Le Sénégal défie l’Égypte les 24 et 29 mars en barrages du Mondial 2022. Il y a 36 ans quasiment jour pour jour, les deux sélections s’affrontaient en match d’ouverture de la CAN égyptienne (1986). Les Lions avaient provoqué un coup de tonnerre au Caire avec leur victoire 1-0 sur le pays organisateur. Capitaine de la sélection sénégalaise à l’époque, Amadou Diop «Boy Bandit» a accepté pour SNA de revenir sur tout ce qui a entouré cet exploit de l’une des plus talentueuses générations du football sénégalais.
De notre correspondant au Sénégal
Pour beaucoup d’observateurs, l’équipe du Sénégal de 2002 est la plus marquante de l’histoire du football sénégalais. Seize ans auparavant, une autre génération dorée de Lions avait marqué les esprits lors de la CAN-1986, jouée en Egypte. Dans des conditions de participation ahurissantes, la bande à Pape Diop, le sélectionneur de l’époque, a réalisé un exploit retentissant en battant le pays organisateur. Mais en un battement de cils, les Sénégalais passèrent du rêve à la désillusion. Pour les témoins de cette aventure, les Lions ont péché moins par manque de talent que par inexpérience.
«À l’époque rien n’était évident, rembobine pour Sport News Africa Amadou Diop, qui était à ce moment-là le capitaine de la sélection sénégalaise. Le poste de sélectionneur était tour à tour décliné par les techniciens de l’époque à cause des nombreux échecs. Feu Pape Diop a eu beaucoup de courage d’accepter le job. Le clasico JA-Jaraaf était très populaire à l’époque et ces deux clubs étaient fortement représentés dans cette sélection.»
Amadou Diop était le patron du milieu de terrain du Jaraaf, le club le plus titré du pays.
Au détour de qualifications épiques, où le Sénégal a d’abord sorti le Togo (victoire 0-1 à Lomé puis 1-1 à Dakar) puis le Zimbabwe (défaite 1-0 à Harare puis succès 3-0 à Dakar), une équipe venait de naître. «Au début de notre campagne éliminatoire, le public ne croyait pas en nous, raconte Amadou Diop. C’est après un succès en amical face à la Chine qu’on a créé un engouement autour de nous. Je me souviens des journaux locaux qui avaient titré : “Une équipe est née !”. Les dirigeants, par l’entremise du président de la fédération Abdoulaye Fofana (également président du Jaraaf) décide alors de miser sur ce groupe.»
Lors du match retour du premier tour qualificatif face au Togo, le groupe enregistre un grand renfort. «Ce match était marqué par le retour de Bocandé en sélection après sa suspension, souligne «Boy Bandit». Ce jour-là, on a constaté un énorme changement chez lui. C’était plus le même, il était affûté et on le ressentait aux entraînements. On savait qu’on avait là un retour de taille. Il a mis la défense togolaise sens dessus-dessous ce soir-là au stade Demba Diop.»
Après avoir perdu 0-1 à Harare, le Sénégal est alors à 90 minutes de retrouver la grande scène africaine. Dans un stade Demba plein à craquer, Amadou Diop et compagnie sentent la pression populaire. «Au retour avec une bonne communication, rappelle Amadou Diop, le pays tout entier se mobilise et en fait une affaire nationale. Les écoles et daaras (écoles coraniques) et toutes les entités, on ne reconnaissait plus personne. Il y avait une telle ferveur. Aux abords du stade, le public était encore plus nombreux que dans l’enceinte. On n’avait plus le choix, on s’était dit qu’on ne quitterait pas le stade Demba Diop sans une qualification parce que 18 ans sans CAN c’était interminable. On s’impose finalement 3-0 avec 3 buts d’un Jules Bocandé exceptionnel. Mais on aurait pu l’emporter 6-0 ou plus tant on avait dominé ce match.»
Les Lions réussissent à vaincre le signe indien après avoir manqué la CAN depuis 1968 en Éthiopie. Cette génération était déjà entrée dans l’histoire. Mais, elle avait encore faim. Elle entraîne dans son élan tout un peuple qui adhère à une campagne nationale de levée de fonds destinés à financer la campagne de Caire-86.
L’initiative fut un franc succès. Mais, elle sera fatale à l’équipe selon le capitaine de l’époque. «Il est inconcevable d’aller dans une telle compétition d’envergure et qu’on te dise que ton Etat n’a pas contribué financièrement et que ça a été le peuple qui cotise pour qu’on puisse y aller. La logique de la compétition n’obéit pas à cette réalité, ça nous a mis plus de pression sans le savoir», pointe l’ancien capitaine des Lions.
Il ajoute : «L’affaire nous a d’ailleurs rattrapés à notre retour au pays. Dans la rue les gens nous disaient : “Remboursez-nous nos 25 francs CFA !”. Un jour où nous étions avec les autres joueurs à la banque pour changer nos dollars, un gars nous a reconnu et a crié : ‘’les gars du Caire sont là‘’. Une vieille dame se retourne et nous lance avec dédain : “Voleurs de confiance que vous êtes”. Pour eux nous étions des traîtres.»
Logé dans le groupe A avec l’Egypte, pays hôte, la Côte d’Ivoire et le Mozambique, le Sénégal débarque sans complexe. Les conditions de préparation dantesques ont fini de doper le mental de cette jeune équipe. «Avec de maigres moyens, Pape Diop nous avait emmenés à Thiès (à une soixantaine de kilomètres de Dakar) pour préparer la CAN, sourit Amadou Diop. Dans les installations du CNEPS, on a vécu l’enfer. Les moustiques, la chaleur dans les chambres… Parfois il n’y avait pas d’eau pour se laver après les entraînements. On essuyait la sueur avec nos propres habits en espérant s’endormir. À l’époque on était plutôt dociles. On acceptait des conditions de vie qu’on ne voyait qu’à l’armée. Pour des joueurs de la JA ou du Jaraaf que nous étions, habitués à un haut standing, c’était galère.»
Des péripéties douloureuses qui ont fini par payer ce 7 mars 1986 lors du match d’ouverture de la CAN face à l’Égypte, ultra favorite à la victoire finale et devant plus de 50 000 personnes acquises à sa cause au stade international du Caire. «Après le match de la qualification contre le Zimbabwe et notre gestion de la pression populaire, on s’est dit, plus aucun public ne pourrait nous impressionner, rejoue l’ancien capitaine du Sénégal. Même face à l’Égypte, qui à l’époque dans son antre, mettait des scores de 3-0, 4-0 à tous leurs adversaires. On avait fini de démystifier les Nord-Africains avec le Jaraaf en compétition africaine de clubs. Ils savaient mettre une pression d’enfer dans le premier quart d’heure.»
«Boy Bandit» poursuit : «Tactiquement, nous nous étions préparés à ce scénario et nous avions une équipe insouciante mais très intelligente autour de la défense avec Roger (Mendy), Racine (Kane), Oumar Touré jusqu’à Pape Fall. Et on dit toujours qu’une grande équipe s’appuie sur un grand gardien. Et Cheikh (Seck) dans les premières minutes, nous permet de rester dans le match en annihilant toutes les velléités offensives égyptiennes.»
Rassurés d’avoir tenu bon jusqu’à la mi-temps (0-0), les Lions se montrent plus entreprenants et ouvrent le score sur un coup de tête de Thierno Youm à la 67e minute de jeu, servi par… Amadou Diop. Malgré la pression des locaux, le Sénégal tiendra à l’usure son exploit de s’offrir le scalpe de l’ogre égyptien invaincu jusqu’alors sur ses terres.
Dopés par cette première victoire, les Lions dominent 2-0 le Mozambique lors de leur 2ème match de groupe. Le défenseur Pape Fall (28e) et Jules Bocandé (83e) sont les buteurs. Deux victoires en deux matchs, le Sénégal se croit dès lors qualifié avant sa dernière sortie face à la Côte d’Ivoire. «Si seulement nous nous étions familiarisés avec le règlement, on aurait joué différemment ce dernier match, regrette Amadou Diop. On l’a disputé avec beaucoup d’euphorie et d’excès de confiance. Il y avait un contentieux à clarifier entre nous et les Ivoiriens. Nous les avions battus 2-0 quelques mois plus tôt à Dakar en finale de la coupe CEDEAO. Vexés lors de la remise du trophée ils nous avaient donné rendez-vous au Caire.»
«Après avoir fait l’exploit contre l’Égypte et confirmé face au Mozambique on avait hâte d’en découdre contre les Ivoiriens. Avec le recul, je pense que ce n’était pas la meilleure approche pour ce match, confesse le footballeur à la retraite. On devait être plus dans la gestion du résultat car un nul, aurait suffi pour être en demi-finale. Nous avons manqué d’expérience. Aucun de nos dirigeants, membres du staff technique n’avaient vécu une CAN. Nous les joueurs c’était de loin qu’on connaissait cette compétition. Ça démontre l’inexpérience de la délégation de l’époque (...) C’est face aux Ivoiriens que j’ai su ce qu’était le goal-average particulier.»
Amadou Diop martèle : «Aujourd’hui on se dit que si nous avions eu une meilleure lecture du match, on aurait sécurisé le point du nul. Hélas, on ne l’a pas fait. Au contraire, on a continué d’attaquer jusqu’à ce que l’on prenne le but (Abdoulaye Traoré à la 71e). Derrière, on était plutôt confiant pour aller chercher l’égalisation. En vain. À la fin de la rencontre, on se croyait toujours qualifiés. Dans les vestiaires, des rumeurs font état de notre élimination. On se disait que c’était impossible après avoir battu l’Égypte et le Mozambique. Lorsqu’on demande à un officiel de la CAF, il nous confirme que nous sommes à égalité avec la Côte d’Ivoire et l’Égypte et que nous sommes finalement éliminés au goal-average particulier. On lui rétorque qu’on ignorait ce qu’était le goal-average particulier.»
Au lendemain de la campagne égyptienne, le sélectionneur Pape Diop est viré. Tout un groupe est remis en cause. «Boy Bandit» regrette : «Je reviens aux fameux propos de Laye Diaw (célèbre journaliste sportif) qui disait : “Je pense à l’après-Caire pour cette génération”. Après les critiques, ils auraient dû conserver ce même groupe. Si on avait tiré les bonnes conclusions au sortir de cette CAN, on aurait pu dans les normes gagner les JO, voire même le Mondial.»
Il argumente : «Le mérite de cette génération résidait dans le fait qu’on était des locaux. Même les Senefs (pour Sénégalais de France pour parler de tous les expatriés, Ndlr) de l’époque avaient débuté ici. Nous nous sommes affrontés dans les matchs à l’école, aux Semaines de la Jeunesse, dans les Navétanes, dans les rassemblements des équipes nationales cadette, junior et espoir, nos clubs se sont rencontrés en séniors. Ça a favorisé la complicité et le respect entre nous. Nous n’avions pas de faits divers dans le groupe comme il y en a aujourd’hui.»
El Hadji Diouf et la Génération 2002 ont atteint la finale de la CAN et les quarts du Mondial de cette même année. Sadio Mané et la génération actuelle ont qualifié le Sénégal pour une deuxième Coupe du monde (2018) avant d’atteindre la finale de la CAN en 2019 et de décrocher la première Coupe d’Afrique de l’histoire du Sénégal en 2022. La génération 1986 a, elle, réussi l’exploit de ramener le Sénégal en coupe d’Afrique, 18 ans après Asmara 1968. Mais malgré de grandes individualités qui la composaient, elle n’a jamais pu confirmer tout son potentiel, sacrifiée sur l’autel de la reconstruction après son exploit. Elle restera malgré la désillusion une référence qui aura permis aux Lions de bâtir de futurs exploits.
Moustapha M. SADIO