À chaque intersaison, le championnat du Sénégal enregistre un exode massif de ses meilleurs talents. Les clubs de l’élite voient partir leurs meilleurs éléments pour de meilleurs salaires, de meilleures conditions de travail et des perspectives sportives plus ambitieuses. Cette saison ne fera pas exception à une règle désormais bien ancrée dans la physionomie d’une fin d’exercice en ligue 1 sénégalaise. Sport News Africa s’est penché sur la fuite de talents que le football local sénégalais vit au terme de chaque saison.
De notre correspondant au Sénégal
Lamine Jarju, meilleur joueur de la saison, Bouly Jr Sambou et Ngagne Fall, co-meilleurs buteurs du championnat ou encore Malickou Ndoye, un des meilleurs défenseurs de la ligue 1… Autant de talents perdus par le championnat d’élite sénégalais durant cette intersaison. Un phénomène qui s'amplifie année après année et les acteurs semblent s’en être accommodés. Les raisons de ce phénomène qui sont d’ordre financier, social mais aussi sportif ont fini de plonger les acteurs dans une certaine fatalité.
Être footballeur en 1ère division du pays des champions d’Afrique est un combat de survie quotidienne. Les joueurs du championnat sénégalais vivent dans une précarité insoupçonnée avec des salaires dérisoires et même pire pour certains d’entre eux. « Ils ne le disent pas mais certains ne gagnent même pas 100.000 FCFA (150€) par mois, pire encore avec d’autres qui ne sont même pas payés à part dans les clubs des hauts dirigeants de la Fédération, révèle Salif Diallo, journaliste à l’Agence de presse sénégalaise (APS). Lamine Jarju gagne 40 Millions FCFA par an à Al Hilal. Avec cet argent, j’ai appris qu’il a payé une maison et une voiture à sa maman. Et ça change totalement les perspectives. Et c’est encore mieux dans les championnats du Golf », soutient-il.
Même son de cloche chez Ngalla Ndiaye, chargé des litiges au sein de l’UNFPS (Union nationale des footballeurs professionnels du Sénégal). Pour lui, le premier raté se situe dans les exigences du professionnalisme du championnat sénégalais. « La légèreté des exigences du cahier de charge à remplir par les clubs est le principal problème, relève-t-il. Quand on dit que le minimum salarial est de 75.000 FCFA pour un joueur de L1 et 50.000 FCFA pour un joueur évoluant en L2, on en arrive à des abus des clubs que la loi et les textes permettent. »
Outre la question salariale, celle de la protection et du statut des joueurs pose problème. « Des efforts sont faits au niveau des contrats où désormais on délivre aux joueurs la copie de leur contrat, avoue Alpha Thiam, ancien joueur de l’AS Pikine. Mais les joueurs se cachent pour signer leur contrat alors que certains ne savent pas ce qu’ils signent. Ça ouvre la voie à des abus de dirigeants de clubs. Et ils s’en sortent toujours parce qu’ils sont également membres de la ligue et de la Fédération. Il y a clairement un conflit d’intérêt. Ce sont eux-mêmes qui doivent sanctionner ces abus dont ils sont auteurs. »
Paradoxalement, des salaires plus élevés étaient payés dans le championnat sénégalais avant 2009 et le début du professionnalisme. Ce qui agace fortement le patron du syndicat des joueurs. « On ne peut pas refuser des salaires de 6 millions FCFA pour un salaire de 50.000 FCFA assène-t-il d’emblée. Économiquement, on a le plus mauvais championnat d’Afrique. Pensez-vous qu’une télé ou des sponsors se bousculent pour des matchs où les joueurs perçoivent 50.000 FCFA », regrette le secrétaire général de l’UNFPS.
Pour les deux matchs amicaux du Sénégal face à la Bolivie et l’Iran, Aliou Cissé a dévoilé une liste de 29 joueurs. Aucun n'évolue au Sénégal. À la tête des Lions depuis 7 ans et demi, les joueurs de champ de la ligue 1 sénégalaise qui ont eu une sélection en A se comptent sur les doigts d’une main. Le dernier date exemple date d’il y a plus d’un an avec l’arrière droit de Teungueth, Moutarou Baldé lors de Sénégal 2-0 Togo (1ère journée qualifications CAN 2021). Cette perspective sportive pèse sur l’éventualité de voir les meilleurs joueurs locaux s’inscrire dans la durée.
« Les joueurs sont persuadés que s’ils ne partent pas ils n’ont aucune chance d’être appelé en sélection A, a constaté Ngalla Ndiaye. Je ne vois pas ce que les expatriés ont de plus que nos joueurs au point qu’ils ne fassent pas les différentes étapes avant l’équipe A. Ça n’encourage pas à rester ici parce qu’ils n’ont malheureusement pas le même traitement que les binationaux et les expatriés » a-t-il regretté. Au début des années 2000, performer dans le championnat sénégalais offrait de vraies possibilités de rejoindre l’équipe nationale.
« La Jeanne d’Arc de Dakar a tenté de le faire au début des années 2000 avec des salaires conséquents et une participation en ligue des champions. À l’époque, leurs joueurs avaient l’opportunité de jouer en équipe du Sénégal » souligne le journaliste Salif Diallo. Il poursuit: « aujourd’hui, aucun club ne peut retenir son joueur. C’est la famille qui va faire le forcing. La pression familiale est exacerbée car les joueurs sacrifient tout pour réussir au football. Et ce n’est pas au Sénégal qu’ils vont réussir. Il n’y a pas que les joueurs dans cette situation. Même les entraîneurs n’ont rien » insiste-t-il.
Même si l’axe direct entre le championnat local et les grands championnats n’est pas des plus dégagés, les joueurs et leurs entourages ont trouvé des ponts pour rejoindre les grandes ligues occidentales. « Il est plus simple de nos jours pour les joueurs de passer par des championnats mineurs européens pour accéder aux grands championnats. C’est le cas de Ibrahima Wadji qui est passé par la Norvège, l’Azerbaïdjan pour se retrouver à Saint-Etienne (D2-France) », informe le journaliste de l’APS.
«Sociologiquement on trouve aussi une explication à cette migration tous azimuts des joueurs sénégalais. Au-delà des aspects humains d’une meilleure condition de vie, on pense que quand tu voyages tu as réussi. Les premiers milliardaires sénégalais sont allés chercher fortune à l’extérieur. Donc sociologiquement au Sénégal, voyager est synonyme de réussite », note-t-il. Voyager accroît aussi la visibilité pour un joueur même s’il était assez bon pour mériter la sélection A, même évoluant au Sénégal. « Prenons l’exemple de Ismaïla Sarr quand il a rejoint le FC Metz. Le mois d’après il est appelé en équipe du Sénégal A. Et il y en a plein d’autres des exemples de joueurs qui, dès qu’ils quittent le Sénégal, ils sont appelés en équipe A », a ajouté Salif Diallo.
Le phénomène de cette vague migratoire annuelle sera difficilement arrêtable sans une réelle volonté des dirigeants qui y trouvent leur compte à court terme même si cela affaiblit sportivement leurs équipes. « Les dirigeants s’enrichissent sur le dos des joueurs, assène le secrétaire général de l’UNFPS, également ex international. Tous ces départs sont motivés par l’argent avec des présidents de club de plus en plus cupides. L’argent des ventes de joueurs n’est jamais vraiment ré-investi dans le club. Si c’était le cas, les joueurs auraient eu de meilleurs salaires et ne seraient pas aussi désespérés de partir », a-t-il fustigé.
L’omerta et la gestion ultra centralisée dans la plus part des clubs permet à ces dirigeants en question de perpétuer ces pratiques. Empêchant du même coup, le développement sportif de ces clubs. Ils auraient pu se doter d’infrastructures pour le club avec l’argent de la vente des joueurs. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Du temps de Omar Seck, de Momar Ndiaye à la JA, d’autres dirigeants de club… Tous ces gens là ont réalisé des transferts qu’ils n’ont pas investi dans leur club pour en faire des clubs puissants comme au Maghreb. Aujourd’hui nous le constatons. Ils ne pensent qu’à leurs poches. Heureusement qu’il y a quelques rares exceptions qui font des efforts, mais la grande majorité non!
Le constat est affligeant mais somme toute réaliste. Pourtant, des pistes de réflexion pour dynamiser ce championnat existent. « Il faut rendre le championnat plus attrayant. Aujourd’hui quand tu gagnes le titre, le club ne perçoit que 25 Millions FCFA. Sans sponsors comment un club peut payer des salaires avec ça ? Il faut d’abord un diffuseur pour que les clubs aient des revenus de droits télé et qu’en retour les joueurs aient des salaires plus décents », suggère Salif Diallo.
L’ancien international sénégalais, Lamine Mboup, penche pour une starification des joueurs locaux. « Il faut donner au footballeur local une valeur marchande plus importante. Des joueurs que les fans ont envie de voir parce qu’ils gagnent bien leur vie. Imaginez si les joueurs gagnaient 1 Million. Les gens dans son quartier feraient tout pour aller voir les matchs. Les plus jeunes le prendraient en modèle. Il faut créer des idoles, des champions dans notre football local », a proposé le patron du syndicat des joueurs professionnels du Sénégal (UNFPS).
La perspective de prétendre à la sélection nationale A en évoluant dans le championnat local est une donnée importante pour pousser les pensionnaires de l’élite locale de s’inscrire dans la durée. « La FSF et la LSFP doivent mettre en place un quota de joueurs en sélection A. Tous sélectionneur devra convoquer 3, 4 ou 5 des meilleurs joueurs du championnat en équipe nationale A pour valoriser le championnat. C’est la seule solution pour que les meilleurs joueurs acceptent de faire des saisons de confirmation avec la perspective de la sélection » a proposé Alpha Thiam. Le milieu de terrain formé au Casa Sport avait lui-même l’opportunité de s’envoler pour l’Italie et le club de Empoli après une bonne saison avec l’AS Pikine. Un départ finalement avorté.
Les destinations ne sont plus aussi prestigieuses qu’avant. Les pépites du championnat sénégalais se laissent tenter par les championnats de Tanzanie, du Bénin et même de 2ème division marocaine. « Ces derniers mois beaucoup de nos joueurs ont rejoint le Maroc. Soit en D1 ou même en D2. Les salaires sont bien meilleurs donc ce phénomène n’est pas prêt de s’arrêter de si tôt, constate Alpha Thiam. Nos clubs ne fonctionnent pas financièrement malgré que certains jouissent d’une belle image. Les gens touchent en moyenne 100 à 150 milles FCFA. Quelques joueurs expérimentés ou ayant évolué à l’étranger arrivent à émarger jusqu’à 300 milles FCFA et plus. »
Et la peur de laisser passer sa chance conforte cette tendance exacerbée de partir quelque soit la destination. Peut-on leur en vouloir ? « « Tu peux faire une bonne saison mais rien n’est sûr que ça se confirme la saison suivante. Bouly Jr Sambou fait partie des rares joueurs qui ont confirmé pendant trois saisons dans ce championnat. Donc la régularité n’est pas garantie et ça pousse les joueurs à saisir les opportunités dès qu’elles se présentent à eux » confie Ngalla Ndiaye, chargé des litiges à l’UNFPS.
Moustapha M. SADIO