L’Union sportive des Parcelles Assainies est la nouvelle terreur du football féminin au Sénégal. Le club de la banlieue dakaroise n’a rien laissé à ses adversaires cette saison. Il a réalisé le doublé championnat-coupe nationale, pour la première fois de son histoire. Une prouesse qui porte l’empreinte de son entraîneure, Soukèye Cissé. Après avoir conduit Dakar Sacré-Cœur au titre de champion de D2 en 2019, celle qui est également sélectionneuse adjointe du Sénégal est en train de s’affirmer dans ce métier pour lequel elle était prédestinée.
De notre correspondant au Sénégal
Principale artisane du doublé historique de l’Union sportive des Parcelles Assainies (USPA) cette saison, Soukèye Cissé est une des nouvelles références du coaching féminin au Sénégal. Ce professeur d’éducation physique s’affirme à vitesse grand V dans le métier d’entraîneur. Ancienne footballeuse au club Rufisquois de Médiour où elle a fait l’essentiel de sa carrière, Soukèye Cissé ne pouvait pas échapper à son destin.
«Je suis née dans une famille de sportifs et je suis l'aînée de 6 frères, confie-t-elle à Sport News Africa. J’ai grandi entourée d'hommes, et mes amis étaient mes frères avec qui je jouais devant chez nous. j'ai commencé à jouer dans la rue avec mon père et mes frères au camp Michel Legrand de Thiès. C'est ainsi que j'ai chopé le virus du football.» Tout semblait réuni dans son environnement pour l’envoyer dans le football.
Née d’un père entraîneur au camp de GMI (Groupement mobile d’intervention) de Thiès (à 72 KM de Dakar) et d’une mère athlète puis basketteuse, Soukèye Cissé a le sport dans le sang. Très tôt sur le terrain, son âme de leader fit surface. «J’ai toujours été un leader, une meneuse de troupe, une joueuse avec beaucoup de caractère et de personnalité», soutient-elle. Ce qui lui a valu d’hériter du brassard de capitaine dès ses débuts au club de Médiour.
Avec le club phare de Rufisque, elle remporte 3 coupes du Sénégal (2011, 2012 et 2017). Et en 2017, elle réalise avec son club de toujours le doublé coupe et championnat du Sénégal de D1. Alors au crépuscule d’une belle carrière, Soukèye Cissé devait déjà se douter qu’elle serait encore sur le pré, mais sur le banc.
Dix ans avant ce doublé comme joueuse de Médiour de Rufisque, Soukèye Cissé lançait pourtant sa carrière d’entraîneur dans les Navétanes (championnat populaire des quartiers) avec des garçons de moins de 17 ans. «Un jour où j'allais m'entraîner avec mon club, j'ai vu les cadets de mon ASC de quartier Ndiayenne sans entraîneur sur le terrain, se souvient Soukèye Cissé. Je suis allée les voir et j'ai proposé quelques ateliers et je suis partie. Le lendemain ils sont venus chez moi pour demander que je les entraîne.»
Après avoir refusé dans un premier temps parce que dit-elle, n’avoir aucune notion d'entraîneur, elle cède sur demande de son père qui lui demande d'aller les aider «puisqu'ils se sont déplacés jusqu'ici». Bien lui en a pris. Cette année 2007, elle conduit les U.17 de Ndiayenne aux titres de champion zonale, départementale et régionale. «Au début, j’avais peur, avoue-t-elle. Mais après ces 3 sacres en Navétanes, j’ai commencé à aimer et là je me suis dit : il faut que j’aille me former (au métier d’entraîneur).»
Elle passe son diplôme d’initiateur - amateur. Elle prit part à plusieurs formations d'entraîneurs de football féminin avec la Fifa, (premier skills) en plus d’une formation d'administrateur de club avec la ligue de football de Dakar. De 2011 à 2014, elle intègre le CNEPS (Centre national d’éducation physique et sportive) de Thiès où elle sort comme Majore de sa promotion. Une conciliation avec la carrière de joueuse difficile mais elle tient jusqu’en 2017 lorsqu’elle raccroche les crampons.
C’est avec le club de JA Fass en 2018 que Soukèye Cissé entame sa nouvelle vie de coach. Son expérience dans les Navétanes avec les garçons lui permet de gérer la pression. Elle est ensuite nommée entraîneure de l’équipe féminine de Dakar Sacré-Cœur, club dans lequel travaille son mari. Dès sa première saison, elle offre le titre de champion de 2ème division (2018-2019) à l’académie partenaire de l’olympique lyonnais. L’année suivante en première division, le championnat est arrêté puis annulé avec le début de la pandémie. Et c’était déjà le divorce entre Soukèye Cissé et DSC.
À l’origine ? Le départ prématuré de son mari. «Après la démission de mon mari, rembobine-t-elle, ils (les dirigeants du club) n'ont pas été réglo avec moi. Je n'acceptais pas qu'on parle de mon mari comme si je n'étais pas là. Ils avaient de la méfiance envers ma personne et voulaient me mettre des limites au sein du club. Et pour qui me connaît, jamais je ne ferai semblant d'être à l'aise dans une situation qui ne me convient pas. Et dans une relation, amicale, amoureuse ou professionnelle, s’il n’y a pas de confiance, cette relation n'a pas lieu d'être.» Soukèye Cissé envoie par mail sa lettre de démission au président Mathieu Chupin.
Direction les Aigles de Médina avec lesquelles elle survole le championnat lors de la saison 2020-2021 avant de terminer vice-championne du Sénégal. Et comme un Sphinx, elle rebondit dans la foulée à l’USPA. Le club des Parcelles perd son entraîneur Mbayang Thiam, nommée nouvelle sélectionneuse des moins de 17 ans du Sénégal. C’est d’ailleurs cette dernière qui lui demande de la remplacer sur le banc des bleu et blanc avec qui elle remporte dès sa première saison, le championnat en finale (2-0) face à Dakar Sacré-Cœur, le champion sortant.
Le premier grand titre de sa jeune carrière et comme un symbole devant le club qu’elle a quitté avec fracas. Et comme un bonheur ne vient jamais seul, elle fait coup double en remportant la coupe du Sénégal 3 jours plus tard en dominant largement Kaolack FC en finale (4-0). En ramenant dans ses valises Marème Babou et Hapsatou Malado Diallo, deux joueuses qui lui ont été confiées par leurs parents et d’autres joueuses qu’elle a réussi à convaincre de la suivre à l’USPA, le titre semblait une évidence pour elle.
Soukèye Cissé raconte : «À mon arrivée quand le président parlait de maintien, je lui ai tout de suite répondu que je n’étais pas là pour jouer le maintien mais pour le titre. J’arrivais des Aigles de la Médina avec le statut de vice-champion 2020-2021 pour un but de moins que le champion (DSC, ndlr). Si c'est seulement pour le maintien, je reste avec les Aigles avec qui je peux être championne.» L’histoire lui donne raison et plus qu’elle ne pouvait l’imaginer avec le doublé et une saison sans la moindre défaite.
L’apprentissage du métier d’entraîneur prend une nouvelle tournure pour Soukèye Cissé qui intègre le staff de l’équipe nationale féminine du Sénégal. «C’est une bonne expérience qui me permet de faire une analyse objective de ce qu'est le haut niveau féminin actuel, de ses points positifs et de ce qui pourrait être amélioré pour mieux accompagner l'élite sénégalaise», juge-t-elle.
Après avoir manqué la CAN en 2012 au moment où elle passait le concours d’entrée au CNEPS pour devenir professeur d’EPS, Soukèye Cissé espère que cette génération pourra hisser le football féminin sénégalais au plus haut sommet du continent. Cette nouvelle participation en coupe d’Afrique pour le Sénégal après la première en 2012, est une marche importante pour réduire le gap avec les meilleures nations de football féminin.
«Dix ans après la CAN de 2012, on est en progrès, relève coach Soukèye. Ce n'est pas encore le top du football féminin africain si l’on regarde les nations qui nous ont éliminé en U17 et U20 (Ghana et Nigéria, Ndlr). Il est donc utile de donner une expérience supplémentaire à nos plus jeunes internationales en leur faisant profiter d’une telle compétition.»
Logée dans le groupe A avec le Maroc, l’Ouganda et le Burkina Faso, le Sénégal affiche l’ambition d’aller jusqu’en demi-finale et avoir une chance de décrocher une première qualification à la coupe du monde féminine.
Soucieuse de participer au développement du football féminin de la détection à une formation de qualité en passant par la mise en place d’un environnement propice à la performance, elle crée son académie entièrement dédiée au football féminin. Souky Académie est pour cette militante du sport au féminin, une opportunité de «participer à l'amélioration de la condition féminine». Soukèye est impatiente d’obtenir son affiliation et commencer à produire la relève de l’équipe nationale féminine du Sénégal.
Titulaire de la Licence C de la CAF, Soukèye Cissé espère mettre à profit son expertise pour développer de futures pépites du foot féminin. Elle dit : «Les joueuses sont là. A nous de les trouver, de convaincre les parents, de faire le nécessaire dans la qualité du travail et de l'environnement, sans oublier le volet scolaire pour leur assurer une reconversion après le sportif. Ce sont les mères, les sœurs, les tantes des futures Championnes.»
Moustapha M. SADIO