Si le handball féminin du Congo-Brazzaville bat de l’aile ces dernières années, la sélection nationale a connu une période glorieuse avec quatre titres d’affilée de championne d’Afrique. Anne Solange Ipolo Koulinka, deuxième meilleure buteuse de l’histoire du championnat d’Afrique des nations, l’une des artisanes de cette performance, pour Sport News Africa, fait revivre cette épopée du handball congolais. Entretien.
De notre correspondant au Congo-Brazzaville,
Sport News Africa : Il y a une quarantaine d’années, comme de véritables diablesses rouges, vous effrayiez, envoûtiez ou neutralisiez quiconque se mettait en travers de votre chemin sur le continent. Quels sont les souvenirs qui vous avez gardés de ces moments glorieux du handball féminin du Congo-Brazzaville ?
Anne Solange Ipolo Koulinka : Effectivement, nous avons été sacrées championnes d’Afrique de 1979 à 1985. Remporter une aussi prestigieuse compétition quatre fois consécutives, devant des adversaires coriaces comme les redoutables Angolaises ou les indomptables et impitoyables Camerounaises, oui, nous étions le cauchemar de plusieurs équipes africaines. Et même
au-delà du continent. Je pense que ce n’est pas quand même rédhibitoire de dire que c’était jouissif ! S’il était possible de
revivre le passé !
Comment avez-vous réussi à atteindre un tel niveau ?
Si c’est un roman que j’écrivais, je parlerais en termes de prologue de notre épopée : le véritable point de départ fut les jeux de l’Office national du sport scolaire et universitaire (ONSSU). À l’époque on demandait aux dirigeants des équipes d’aller voir comment les élèves jouaient pendant les jeux de l’ONSSU. Et cette obligation concernait toutes les disciplines. C’est comme ça que la plupart d’entre nous ont été identifiées. Arrivées dans ces clubs, nous avons subi une formation de qualité, surtout nous, à l’étoile du Congo avec le coach «Mon cher» (de son vrai nom Casimir Molongo, Ndlr). C’est ainsi que nous, qui étions considérées comme des outsiders, avons pris de court de nombreuses équipes. Lors des Jeux d’Afrique centrale de 1976 de Libreville au Gabon, on remporte contre toute attente la médaille d’or en battant le Cameroun. Deux ans plus tard à Luanda, on réédite l’exploit devant les mêmes Camerounaises. Or, c’est comme si ces tournois tenaient lieu de préparation du Championnat d’Afrique des nations. En 1979, nous remportons le challenge Marien Ngouabi (du nom du troisième président congolais assassiné en 1977). En tout cas, les autorités congolaises avaient mis à notre disposition tous les moyens (c’est pour la première fois que je vois une telle implication). Et en passant, j’ai été élue meilleure buteuse avec 54 buts en cinq matches avant que ce record ne soit battu en 2018 par Christiane Mwasesa de la RDC avec 63 réalisations en neuf rencontres. C’est donc grâce à cette formation, cette discipline et cette implication collective que nous avons remporté les championnats d’Afrique de 1979, 1981, 1983 et 1985. Si bien que nous avons fini par conserver le trophée Marien Ngouabi.
Quels sont pour vous les événements les plus marquants de cette période ?
Il y en a eu beaucoup. Qui pouvait croire que les «petites» Congolaises pouvaient battre les États-Unis ? Nous les avons battues en 1979, lors du tournoi tricontinental tenant lieu des préparatifs pour les Jeux olympiques de Moscou en 1980. Et personnellement, j’ai déjeuné à la même table que le président Mobutu en 1982. J’étais parmi les gagnants du trophée Mobutu. En initiant cette distinction, le président Mobutu primait les quatre meilleurs sportifs de l’Afrique. Et j’étais en tant que meilleure buteuse du championnat des nations de 1979, je fus de la partie. C’est pour moi anecdotique. Et je m’en souviendrai toujours.
Après ces années fastes, soudain le déclin...
Oui. Mais depuis la nuit des temps, la constance est restée un idéal pour beaucoup de sportifs à travers le monde. Même les grandes civilisations ont connu leur déclin après de longues périodes d’apogée. Le handball congolais se meurt... Malgré de multiples efforts consentis par les autorités, le handball congolais bat de l’aile. Il n’est plus ce qu’il était par le passé.
Quelles sont pour vous les causes de ce déclin ?
Comment en est-on arrivé là ? Permettez-moi de m’attarder sur un fait : l’État nous avait envoyées en Roumanie pour préparer les compétitions internationales dont le championnat d’Afrique des nations. Le coach roumain, monsieur Vasila, après nous avoir observées signifia clairement à nos managers que nous étions au point. Or, il fallait proposer un effectif qui fasse l’unanimité. Les managers demandèrent ainsi à monsieur Vasila de proposer une compo. Dans celle-ci, cinq joueuses étaient de l’Étoile du Congo. Il s’agit de Madeleine Mitsotso, gardienne de but, Nicole Oba (capitaine, Ndlr), demi-centre, Solange Koulenka, arrière-droit, Yvonne Makouala, arrière-gauche, Micheline Okemba, pivot. Seules Azanga de Cara et Mbilampassy de Diables noirs n’étaient pas de l’Étoile du Congo. Et les consignes du Roumain furent respectées à la lettre. Si c’était aujourd’hui, beaucoup d’encre et de salive allaient couler. Mais aujourd’hui, le culte du mérite a disparu au profit d’autres critères. La rétribution des 10% aux managers est un secret de Polichinelle, même si certains responsables s’efforcent de sortir du lot. Autre chose : demandez à mes coéquipières, ou nos responsables, beaucoup d’équipes nous avaient proposé de rester dans leurs pays. Nous avons refusé. Là encore, on ne pouvait pas reprocher à une joueuse de signer un contrat professionnel. Mais de là à disparaître pour élire désormais domicile en Europe, c’est quand même déplorable.
Comment faire retrouver au handball congolais son lustre d'antan ?
Le handball féminin congolais est en train de se remettre sur les rails. Je fais référence à la quatrième place lors du championnat des nations au Cameroun et à la sensation créée au récent Mondial à Barcelone, malgré de multiples tracasseries auxquelles les joueuses ont face du fait de l’insuffisance des moyens mis à leur disposition. Donc, d’un point de vue managérial, il faut réhabiliter les jeux de l’ONSSU. Et ce n’est pas tout. Il faut, comme par le passé, un suivi réel et un management pragmatique. Pour résumer, il faut un management qui réponde aux nouveaux paradigmes et aux exigences contextuelles à l’effet de révolutionner le handball. Donc, il faut vraiment des états généraux pour notre handball. Je veux parler de vrais états généraux où la parole sera donnée prioritairement aux sachants qui feront un véritable diagnostic à l’effet d’émettre des propositions concluantes.
John Ndinga-NGOMA