Quatre ans après la débâcle de mars 2017, on n’ose pas le peindre en revanchard, mais Hayatou peut bien sourire. Peut-être juste afficher un rictus en assistant à la déchéance d’Ahmad Ahmad. Un successeur incapable de s’offrir un second mandat.
On doit rigoler à s’en fendre la rate du côté de Garoua, fief d’Issa Hayatou. L’ancien président de la CAF a beau dormir dans les salles de conférence quand la climatisation faisait lever le col des vestons, ou dans les gradins des stades quand les courants d’air faisaient oublier la chaleur ambiante, mais il n’était pas du genre à se faire prendre avec la caisse du village. Après une vingtaine d’années à la tête du «conseil villageois», Hayatou a même eu assez de force et de pugnacité pour s’opposer à la jeune garde qui avait juré sa perte.
Il finira cependant par baisser pavillon face à un complot international et s’éclipsera de manière digne. Harassé et abattu après une bataille au cours de laquelle il apprit à compter ses amis. Mais aussi à regretter la disparition de certains de ses anciens soutiens qui, en 1988 et dans les années suivantes, avaient su «couloirder» et user de leur influence pour lui baliser la voie vers le fauteuil royal. Puis, progressivement, à l’isoler jusqu’à le conduire à sa propre perte.
Son successeur ne s'offrira pas un deuxième mandat. Cela paraît bien minable à une époque où il s’agit d’un minimum vital sur un trône en Afrique. Pour la première fois dans l’existence de la CAF, le Malgache se trouvait face à un quatuor d’adversaires à sa réélection. On le disait partant avec un solide portefeuille de quarante-six fédérations à sa solde (les Tunisiens ont toutefois démenti leur adhésion). Cependant, le «bretteur» n’a même pas eu à descendre dans l’arène pour dégainer. Pourtant, un traître assaut ne lui est pas venu de l’intérieur. Le coup de Jarnac a plutôt été exogène. Avec toutefois, l’air d’un poignard venu du dedans porté dans le dos. Ceux-là qui étaient à l’origine de son ascension vers le trône ont balisé sa déchéance: la Fifa.
Ahmad Ahmad a été épinglé comme un «pied nickelé». Comme un malfrat contre qui les charges sont aussi vulgaires qu’étonnants. Entendu par la Commission d’éthique indépendante de la Fifa, il lui est reproché d’avoir enfreint le «devoir de loyauté». D’avoir accepté et distribué des «cadeaux et autres avantages», d’avoir abusé de son pouvoir. Mais aussi d’avoir orchestré un détournement de fonds. Des délits cumulés entre 2017 et 2019, que la Fifa a beau jeu d’étaler. C’était d’autant facile que les dossiers de la CAF se discutaient entre deux tables.
Ahmad a tendu la verge pour le flageller, ayant lui-même ouvert ses comptes aux quatre vents. En juin 2019, la Fifa nomme sa secrétaire générale, Fatma Samoura, au titre de «déléguée générale de la FIFA pour l’Afrique». Jusqu’à la fin de cette année-là, elle est chargée de remettre de l’ordre dans la Confédération africaine de football. Un temps sans doute suffisant pour fouiller les comptes, ausculter la gouvernance, mesurer le fonctionnement et faire le solde des comptes.
Ahmad n’a peut-être rien vu venir. Mais c’était un énorme pêché de la part d’un ancien ministre la Pêche de Madagascar, ancien sénateur dans son pays. Et celui qui ne fut pas autre chose qu’une marionnette de la Fifa chuta au premier coup de vent. On lui en doit tout de même des belles.
Comme quand le New York Times révéla qu’une partie des fonds destinés au développement du football en Afrique avait été utilisée pour «l’achat de cadeaux et, au moins une fois, pour l’organisation de funérailles». Le journal cite alors un rapport du cabinet d’audit britannique PwC portant sur la période 2015-2019. Ou encore cette joyeuseté de la Bbc: entre le 23 juin et le 1er juillet 2018, Ahmad Ahmad, qui se trouvait entre l’Egypte et Madagascar, exige du département financier de la CAF quelque 4 050 dollars à titre de frais de mission. Et redemande un pactole de 18 450 dollars pour une mission de 41 jours en Russie entre le 7 juin et le 17 juillet. Une période dont le patron de la CAF n’a pas déduit le temps où il était absent de Moscou. Il y eut aussi cette interpellation, le 6 juin 2019, à Paris, par l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, pour une histoire de contrat d'équipements.
Sur le terrain, Ahmad reste celui qui présida la plus longue finale de Ligue africaine des champions en 2019: Espérance Sportive de Tunis – Wydad de Casablanca dont on mit un an pour donner le verdict (31 mai 2019 - 18 septembre 2020). Le match entamé à Casa (aller: 1-1) s'est terminé à Lausanne, avec un coup de sifflet final du Tribunal arbitral du sport. Le TAS a en effet validé la décision de la CAF (victoire des Tunisiens). Les Marocains avaient boudé le match après que leur but égalisateur avait été refusé en l’absence de la Var, tombée en panne.
Ahmad avait pourtant été accueilli à la tête de la Fifa comme une délivrance après dix-neuf ans d’un règne à la limite ubuesque de Hayatou. Mais il y avait un ver dans le fruit. Porté par la Fifa, qui s’est imposée avec ses gros sabots, son magistère n’a été qu’une succession d’errances. En quatre ans, il était sans doute difficile de révolutionner le football africain voire mondial. Mais le Malgache aurait pu au moins tracer les sillons d’une relance. Sa succession s’annonce pour la prochaine Assemblée générale de la Fifa en mars 2021. Elle aura toutefois l’exigence d’instaurer une gouvernance plus vertueuse et une meilleure gestion financière. Une sorte de reprise à zéro donc.
Tidiane KASSE