Le double médaillé olympique n'écarte pas de prendre les armes si les forces tigréennes lancent l'assaut contre Addis-Abeba, la capitale de l'Ethiopie. Pendant ce temps les athlètes en activité sont dans le désarroi à l'instar de la triple recordwoman du monde qui s'entraîne en cachette.
La guerre entre l’Etat central éthiopien et les Forces de défense du Tigré (FDT), situées au nord du pays, connaît une accalmie. Les insurgés ont opéré un repli qu’ils disent «stratégique». Il y a quelques jours, ils fonçaient sur Addis-Abeba, la capitale. Le Premier ministre Abiy Ahmed continue d’appeler les populations à prendre les armes. Le risque d’affrontements est réel. Un scénario rwandais est redouté. Des pays comme la France accélèrent l’évacuation de leurs ressortissants.
Au milieu de cette atmosphère volatile, les athlètes du pays, ne savent pas où donner de la tête. D'autant que leur différence ethnique, jusque-là enfouie sous le drapeau éthiopien, les exposent désormais à des violences selon l'évolution de la situation en faveur d'un camp ou de l'autre. Les uns sont tigréens; les autres, amhara ou oromo.
Pour trois anciens coureurs éthiopiens, et pas des moindres, les choses sont claires : il est hors de question de laisser les forces du Tigré renverser sans frais le gouvernement central. «Un sportif est d’abord un ambassadeur de la paix et de l’amour, mais lorsque l’existence de votre pays est en jeu, vous abandonnez ça», a déclaré dans L’Equipe Haile Gebreselassie.
Le double médaillé olympique (10 000, en 1996 et en 2000), l’un des plus grands coureurs de tous les temps, est une autorité très respectée en Ethiopie. Il se dit prêt à aller au front et justifie : «Si quelqu’un veut mettre mon pays à terre alors je me dresse contre ça. Si je dois prendre les armes ? Avons-nous le choix ? Je suis major ! Ne soyez pas surpris si je prends une arme, je l’ai déjà fait.»
Gebreselassie ne serait pas le seul athlète à la retraite éthiopien au front s’il franchissait le pas. Le champion du monde du marathon en 2001, Gezahegne Abera, et le vice-champion olympique 2016 de la même discipline, Feyisa Lilesa, se disent également prêts à défendre Addis-Abeba contre les FDT.
Les athlètes en activité, eux, ne se sont pas encore ouvertement prononcés. Ils poursuivent leur préparation en silence. Dans l’angoisse et l’incertitude. Les amhara et les oromo s’exposent à des exactions en cas de prise d’Addis-Abeba par les forces venus du Nord. Leurs collègues originaires du Tigré, pour leur part, craignent déjà d’être la cible de violences de partisans du gouvernement central.
C’est pour cette raison, renseigne L’Equipe, que la triple recordwoman du monde (5000 m, 10 000 m et semi-marathon), Letesenbet Giday, tigréenne, s’entraîne en cachette. D’autres athlètes du même groupe ont probablement suivi son exemple. On peut citer Hagos Gebrhiwet, Gudaf Tsegay, Gebregziabher Gebremariam…
La sélection éthiopienne a toujours été un cercle où cohabitaient harmonieusement tous les groupes ethniques. L’objectif était unique : faire briller le drapeau de l’Ethiopie. Sans revendiquer son appartenance ethnique. Le quotidien sportif français rappelle que Gebreselassie n’a jamais accepté, alors qu’il était au sommet de sa gloire, de mettre en avant son appartenance aux amharas. Le marathonien Kenenisa Bekele, un oromo, est marié à une Tigréenne. Le conflit au Tigré, qui dure depuis un an, menace cet équilibre. Et les coureurs éthiopiens risquent d’en pâtir.
World Athletics assure être en lien avec les athlètes en surveillant la situation. Au plan local, on essaie de prendre les devants. «Nous avons établi un plan d’évacuation pour les athlètes de notre groupe, confie à L’Equipe le manager néerlandais Jos Hermens. A tout moment, nous sommes prêts à les transférer au Kenya où nous avons des sites d’entraînement. Pour l’instant, ils poursuivent leur préparation à Addis-Abeba. Nous nous tenons informés de la situation.»
La Rédaction