Cheikh Tidiane Diouf, phénomène de l’athlétisme sénégalais continue de briller sur les pistes. Le spécialiste du 400m a battu son record personnel la semaine dernière au meeting La Chaux-de-Fonds en France grâce à un chrono de 45’’48. À 28 ans, et malgré l’absence de soutien financier, Diouf se rapproche des minimas pour les JO de Paris et surtout, il pourrait effacer le record du Sénégal du tour de piste d’Amadou Gakou. Un record vieux de 55 ans et qui semblait jusqu’ici inaccessible pour un athlète sénégalais.
De notre correspondant au Sénégal
Cheikh Tidiane Diouf ou comment performer à 28 ans. Il y a 6 ans, le jeune étudiant sénégalais découvre l’athlétisme lors de son concours d’entrée à l’INSEPS (Institut national du sport et de l’éducation physique du Sénégal). Le directeur technique national de l’athlétisme sénégalais, Pape Serigne Diène décèle alors un immense potentiel chez ce garçon qui claque 51 secondes en claquettes sur le 400m. Cinq ans après, il a gagné 6 secondes. Rien que ça. Avec le soutien des autorités sportives, Cheikh Diouf devrait bientôt s’inscrire parmi les meilleurs mondiaux sur le tour de piste.
En 2019, Pape Serigne Diène décide de confier la carrière de son poulain à Manirou Dembélé. L’ancien athlète international sénégalais accepte finalement le challenge après avoir sondé Cheikh Diouf. « Il m’a appelé pour me dire qu’il y a un jeune homme qui fait du 46 secondes 30, raconte-t-il au micro de SNA. Il m’a demandé de le prendre sous mon aile, de lui chercher un club en France et de faire un projet sportif autour de lui. J’ai d’abord discuté avec Cheikh Tidiane pour voir s’il est motivé et si ça vaut la peine d’investir sur lui. J’ai vu que c’était un gars sérieux, qui m’a tout de suite fait confiance », a confié Dembélé.
Le plan est clair. Faire venir Cheikh Tidiane Diouf en France pour lui donner une chance d’améliorer ses performances dans un meilleur environnement qu’au Sénégal. « J’étais en collaboration avec le président d’un club à Angers. Je lui avais proposé le projet de Cheikh Tidiane. Au début, c'était pour l’aider à venir en France, faire les tests dans le club et rester un ou deux mois, le temps de faire quelques compétitions et baisser ses chronos dans de meilleures conditions. Avec la Covid-19, il n’a pu revenir. Mais on est reparti sur le même projet avec le club et ma structure 3MS », ajoute-t-il.
Au club de l’Entente Angevine Athlétisme, Cheikh Tidiane Diouf brave le froid avant de se forger une réputation de fusée dans les compétitions hexagonales. Triple champion du Sénégal en titre, le phénomène Cheikh Diouf est difficile à élucider. Comment performer quand on découvre l’athlétisme à 23 ans ? « C’est un don chez Cheikh Tidiane. Après il travaille fort avec son entraîneur, Serigne Diène. C’est un coach qui maîtrise bien les choses parce qu'emmener une personne de 0 à 90, il faut le faire. Aujourd’hui, Cheikh fait 45’’48 et fait partie des meilleurs en Afrique. Il peut rivaliser avec les athlètes du Botswana, d’Afrique du Sud », nous explique son Manager, Manirou Dembélé.
Considéré actuellement comme l’un des athlètes les plus prometteurs au Sénégal, Cheikh Tidiane Diouf ne fait pourtant pas partie des 18 sportifs choisis par le CNOSS (Comité national olympique et sportif sénégalais) pour bénéficier d’une bourse en vue de préparer les Jeux de Paris. « Ce n’est pas facile, reconnaît Cheikh Diouf joint au téléphone par SNA. Le haut niveau demande énormément de choses, beaucoup d’accompagnement. Le comité olympique a donné des bourses à quelques athlètes de différentes fédérations pour se préparer aux Mondiaux et aux JO. Je n’ai pas de bourse et c’est grâce aux efforts de mon Manager, Manirou Dembélé que je parviens à joindre les deux bouts. En plus de l’expertise de mon coach Pape Serigne Diène », a-t-il promis.
Depuis 2020, la Fédération française d’athlétisme n’admet plus les athlètes étrangers lors des championnats de France. Ce qui pousse les clubs français à ne plus aider financièrement ces sportifs. Licencié au club d’Angers depuis décembre 2020, Cheikh Tidiane est supporté par son manager. « Quand il est en France c’est moi qui achète son billet, c’est moi qui le loge, le nourrit et achète ses billets pour se rendre aux meetings en Suisse, en Suède. On négocie avec les organisateurs mais les primes sont en deçà des frais que l’on a. On ne gagne pas d’argent, on en est même très loin. On investit, on bricole de gauche à droite », confie Manirou Dembélé.
Dernièrement en Suède, le duo a dépensé 1000 euros pour prendre part à un meeting qui leur a rapporté 1000 euros grâce à la victoire de Cheikh Tidiane sur l’épreuve du 400m. Avec les taxes de 15% ils n’ont encaissé que 850 euros. Voici le quotidien de Cheikh Tidiane Diouf et son agent. Malgré ces difficultés, le natif de Touly dans la région de Thiès ne cesse de progresser. Dembélé et son poulain tirent le diable par la queue pour parvenir à faire des meetings. « Si Cheikh avait eu le soutien de la Fédération sénégalaise, le ministère des sports ou le CNOSS, on allait établir un plan sur les gros meetings parce qu’il aurait les moyens de payer son billet », a-t-il reconnu.
Les progrès de Cheikh Tidiane Diouf sont bluffants pour un jeune homme qui a découvert l’athlétisme sur le tard. Il est toutefois loin de ce qui se fait de mieux sur le 400m mondial. À l’image de Wayde Van Niekerk (44’’17) ou encore du champion d’Afrique en titre du 400m, Samukonga Muzala. Le Zambien de 20 ans détient la meilleure performance mondiale de l’année en 43’’91 au meeting de Gaborone. Pas de quoi refroidir Cheikh Tidiane qui sait en avoir encore sous la semelle. « Je suis conscient d’avoir le potentiel de me qualifier aux championnats du monde et aux Jeux olympiques. Je dirais même que je peux atteindre les finales olympiques. On travaille dessus en enchaînant les meetings. Les chronos s’améliorent à chaque fois. On pense pouvoir atteindre les 45’’00 avant la fin de la saison », argue-t-il à notre micro.
« J’échange régulièrement avec son entraîneur et je vois ses chronos aux entraînements et en compétitions. Dernièrement à la Chaux-de-Fonds, il court la veille, on voyage la nuit et on arrive vers 3 heures du matin à la Chaux-de-Fonds. Il a à peine 4 heures de sommeil et le lendemain il court vers midi et bat son record. C’est assez costaud et ça prouve qu’on en est plus très loin de ces 48 centièmes des minimas et du vieux record du Sénégal », assure Dembélé. Il ajoute : « Mais cela demande des moyens car l’athlétisme est un sport de haut niveau. Le haut niveau ce n’est pas du bricolage. »
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En 1988, le Sénégal décroche sa première et jusqu’ici unique médaille olympique grâce à Amadou Dia Ba. Le hurdler sénégalais confiait avoir bénéficié d’un soutien direct du président du Sénégal à l’époque, Abdou Diouf. Un soutien conséquent sur la durée ponctué par ce titre de vice champion olympique aux JO de Séoul. Ce dont rêve Manirou Dembélé pour son joyau. « Cheikh devait être un athlète de l’Etat du Sénégal, du comité olympique, lance-t-il. Arriver à claquer 45’’48 sans aide, ni bourse c’est vraiment costaud. Aujourd’hui en France il n’y en a pas trois qui font de telles performances sur 400m. Pourtant ils ont la chance de s’entraîner aux États-Unis durant une partie de la saison, avec de gros moyens à leur disposition », reconnaît-il.
C’est dans l’indifférence des autorités sportives sénégalaises que Cheikh Tidiane Diouf progresse au quotidien. « Aujourd’hui Cheikh est un athlète du Sénégal dont les performances ne sont valorisées que par le DTN, qui est son entraîneur, regrette Dembélé. Il n’a jamais reçu un appel d’encouragements de sa Fédération depuis qu’il est en France. Il vient de battre son record personnel, ç’aurait été motivant d’avoir un coup de fil du président de la Fédération sénégalaise. Si jamais il bat le record du Sénégal et réalise les minimas pour les Jeux olympiques, ils crieraient sur tous les toits que c’est leur athlète », s’agace-t-il.
« Au Sénégal ils ne savent pas ce qu’ils ont dans les mains avec Cheikh Tidiane Diouf. Quand je l’accompagne dans les compétitions, des entraîneurs français, qataris et même ceux de Kevin et Jonathan Borlee récemment à Annecy l’ont vu courir et sont venus me demander d’où venait ce jeune homme et pourquoi ils ne le connaissaient pas. Je leur ai expliqué que cela ne fait que 5 ans qu’il a commencé l’athlétisme. Ils m’ont dit que ce n'était pas possible. Cheikh est une pépite extraordinaire. Ça fait mal de le voir dans une galère financière parce qu’au Sénégal il est au club de l’AS Douanes où on lui donne moins de 50 euros pour son transport tout le mois », a révélé Manirou Dembélé.
Des conditions déplorables qui ne favorisent pas le développement d’un athlète. Sans le soutien des autorités sportives sénégalaises, Cheikh Tidiane Diouf pourrait céder aux sirènes de Fédérations plus ambitieuses qui lui font déjà la cour. Du déjà-vu pour l’athlétisme sénégalais. « On a eu par le passé l’épisode avec Kassé Hann (athlète sénégalais prometteur qui a finalement opté pour la nationalité française, ndlr), rappelle Dembélé. Aujourd’hui il y a tant de pays dont le Portugal qui rêvent d’avoir Cheikh Tidiane Diouf. Il faut que l’Etat du Sénégal, le CNOSS l’accompagnent, s’ils veulent que Cheikh batte ce record qui date de 1968. »
Moustapha M. SADIO