
Il y a des victoires qui dépassent le cadre d’une médaille. En remportant deux titres mondiaux dans les catégories Warriors et Bermuda Pro Class lors des Championnats du monde de bodybuilding & fitness en juin dernier, en France, Kevin Anoho a offert au Cameroun un moment d’éclat sur la scène internationale. Gendarme de profession, culturiste par passion, il incarne une discipline encore marginale dans son pays, qu’il défend avec une rigueur sans concession. « Le bodybuilding, ce n’est pas un métier au Cameroun. C’est une passion qu’on finance soi-même, parfois au prix de grands sacrifices », résume-t-il.
Une vocation née dans les quartiers de Yaoundé
Son parcours commence à Yaoundé, entre les quartiers Melen et Cité Verte, dans une fratrie de huit enfants. Cadet turbulent, Kevin est orienté vers le sport par ses frères pour canaliser son tempérament. Il débute par le karaté et la lutte, avant de découvrir l’univers du culturisme. Les dessins animés comme Conan l’Aventurier, puis la découverte d'Arnold Schwarzenegger dans Terminator, nourrissent un rêve : intégrer l’armée et avoir un physique impressionnant.
« Quand j’ai vu Ronnie Coleman dans les magazines que mon frère rapportait de l’étranger, tout est devenu clair. Je voulais être comme lui : c’est le bodybuilder le plus emblématique de toute la discipline. Je me suis rendu compte qu’il était policier et pratiquait le bodybuilding. Je me suis dit : si on peut faire les deux, alors je peux le faire ».
Discipline militaire, passion musclée
Intégré à la gendarmerie en 2017, Kevin Anoho doit composer avec des contraintes de service. Affecté un temps à l’athlétisme militaire où il pratique le lancer de poids et de javelot, il ne s’éloigne jamais des salles de musculation. Entre les missions, il continue à s’entraîner, à concourir, à gravir les échelons d’un sport exigeant. « Lors d’une préparation, c’est deux entraînements par jour, cinq repas spéciaux, une vie intime suspendue. Tu vis avec la fatigue, l’irritation, les privations. Mais chaque détail compte », dit-il.
Sa plus grande fierté ? Représenter le Cameroun à l’international. « Quand tu entends l’hymne, que tu vois le drapeau flotter, c’est une émotion indescriptible. J’ai toujours voulu que mon travail parle pour moi. » Kevin Anoho sait ce que ses titres lui ont coûté : des sacrifices, mais aussi une absence de reconnaissance locale. L’athlète se souvient que les primes sont marginales, que la préparation est entièrement à sa charge, et que peu d’entreprises soutiennent les sportifs locaux, hors football. « La reconnaissance ou l'argent, c'est un bonus quand tu fais ce que tu aimes, tranche-t-il. On ne fait pas le bodybuilding pour gagner de l'argent. »
Une année au bord de la rupture
Sa trajectoire n’en est que plus singulière. Cette année, un épisode l’a particulièrement marqué. Une expérience extrême, au bord du malaise. « Cette année, j'ai fait deux championnats d'un coup, à la Wabba (World Amateur Body Building Association) et à la WFF. Je quittais d'une compétition en Italie pour une autre en France. Il fallait que je perde 18 kilos en une semaine. J’ai fait beaucoup d’efforts. Et là, quand j'étais à moins de 15 kilos, je suis tombé dans les pommes et il a fallu qu'on me réanime. »
« On ne fait pas ce sport pour l’argent »
Mais sa motivation reste intacte : prouver que le Cameroun peut exister dans les plus grandes compétitions. « Mon rêve aujourd’hui est la compétition à Mister Olympia qui est la plus grande compétition de bodybuilding au monde ». Un rêve qu’il n’hésite pas à partager avec les jeunes générations. « J’ai un message aux jeunes. Il est simple : si tu veux être bodybuildeur pour devenir riche, tu perds ton temps. Fais-le par passion. Si l’argent vient, tant mieux. Sinon, au moins tu te seras réalisé ». Autant le dire, Kevin Anoho n’attend plus (ou presque) la reconnaissance. Il l’incarne.
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