résister. Je serrais les fesses autant que possible. Il m'a menacé à plusieurs reprises, mais je ne me laissais pas faire. C'est alors qu'il m'a pris en photo dans cette position. Il m'a montré les photos d'autres victimes», se souvient Mathias.

«Maître Chaka menaçait de montrer mes photos à mes amis du collège»

Après ce calvaire subi, le jeune collégien se rappelle d'un détail qui lui fait dire que plusieurs personnes étaient au courant des agissements de Maître Chaka : «Juste après avoir fini, c'est son voisin est venu le chercher en voiture. C'est à se moment-là que j'ai compris que c'est lui qui lui avait tout raconté de mon histoire avec ma petite amie. Ensuite, ça a été un enfer. J'ai subi du harcèlement car je le fuyais. Il menaçait de montrer mes photos à mes amis du collège si je ne revenais pas.»

Les menaces et la pression psychologique, des méthodes également subies par Lenny*. «Je devais avoir entre 12 et 14 ans la première fois qu'il a abusé de moi. J'étais naïf et maître Chaka avait gagné ma confiance. Il aimait me déposer chez moi après les entraînements au club. Mais un jour, il m'a demandé de venir chez lui. Sans hésiter, j'y suis allé...», confie le jeune homme, avant de couper son récit. «Quand j'y repense, je me rends compte que beaucoup de gens à l'époque tels que ses voisins savaient ce qu'il faisait subir aux enfants mais ne disaient rien. Arrivé sur place, il m'a dit de me déshabiller et de me laver. Ensuite je devais m'allonger et fermer les yeux. Je ne sais même pas pourquoi j'ai obéi sans même réfléchir. C'était lé début de l'enfer. Chaque semaine, il fallait qu'il abuse de moi. Il venait même me chercher au collège. Quand je commençais à refuser et ne plus vouloir qu'il me viole, il envoyait un grand de mon collège me menacer de tout raconter.»

«Tant que tu ne céderas pas, tu resteras avec la même ceinture»

Daniel* a lui intégré le club de Maître Chaka à Libreville en 2012 et y restera quatre ans. Si sa première année s'est déroulée sans incident, la donne va radicalement changer en 2013. Il va subir les avances et pressions de l'instructeur qu'il pensait capable de l'aider à devenir un futur champion. «Dans le taekwondo je n'avançais pas. Les années passaient mais j'étais toujours au même stade, avec la même ceinture. Je ne comprenais pas. Et c'est à ce moment-là qu'un jour il m'a dit : ''Tant que tu ne me donneras pas ce que je veux, tu vas rester là avec la même ceinture.'' Et il me le répétait», se souvient-il, avant de poursuivre : «Il y a avait des compétitions auxquelles je ne pouvais pas participer car il ne m'inscrivait pas sur la liste des combattants. Tout ça parce que je ne cédais pas. Des amis ont intégré le club des années après moi, et en l'espace de quelques mois, ils avaient déjà des grades supérieurs au mien. Tout était fait pour que je finisse par céder afin de voir ma progression être validée. Il me répétait sans cesse que si je voulais évoluer en grade, je devais satisfaire ses envies. Il me menaçait de s'en prendre à moi si je parlais de tout ça à une autre personne. C'était un vrai chantage.»

Quadruple champion de taekwondo du Gabon et titré à plusieurs reprises avec la sélection gabonaise dont il était le capitaine jusqu'en 1994, Christian Nkombengnondo recueille de nombreux témoignages d'anciennes victimes de Maître Chaka. Celui que l'on surnomme «Dangher», est le seul ancien taekwondoïste à prendre publiquement la parole. Son récit à Sport News Africa va dans le sens de celui des victimes.

Des pratiques connues depuis la fin des années 80

«Un jour, on a vu un de nos anciens champions, malheureusement décédé depuis, arriver tout habillé en tenue de combat dans la salle d'entraînement. C'était quelqu'un de discret et qui n'aimait pas se faire remarquer. Mais ce jour-là, il est allé directement vers Maître Chaka pour s'en prendre à lui. On a essayé de les séparer et c'est là qu'il lui a dit très clairement : ''Arrête ce que tu fais avec mon neveu ! La prochaine fois que tu lui fais des attouchements, je reviendrai et je vais te casser la gueule.'' On a tous entendu. C'était dans le gymnase du Lycée Léon Mba, il y avait du monde. C'est là qu'on a su ce qu'il se passait. »

L'ancien champion de taekwondo du Gabon et vice-champion des Etats-Unis a reçu plusieurs témoignages. Certains évoquent des faits qui remonteraient aux années 1987-1988. «Il était à l'époque à Baraka. La discipline était gérée par les militaires. Et justement il a été poussé à partir de Baraka à cause de ses agissements», confie Christian Nkombengnondo. «Son propre père, qui était un général, l'a répudié. C'est la preuve qu'il était au courant de ses agissements. Je me demande comment avec autant de preuves et de gens qui savaient, la Fédération gabonaise et la Ligue de l'Estuaire ne l'ont jamais banni ? Il avait été sanctionné un moment et pourtant il a pu revenir et exercer auprès des jeunes. Il a même ouvert son propre club au quartier Louis, dans mon quartier».

«J'ai inscrit mon propre fils dans le club de Maître Chaka»

«Dangher» a même failli voir son fils être une énième victime de l'instructeur. «J'étais aux Etats-Unis, où j'évoluais, et mon fils était encore au Gabon», se remémore-t-il. «A l'époque, on ne savait pas encore ce qu'il se passait réellement. J'ai inscrit mon propre fils dans le club de Maître Chaka. Mais très vite il est allé se plaindre auprès de ma mère pour lui dire que Chaka le punissait et le frappait malgré ses victoires en compétition. Tout ça car il lui faisait la cour et que mon fils refusait de céder à ses avances. Il sanctionnait les élèves en les rétrogradant et en les punissant avec un bâton. Tout le monde sait qu'il avait un bâton. Mais au final avec le temps on a compris que ce bâton c'était pour régler ses comptes avec les disciples du club. Beaucoup de choses se cachent derrière ce bâton... Quand ma mère a eu connaissance du récit de mon fils, elle s'est directement rendue dans le club pour qu'il soit libéré. Chaka a refusé, mais elle a fini par obtenir une attestation écrite qui le libérait de toute activité dans ce club. Il a pu rejoindre un autre club à Sobraga. Mon propre neveu a aussi été victime. Il a parlé de pratiques mystiques de Chaka et aussi qu'il leur faisait faire la pesée nus. Il en a parlé à son père qui l'a retiré du club.»

Une suspension prononcée, le ministère muré dans le silence

Un témoignage à visage découvert qui a eu le mérite de pousser d'autres victimes à parler. «J'ai fait un live pour évoquer ce sujet et j'ai reçu énormément de messages et de témoignages de victimes pour raconter ce que Maître Chaka leur a fait subir», explique Christian Nkombengnondo, désormais résident aux Etats-Unis.

Se pose la question de la connaissance des autorités gabonaises et notamment de la Fédération de taekwondo sur ces abus sexuels qui durent depuis plus de 30 ans. Car, après son renvoi par les militaires de Baraka et une plainte enregistrée au début des années 2000, Maître Chaka a pu ouvrir un nouveau club et poursuivre ses activités. Jusqu'à devenir le formateur de l'Ecole des Clubs Champions à Libreville. La seule décision est venue pour l'heure de la Ligue de l'Estuaire et de son président, Jean Narcisse Nguema Ndong, qui ont prononcé la suspension de maître Chaka ce 21 décembre. Le ministère des Sports reste silencieux et n'a pas répondu à nos sollicitations, alors qu'il avait immédiatement réagi après l'affaire Capello qui a secoué le milieu du football au Gabon. Président de la Fédération gabonaise de taekwondo, Denis Mboumba songe à se constituer partie civile si l'affaire prend une tournure judiciaire. Il invite les victimes et leurs parents à saisir la justice.

De son côté, Maître Chaka nie les faits et évoque une «campagne de nuisance» menée par la famille d’un enfant. Sauf que depuis le premier témoignage, les récits affluent et notre rédaction en a recueilli un nombre conséquent, tous aussi édifiants les uns que les autres. Ce n'est plus un seul enfant, mais plusieurs dizaines d’adolescents, dont certains devenus des pères de famille, qui réclament justice à présent. Une justice qui s'active à présent puisqu'il a été interpellé mardi dans la soirée.

*Les prénoms ont été modifiés.

Mansour LOUM

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