Il ne s’agit pas ici de faire injure au charisme et à la flamboyante crinière du sélectionneur des Lions de la Téranga, qui rappellent le roi de la savane, mais plutôt de crayonner son côté pressé, ambitieux, courageux, efficace, mais aussi directif et parfois tyrannique.
Nous avons brossé d’Aliou Cissé un portrait sans modèle. Un choix par défaut, dicté par les circonstances : le sélectionneur du Sénégal n’est pas facile d’accès pour le genre. Plusieurs médias lui ont déjà tiré le trait, notamment lorsqu’il a qualifié les Lions au Mondial 2018 et remporté la CAN 2021, mais nous ne nous rappelons pas être tombés sur un qui a eu la chance de le cuisiner à feu doux, d’accéder à son univers intime. Par-delà côté cour, de révéler l’homme côté jardin. Les uns et les autres se sont contentés de témoignages d’anciens coéquipiers et/ou de parents. Encore que ces derniers ne se comptaient pas parmi les membres du premier cercle.
Nous espérions être plus chanceux pour ce portrait, mais, comme tout le monde, nous avons heurté les barricades. C’est qu’Aliou Cissé a verrouillé à double tour autour de lui. «Il a donné des consignes strictes aux membres de sa famille proche : avant de parler de lui dans les médias, il faut lui demander son autorisation. Personne n’ose passer outre», chuchote une source de Sport News Africa.
Nous avons contacté Aliou Cissé vendredi 4 novembre puis l’avons relancé le lendemain. Aucune réponse à nos messages Whatsapp. Nous comptions l’accrocher une semaine plus tard, lors de sa conférence de presse pour la publication de sa liste pour le Mondial, mais notre projet de l’entraîner en aparté sera compromis par sa cote de popularité. Assailli par des dizaines de fans qui s’étaient mêlés aux journalistes, pour l’encourager en recueillant un autographe, un selfie ou simplement une poignée de main, il a été évacué par une porte dérobée. Et dans la foulée, ce dimanche 13, il a embarqué avec une partie de son effectif (16 joueurs) pour le Qatar.
Aliou Cissé va participer à sa troisième Coupe du monde (20 novembre-18 décembre). Sa deuxième en tant qu’entraîneur, après Russie 2018, et vingt ans après la seule qu’il a disputée comme joueur. En outre, il a gagné avec le Sénégal la CAN 2021 après avoir disputé un quart de finale en 2017 et une finale en 2019.
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S’il détient le plus beau palmarès de coach de l’histoire du football sénégalais, il restera néanmoins l’un des plus critiqués. Avant de passer de zéro à héros, en effet, il a reçu des coups, essuyé des moqueries et soulevé des doutes au sujet de ses compétences professionnelles. Même ses anciens coéquipiers ont tiré sur lui. Khalilou Fadiga s’agaçait qu’il ne les écoute pas. El Hadji Diouf, pour sa part, affirmait qu’avec lui, le Sénégal ne sera jamais champion d’Afrique.
Malgré tout, Aliou Cissé a toujours fixé son cap : offrir au Sénégal sa première CAN. Manifestement sûr de son étoile, fidèle à ses principes, il n’a jamais baissé pavillon. Certains ont assimilé cela à de l’entêtement. Les résultats de son équipe lui donneront raison.
Aliou Cissé a passé sept ans à la tête des Lions. Aucun technicien n’a eu une espérance de vie de sélectionneur du Sénégal aussi élevée. Et son contrat vient d’être prolongé jusqu’en août 2024. Le nouveau bail est assorti d’une augmentation de salaire de 50%- il gagne désormais près de 35 000 euros mensuels- et d’une prime spéciale de 184 000 euros, payable en quatre trimestres, à raison de 46 000 euros par échéance.
La Federation Senegalaise de Football se félicite de la prolongation de contrat du sélectionneur national Aliou Cissé. L’entraîneur, champion d’Afrique 2022, sera en charge de l’équipe première jusqu’en 2024. #Cisse2024 pic.twitter.com/ppi7FlNg3y
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Pour rester aussi longtemps à son poste, le meilleur coach d’Afrique 2022 a profité d’un vent favorable, marqué par un changement de mentalité à la Fédération sénégalaise de football (FSF). Les membres de l’instance ayant décidé d’arrêter de changer de sélectionneur comme ils changent de chemise. Convaincus que plus de stabilité sur le banc des Lions constitue un préalable pour des lendemains qui chantent.
Le patron du football sénégalais, Me Augustin Senghor, avait invoqué cet argument en 2019, au moment de prolonger le coach des Lions. Pourtant, Aliou Cissé venait de rater la finale de la CAN de cette année-là et, un an plus tôt, son équipe se faisait sortir au premier tour du Mondial. «Avec lui on sait où on va», renchérissait le président de la FSF.
Aliou Cissé est né le 24 mars 1976 à Ziguinchor. Il est Bélier. Un homme qui porte ce signe astrologique est décrit pressé, ambitieux, courageux, efficace, mais également directif et tyrannique. Le sélectionneur coche toutes les cases. Pour s’en convaincre, il suffit de revisiter un peu le récit de son enfance, retracer les grands axes de sa carrière de footballeur et relever certains épisodes de son parcours d’entraîneur.
Aliou Cissé a été nommé sélectionneur du Sénégal en 2015 suite au limogeage d’Alain Giresse, conséquence d’une CAN désastreuse. Trois ans plus tôt, il était en concurrence avec ce dernier pour occuper le banc des Lions. Le technicien français sera finalement choisi. On lui aurait alors proposé le poste d’adjoint, mais celui qui venait de raccrocher les crampons aurait poliment décliné l’offre. Et à ceux qui suggéraient qu’il aurait dû accepter la promotion, histoire d’apprendre le métier, il répondait :«Giresse, il va m’apprendre quoi ?»
D’ordinaire, les «jeunes» entraîneurs font leurs premiers pas de coach dans les équipes de petites catégories ou aux côtés d’un technicien expérimenté. Mais Aliou Cissé voulait passer numéro 1 après ses piges comme second de feu Karim Séga Diouf sur le banc des Olympiques du Sénégal.
Son refus d’être l’adjoint d’Alain Giresse a payé. Il révèle toutefois un autre trait de caractère du Bélier qu’il est : il est ambitieux. Il assume : «Tout entraîneur a ses objectifs et ce sont les quarts de finale, les demi-finales, la finale ou gagner la coupe. C’est mon quotidien. Je suis un ambitieux et je veux que mon équipe le soit aussi.»
Cependant, en bon natif du 24 mars, le sélectionneur du Sénégal garde les pieds sur terre. Dans un entretien paru il y a quelques jours sur le site de la FIFA, il tempérait l’enthousiasme de ceux qui désignent le Sénégal comme la sélection africaine la plus outillée pour briller au Qatar. Refusant de se projeter au second tour avant d’avoir joué la phase de groupes. «Nous allons prendre les matches un à un», martelait-il.
Avec Aliou Cissé, le Sénégal est champion d’Afrique. N’a jamais quitté la première place africaine du classement FIFA. S’est qualifié deux fois au Mondial. Et a joué une finale de CAN. Pourtant, le jeu des Lions n’a pas été toujours flamboyant.
Mais peu importe, Aliou Cissé est un pragmatique. À ses yeux, l’efficacité prime sur la manière. D’où sa définition du bon entraîneur. «Je peux dire que c’est celui qui gagne parce que le plus important au football, c’est de gagner, décrète-t-il dans le magazine Onze Mondial. Nous sommes des sélectionneurs, nous sommes différents des entraîneurs en club. Quand vous êtes sélectionneur, chaque match que vous jouez est décisif.»
Il martèle : «Nous sommes aujourd’hui dans un contexte de résultat immédiat parce qu'on n'a pas le temps de construire en sélection. Vous avez quatre jours pour préparer un match. Il est difficile de s’attarder sur certains principes de jeu, c’est surtout la mentalité que l’on doit avoir pour gagner ces matchs-là.»
Cette quête d’efficacité fait qu’Aliou Cissé n’est pas attaché à un schéma de jeu. Il joue souvent en 4-3-3, mais il lui est arrivé de disposer son équipe en 4-2-3-1 ou en 4-4-2. Et il n’écarte pas d’explorer le 3-5-2 ou le 3-4-3.
La scène est surréaliste. Au moment de rentrer pour sa deuxième sélection, Bamba Dieng fait remarquer à Aliou Cissé qu’il préfère être en pointe. Le sélectionneur lui avait demandé de jouer sur le côté. «Je lui ai dit : ‘Ok, il n’y a pas de souci, mais aujourd’hui, j’ai besoin de toi à droite’. Moi je ne suis pas fermé à ça, jure le technicien, toujours dans Onze Mondial. Dans mon temps, tu disais ça à un entraîneur, tu ne rentrais pas sur le terrain. Ça veut dire que ces échanges-là, je trouve que c’est pas mal parce que l’objectif c’est de les utiliser dans les meilleures conditions.»
Aliou Cissé ajoute : «Bien sûr, je sais que Bamba Dieng se sent mieux attaquant qu’excentré droit même s’il est capable de jouer là. Mais c’est bien qu’il le dise. En me le disant, je me suis dit que les choses avaient changé. Parce qu’un gamin qui arrive, il trouve une équipe où il y a quand même des cadres, des ténors et te dit : ‘Non, je suis attaquant coach’. Les choses ont changé donc nous aussi devons changer.»
On voit bien qu’avec le Marseillais, Aliou Cissé a trouvé le juste équilibre entre l’écoute et la fermeté. Le joueur formé à Diambars a beau exprimer sa position, son sélectionneur lui a montré qu’il reste le boss. Cet aspect de la personnalité du sélectionneur des Lions est une autre caractéristique du Bélier. Elle «peut le rendre irritant, voire tyrannique», précisent les astres.
Ce n’est pas pour rien qu’au sein de la Tanière, le technicien de 46 ans était surnommé Yaya Jammeh, cet ancien président de la Gambie, taxé de dictateur sanguinaire.
Aliou Cissé est né de Mamadou Cissé et Oumy Dème. En dehors du fait qu’ils sont tous les deux originaires de Casamance, on sait peu de choses de ses parents. Il a grandi à Ziguinchor entre les quartiers de Kandé et de Tilène. Il a appris le Coran chez un imam nommé Modou Cissé et joué au football dans les rues de sa ville natale.
Dans un article que l’Agence de presse sénégalaise (APS) lui a consacré, son maître coranique se souvient d’un «enfant extrêmement courageux et très têtu». «Les heures de repos, poursuit le marabout, je le gardais souvent dans la salle parce qu’il se battait beaucoup avec les autres enfants. Je ne suis pas surpris de le voir devenir un homme rigoureux et combattant dans l’âme. C’est dans le sang.»
Aliou Cissé a vécu les neuf premières années de sa vie dans son royaume d’enfance. Il s’envolera par la suite rejoindre ses parents en France, dans le cadre du regroupement familial. Il pose ses valises dans le 9-4 à Champigny-sur-Marne (Paris).
Un futur footballeur venait de naître. Il joue à Champigny, à Joinville, à Viry-Châtillon puis à Nîmes avant de rejoindre l’académie de Lille où il démarre sa carrière professionnelle. Laquelle le conduira ensuite à Sedan, au PSG, à Montpellier, en Angleterre (Birmingham et Portsmouth) et une nouvelle fois à Sedan et à Nîmes. Il raccroche les crampons en 2008-2009 pour devenir entraîneur.
La Rédaction – Sport News Africa