
Avant d’évoquer les récents éliminatoires à la Coupe du Monde, revenons un peu sur ton arrivée à Maurice. Qu’est-ce qui a été le facteur décisif sachant que tu n’avais jamais évolué hors de France lors de ta carrière de joueur, puis d’entraîneur ?
C’est vrai que c’est au final ma première expérience à l’étranger, mais j’avais envie de bouger, de sortir de la Bretagne. Il y avait plusieurs raisons, personnelles notamment. J’ai donc refusé de prolonger à Lorient où j’exerçais à la formation. Je suis ensuite parti six mois à La Réunion pour rentrer en janvier 2024. Puis, deux mois après, j’ai reçu cette proposition, ce qui était idéal personnellement et professionnellement.
J’avais cette envie de l’étranger. Auparavant, j’avais vécu six mois en Thaïlande – ce n’était pas lié au football -, donc j’étais un peu dans cette optique. Maurice était idéal comme première expatriation avec ce côté anglophone mais aussi francophone. D’ailleurs, ça me fait des causeries vachement sympathiques puisque je commence une phrase en français que je dois ensuite traduire en anglais (rires). C’est une grosse expérience rien que pour ça ! Plus sérieusement, c’est tombé au bon moment, au bon endroit, les planètes se sont alignées.
Si je ne me trompe, c’est Archad Burahee, un agent franco-mauricien, qui t’a proposé le projet Maurice ?
Exact, c’est Archad qui me contacte. On était en lien depuis un moment, puis il m’a appelé un jour : « Est-ce que ça te tente ? » Il m’a grandement fait confiance à travers l’aspect humain et nos personnalités ; on avait énormément échangé à ce sujet. Il s’est surtout basé sur ça, ce qui m’a plu.
« L’idée était de recréer un groupe, un vrai état d’esprit, avec de nouvelles règles. Au final, certains se sont écartés d’eux-mêmes car les contraintes étaient trop importantes, ce qui a permis d’assainir le groupe »
Quel était le projet justement ? De l’extérieur, on dirait qu’il y a eu une volonté de rajeunir et revivifier l’équipe nationale.
C’est un peu ça. Au début, j’ai pris des joueurs en fonction de ce que je voyais, pas des noms. On va dire que certains expatriés étaient auparavant sélectionnés sans avoir été vu par la fédération. Ils ne méritaient pas vraiment d’être là, ce qui créait des tensions avec les locaux. J’ai donc changé cette méthode, je voulais des vidéos des expatriés pour savoir à quel profil exact m’attendre. On a donc entamé une présélection plus rigoureuse tout en rebattant les cartes pour les locaux.
J’assistais aux matchs à Maurice et certains joueurs qui étaient en sélection depuis longtemps, qui avaient un nom, ne me paraissaient pas assez performants pour le niveau international. Ça a fait parler, même encore aujourd’hui, mais j’ai pris des nouveaux et parfois même des joueurs de D2 dans un groupe élargi car je les trouvais intéressant. L’idée était de recréer un groupe, un vrai état d’esprit, avec de nouvelles règles. Au final, certains se sont écartés d’eux-mêmes car les contraintes étaient trop importantes, ce qui a permis d’assainir le groupe.
Lorsque tu évoques de nouvelles règles, à quoi fais-tu allusion ?
Dès mon premier entraînement, j’ai eu un aperçu de la réalité locale que je n’imaginais pas. En tant que Français, on se dit : «C’est rassemblement national, ça implique des choses ! » Or, je n’avais que 14 joueurs sur 25 lors de cette première séance faite sur le terrain de la fédération qui est à peine éclairé. Tous les joueurs étaient habillés différemment, le matériel aussi était dépareillé, je me suis dit qu’il y avait du boulot au niveau de l’organisation (rires).
Comment se fait-il qu’il n’y avait que 14 joueurs sur 25 ?
Certains bossaient, sauf que je n’étais pas au courant, et d’autres n’avaient tout simplement pas envie de venir. Disons que ça m’a mis rapidement dans le bain car on avait deux matchs d’éliminatoires à la Coupe du Monde quinze jours après ! J’ai donc instauré des règles, notamment pour ceux qui travaillent de prévenir au maximum le matin de l’entraînement.
« Certains bossaient, d’autres n’avaient tout simplement pas envie de venir (à l’entraînement). Disons que ça m’a mis rapidement dans le bain car on avait deux matchs d’éliminatoires à la Coupe du Monde quinze jours après ! »
Combien de joueurs globalement dans ton groupe vivent uniquement du football et n’ont pas besoin de travailler ?
Localement, je dirais trois ou quatre qui peuvent vivre avec le salaire de leur club. Sinon, j’ai des gars qui bossent en usine, sur des bateaux, comme chauffeur ou maçon. Aujourd’hui, ils fonctionnent avec des compensations de salaire selon les entreprises. Cependant, deux joueurs ne sont pas dans une structure avec laquelle nous avons un accord donc ils ont une perte de salaire sèche. On discute avec la fédération pour trouver une solution équitable pour tout le monde, pour compenser celui qui n’a pas de salaire s’il vient s’entraîner.
Quant aux expatriés, Arthée qui joue en Allemagne travaille dans une école tandis que les autres vivent du football même s’ils ne gagnent clairement pas des fortunes.
Plusieurs expatriés ont d’ailleurs rejoint la sélection ces derniers temps même si les tracas administratifs ont retardé les procédures…
Adrien Monfray, capitaine de Troyes, n’a toujours pas pu jouer avec nous à cause de ça, effectivement. On parle quand même du capitaine d’un club en Ligue 2 française, donc pour une équipe comme nous, c’est très important. Il peut avoir les papiers grâce à sa maman mais ça traîne depuis longtemps…
Rosario (Latouchent) avait aussi mis beaucoup de temps à obtenir les papiers. Je me souviens qu’il avait eu son passeport deux jours avant le match contre le Cap-Vert en mars 2025 alors que les procédures avaient débuté en août 2024 !
« Adrien Monfray, capitaine de Troyes, peut avoir les papiers grâce à sa maman mais ça traîne depuis longtemps… »
Tu évoquais une présélection plus rigoureuse concernant les expatriés. Comment cela s’est-il passé concrètement ?
Nous sommes un petit pays (1.2 million d’habitants environ) donc nous n’avons pas le réservoir de joueurs de certains. On a donc fait un recensement à travers les réseaux Instagram et Facebook de la fédération en laissant un mail pour faire appel à la diaspora mauricienne, principalement en Australie, Allemagne ou Angleterre. On a reçu énormément de CV ce qui nous a permis de répertorier beaucoup de jeunes entre 15 et 18 ans. Est-ce qu’ils seront intéressants dans le futur ? On ne sait pas encore, mais nous avons déjà recensé plein d’espoirs potentiels.
En septembre et novembre 2024, j’ai pris plusieurs jeunes justement pour des matchs amicaux. C’est réellement comme ça qu’on a formé ce groupe. On a utilisé ces amicaux en Asie (0-0 contre l’Inde, défaite 2-0 contre la Syrie et défaite 1-0 contre Hong Kong) pour mettre en place nos concepts et idées. Gabriel (Caliste) a par exemple été gardé après ça. Il est en jeunes à West Ham en sachant qu’on a aussi des gamins de 16/17 ans actuellement en formation à Queens Park Rangers et Gillignham. Selon leur progression, ils pourront nous rejoindre bientôt. Dernièrement, on a ajouté Leon (Alizart) de D2 australienne, qui a 18 ans. Au final, on a un groupe très sain entre locaux, expatriés et binationaux. Tout le monde qu’il peut avoir sa chance.
Depuis ton arrivée, l’une des choses les plus frappantes concerne l’aspect physique, les joueurs semblant bien plus préparés et en forme qu’auparavant.
Lors d’un des premiers rassemblements, j’ai été clair : « On ne va pas se voiler la face, nous ne sommes pas le Barça ou le PSG à avoir 80 % de possession de balle. Donc si on ne peut pas courir, on va être mal. » On a déjà un déficit de gabarit et de puissance naturelle sur lequel on ne peut pas faire grand-chose, donc si on ne peut pas répondre par la course…
La base, c’est donc de pouvoir courir. Lors des premiers tests physiques, c’est sûr qu’un joueur avec 13 de VMA et du poids en trop, ce n’est tout simplement pas possible au niveau international. En championnat local, des joueurs ont parfois des crampes à la 70e ou 80e, donc si je les sélectionne, je sais qu’au niveau international, ils ne tiendront que quinze minutes. La sélection s’est resserrée à tous les niveaux : tactique, technique, en terme de mentalité, mais la base, c’est de pouvoir courir.
« Au final, on ne perd que 2-1 en Libya malgré les absents et un joueur vient me voir :’Coach, on était bien en place, vraiment. A l’époque, on en aurait pris cinq ou six !’ »
Comment analyses-tu cette campagne de qualifications terminée à la 5e place sur 6 avec six points dont une victoire et, surtout, aucune claque reçue malgré des forts adversaires (Cap-Vert, Cameroun ou Angola notamment).
J’ai beaucoup d’exigence envers moi-même et nos résultats. Oui, on n’a pas pris de branlées, mais je crois qu’on aurait pu avoir un ou deux points de plus. Après, je sais qu’on progresse. En Libye par exemple, c’est mon premier match et notre défense centrale titulaire (Lindsay Rose et Dylan Collard) est absente comme Jérémy Villeneuve, un autre cadre. Au final, on ne perd que 2-1 et un joueur vient me voir : « Coach, on était bien en place, vraiment. A l’époque, on en aurait pris cinq ou six ! »
Je ne me rendais pas forcément compte de ce qu’était la situation auparavant. Bien sûr, j’ai regardé des matchs, mais j’avais tellement peu de temps devant moi que je me suis focalisé sur le présent et le futur. Évidemment, on n’est pas à l’abri de prendre des branlées, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Notamment grâce à une défense solide autour de Lindsay Rose comme tu le disais.
Bien évidemment, Lindsay est tellement important pour eux, sur et en dehors du terrain, comme Dylan (Collard) d’ailleurs. On a une ligne défense de quatre très solide avec Rosario (Latouchent) à gauche qui est un joueur ayant évolué en National, 1 et 2 en France. A droite, on a Wilson (Mootoo) qui est un pur produit local jouant désormais en République tchèque. On a également un bon gardien (Dorian Chiotti) ou William François, un jeune milieu défensif formé localement qui évolue désormais en Slovaquie après un essai réussi.
Même si l’adaptation n’est pas évidente pour un Mauricien à l’étranger et que certains ont parfois des soucis de visa pour nous rejoindre, on voit les progrès. Pareil si on a des absents. C’est ce que j’apprécie vraiment avec ce groupe. A force de bosser ensemble, les nouveaux et les remplaçants ne sont jamais noyés. Ils savent ce qu’ils doivent faire, ce qu’on attend d’eux. On peut perdre comme toute équipe au change lorsqu’un titulaire manque, surtout pour un petit pays comme le nôtre, mais on n’a aucun défaut tactique, ce qui fait notre force.
« On est parti le jeudi à 17h du Cap-Vert pour atterrir à Dakar, puis Accra, ensuite Nairobi où on passera sept heures à l’aéroport, Johannesburg et enfin Mbabane le samedi à 16h pour jouer le dimanche à 15h »
Après, pour revenir sur les éliminatoires, j’ai un regret sur le match à Eswatini où on a eu presque 48 heures de voyage. On est parti le jeudi à 17h du Cap-Vert pour atterrir à Dakar, puis Accra, ensuite Nairobi où on passera sept heures à l’aéroport, Johannesburg et enfin Mbabane le samedi à 16h pour jouer le dimanche à 15h. Je me souviens que le Cameroun s’était plaint d’une escale de trois heures pour aller à Eswatini avec leur avion, ce qui est logique, mais ça montre que nous ne vivons pas dans le même monde (rires).
Je pense qu’avec un peu plus de fraîcheur on gagne ce match. Mais je ne peux pas en vouloir aux gars, ils ont une résilience incroyable. Souvent, on tient le rythme pendant 60 ou 70 minutes avant de subir dans le dernier quart d’heure car on craque physiquement. C’est logique, on a des joueurs qui bossent dans leur vie quotidienne, qui ne sont pas habitués non plus à évoluer dans des championnats à très haute intensité, mais ils se donnent toujours à fond.
Quelle suite désormais attend Maurice ?
On attend de savoir qui nous allons affronter lors du tour préliminaire pour accéder à la phase de groupes qualificative à la CAN 2027. Normalement, on sera dans le chapeau A (les quatre plus faibles nations africaines au classement FIFA seront dans le chapeau B et affronteront les quatre nations africaines classées juste au-dessus dont Maurice) donc ce sera l’objectif.
Néanmoins, globalement, je suis content car on a construit quelque chose. Des nouveaux joueurs, un état d’esprit, un solide qui s’est indéniablement solidifié et qui se sent plus fort, qui a moins peur d’affronter une grosse équipe. Cette confiance, c’est très positif mais nous devons justement continuer et améliorer aussi notre rendement en phase offensive. C’est ce qui nous attend pour l’avenir.
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À propos de l'auteur
Romain MOLINA
Rédacteur sportif
Journaliste et écrivain, auteur de nombreuses enquêtes dans le milieu du sport.
