fbpx
, ,

Ndiss Kaba Badji : «l’athlétisme sénégalais manque actuellement de tout»

Sept ans après avoir quitté les sautoirs, Ndiss Kaba Badji demeure l’un des athlètes les plus titrés du Sénégal. Le double champion d’Afrique du triple saut n’a pas eu une trajectoire facile. L’ancien athlète qui fête ses 40 ans le 21 septembre prochain a accordé un entretien exclusif à Sport News Africa. Entretien au cours duquel, le 5e de la finale du saut en longueur aux JO de Pékin est revenu sur son parcours. Il a notamment évoqué l’épisode douloureux de sa suspension pour dopage en 2006. La solitude dans laquelle il était plongé et l’abandon des dirigeants durant cette épreuve.
De notre correspondant au Sénégal,

Ndiss Kaba Badji athlétisme Sénégal
Ndiss Kaba Badji

Ndiss Kaba Badji, vous avez été double champion d’Afrique du triple saut en 2008 et en 2012, quel regard portez-vous sur l’ensemble de votre carrière ?

Ndiss Kaba Badji : Je peux dire que je suis satisfait de ma carrière. Je me rappelle mes premiers pas dans l’athlétisme. Jamais je n’aurai imaginé avoir ce palmarès. Vice-champion d’Afrique juniors, double champion d’Afrique, médaillé d’or aux Jeux Africains, aux Jeux Islamiques, vice-champion du monde universitaire. Quand je regarde tout cela, je me dis que je peux vraiment être satisfait de mon parcours et de mon palmarès dans l’athlétisme.

En 2008 vous êtes champion d’Afrique en sautant 17m07 (record du Sénégal). Une marque qui vous aurait offert la médaille d’argent lors des trois derniers championnats d’Afrique. Était-cela la meilleure période de votre carrière ?

Ndiss Kaba Badji : Je me rappelle lors des championnats d’Afrique à Addis-Abeba, Hugues-Fabrice Zango me disait que je faisais partie de ses références, de ses idoles. C’est avec une immense fierté que je le vois atteindre ce niveau. Je peux dire que ma médaille aux championnats d’Afrique en 2008 signifie beaucoup pour moi car c’était la première fois qu’on voyait un Sénégalais atteindre les 17 mètres (au concours du triple saut). Et en même temps, il s’agissait de ma première médaille continentale. J’étais vraiment fier de moi.

«J’ai raté une médaille olympique pour seulement trois centimètres»

En 2008 toujours, aux JO de Pékin, vous terminez 5ème de la finale du saut en longueur. C’est quand même une sacrée performance…

Ndiss Kaba Badji : J’ai fait mes premiers Jeux olympiques à Athènes (en 2004, ndlr) mais malheureusement je n’ai pas pu atteindre la finale. Aux JO de Pékin, j’étais engagé en triple saut et en saut en longueur. Il y a une anecdote qui m’a vraiment empêché de bien défendre mes chances. Le jour de la finale du saut en longueur coïncidait avec les qualifications du triple saut. L’ancien directeur technique national (du Sénégal) avait déployé une banderole contre la Chine. Il a été banni du village olympique. Et la Fédération m’a engagé 48 heures avant la finale. Si je ne faisais pas les qualifications du triple saut, j’étais disqualifié de la finale du saut en longueur. Le jour de cette finale, je me réveille à 5h du matin pour aller faire mon concours des qualifications du triple saut puis revenir me changer.

Dès l’après-midi, je devais y retourner pour la finale du saut en longueur. C’était vraiment un truc de fou. J’avais laissé énormément de plumes lors des qualifications du triple saut quelques heures avant. Je n’étais pas à 100% de mes moyens pour me battre dans cette finale alors qu’il y avait de la place. Malgré tout, j’ai fini 5ème avec 8m16 alors que la 3ème place était à 8m19. J’ai raté une médaille olympique pour seulement trois centimètres. C’était vraiment un truc de dingue. Jamais je ne pourrais oublier ces JO à Pékin. C’était une malchance d’être engagé au triple le jour de ma finale du saut en longueur.

Pourquoi avez-vous opté pour le saut en longueur et le triple saut ?

Ndiss Kaba Badji : J’ai toujours eu des problèmes de choix entre faire du triple saut ou du saut en longueur. À l’époque, avant de rencontrer mon ancien entraîneur Christophe Nassalan, je faisais quasiment toutes les disciplines d’athlétisme. Je faisais les lancers, je faisais les courses et même le demi-fond. Quand mon ancien coach m’a repéré, il m’a demandé de me concentrer aux sauts où il trouvait que mes qualités ressortent mieux.

Tout au long de votre carrière, pensez-vous avoir bénéficié du soutien nécessaire des autorités sportives pour aller chercher une médaille mondiale ou olympique ?

Ndiss Kaba Badji : Durant ma carrière, j’ai eu la chance d’intégrer le CIAD (Centre international d’athlétisme de Dakar, ancien nom du CAA : Centre africain de développement de l’athlétisme). Cela m’a permis d’atteindre le très haut niveau. Maintenant en ce qui concerne le Ministère des Sports, le CNOSS et la fédération, je pense que j’aurai pu avoir un peu plus de soutien. Un soutien qui m’aurait permis d’atteindre d’autres objectifs. Malheureusement au Sénégal, on n’a pas cette culture d’accompagnement des athlètes de très haut niveau. Je dirais que je n’ai vraiment pas eu la chance d’avoir des autorités sportives, ce soutien pour pouvoir exceller au très très haut niveau, pour par exemple une médaille olympique.

Avec du recul, que manque-t-il vraiment à votre carrière riche de 8 médailles continentales à la longueur et au triple saut ?

Ndiss Kaba Badji : Avec du recul, je pense avoir coché toutes les cases. Champion d’Afrique, double champion d’Afrique, double médaillé d’or des Jeux africains, médaillé des Jeux de la francophonie, champion du monde universitaire. Je pense qu’il m’a juste manqué une médaille aux Jeux olympiques et aux Championnats du monde. Ces deux médailles sont les seules qui manquent à mon riche palmarès. Mais je pense avoir atteint tous mes objectifs.

Ndiss Kaba Badji à Doha en 2010
Ndiss Kaba Badji à Doha en 2010

«Des membres de la Fédération sénégalaise d'athlétisme, s'étaient réjouis de ma suspension»

En 2006, vous êtes suspendu pour dopage à l’androstenedione. Une substance interdite que vous n’aviez jamais eu l’intention de prendre. Est-ce pour vous la période la plus sombre de votre carrière ?

Ndiss Kaba Badji : Effectivement, c’était la période la plus sombre et la plus difficile de ma carrière. Je venais juste d’embrasser le haut niveau, et donc on vous sanctionne pour un acte de dopage que vous n’avez pas volontairement fait. Cela faisait vraiment mal. Je me rappelle que nous étions un groupe d’athlètes et j’étais le seul à être sanctionné. C’est d’ailleurs pourquoi à l’époque j’avais fait appel. Mais normalement ma sanction était de 4 ans. Après avoir mené des enquêtes, ils ont découvert que c’était le coach qui nous donnait des vitamines. Ces vitamines étaient, disent-ils, interdites. Malheureusement j’étais le seul à avoir été suspendu.

Après avoir fait appel, ma sanction a été ramenée à deux ans. Pendant ces deux années, j’étais à l’arrêt, j’étais tout seul, et tout le monde me fuyait. J’avais peur, pas vraiment peur mais j’étais vraiment esseulé. Heureusement que j’avais à l’époque ma famille qui m’a beaucoup soutenu. C’était des moments vraiment difficiles. Je me suis forgé un mental de fer qui m’a permis de rebondir vite. Parce que je savais au fond de moi que j’avais le potentiel et maintenant la rage de prouver à tout le monde que je n’étais pas un tricheur. C’était des heures très difficiles dans ma carrière.

Cela ne vous a pourtant pas empêché de rebondir avec tous ces titres. C’est aussi une preuve de votre mental à toute épreuve…

Ndiss Kaba Badji : J’ai beaucoup souffert durant cette période. Je me rappelle même, beaucoup de personnes, membres de la Fédération sénégalaise d'athlétisme, s'étaient réjouis de ma suspension. Je lisais dans leurs yeux ce sentiment de satisfaction. Tous ces facteurs m’ont donné l’envie d’être fort, d’avoir un mental de fer. Je voulais leur prouver que je ne suis pas un tricheur. J’ai cultivé cet esprit de gagneur et je pense que le bon Dieu m’a aidé dans ma démarche. À la fin de ma suspension, qui coïncidait avec les Jeux africains d’Alger (en 2007, ndlr), j’ai eu la médaille d’or. J’étais le seul athlète sénégalais médaillé dans cette compétition.

En 2008, j’ai décroché le titre de champion d’Afrique. Tous ces éléments contraires m’ont permis d’être fort mentalement. Mais malheureusement je n’ai pas toujours eu le soutien nécessaire ni de ma Fédération ni du ministère des Sports. Permettez-moi de faire un cri du cœur. Récemment, le ministère des Sports a payé les athlètes médaillés durant la période de 2006 à aujourd’hui. Je peux dire que je suis le seul à n’avoir pas été payé, soi-disant que j’ai eu dans le passé un problème de dopage. Alors que tout le monde sait que cette histoire de dopage c’était en 2003. Au moment où mes médailles ont été remportées à partir de 2007. Je pense que c’est une injustice au regard de tout ce que j’ai apporté comme médailles à mon pays, le Sénégal. C’est vraiment injuste de la part du Ministère.

Comment jugez-vous l’athlétisme sénégalais actuellement ?

Ndiss Kaba Badji : Cette discipline manque de tout. Nous sommes au bas de l’échelle. Nous manquons de dirigeants capables de mettre en place une politique générale pouvant permettre la relance de l’athlétisme sénégalais. On manque de soutien de l’état du Sénégal. On manque d’infrastructures. Les entraîneurs ne sont plus motivés et on manque d’athlètes de très haut niveau. Je pense que l’on est vraiment tombé à terre. Donc il nous faut travailler à la base, aller détecter de jeunes athlètes, motiver les coachs et les remettre à niveau. Franchement il nous faut une bonne politique pour sortir l’athlétisme de sa torpeur.

Sur le même sujet : CAA, Président depuis 2003, Kalkaba Malboum veut un énième mandat à 72 ans

Par Moustapha M. SADIO

SNA vous en dit plus !

Pas de recommandation
SPORTNEWSAFRICA,
LA RÉFÉRENCE DU SPORT EN AFRIQUE
TOUS LES SPORTS
SUIVEZ-NOUS SUR :
linkedin facebook pinterest youtube rss twitter instagram facebook-blank rss-blank linkedin-blank pinterest youtube twitter instagram