Avant-centre, Serge Ngoma Mouellet dit jouer et marcher « sur les traces et valeurs de Karim Benzema ». Ce qui lui réussit, tant le jeune autochtone est devenu le fer de lance de son équipe. Un atout pour faire tomber toutes les idées reçues négatives sur sa communauté. Portrait.
De notre correspondant au Congo,
« Vive notre Benzema ! Il va encore nous faire plaisir aujourd’hui ! ». Ici, ce n’est pas Madrid encore moins Jeddah (ville abritant le Al-Ittihad). Nous sommes plutôt à Missama, un petit village du district de Sibiti dans la région de la Lékoumou, au sud-ouest du Congo-Brazzaville.
C’est dire que la bourgade a aussi son Benzema sur lequel comptent les quelques 500 habitants lorsque le FC Missama doit livrer quelque rencontre, fût-elle amicale. Et en ce premier dimanche de juillet, tous les regards étaient encore rivés sur ce Benzema noir pour accueillir en match amical, le club du quartier numéro 4 de Sibiti. Un espoir qui n’a pas été trahi puisque le dossard 9 de Missama a donné la victoire (2-0) à son équipe en signant un magnifique doublé (35e et 56e minute).
Le KB 9 de Missama, c’est bien cet adolescent d’une dizaine d’années répondant au nom de Serge Ngoma Mouellet. Il est issu de la communauté autochtone, ce peuple « se distinguant des autres groupes de la population nationale par leur identité culturelle, leur mode de vie (vivant en forêt de la cueillette et de la chasse, NDLR) et leur extrême vulnérabilité », selon la loi n° 5-2011 du 25 février 2011 « portant promotion et protection des droits des populations autochtones » au Congo-Brazzaville.
Malheureusement, les frères Bantous se sentant plus « évolués ou civilisés pour avoir été les premiers en contact avec le Blanc », repoussent souvent les autochtones anciennement appelés pygmées (terme dont l’usage est désormais interdit). Accusés d’être sales et peu ou pas du tout civilisés, les autochtones sont rejetés pour leur « sauvagerie et leur saleté ». Des préjugés assez suffisants pour tenir à distance et partant étouffer tout talent émanent de quelque membre de la communauté autochtone. « Vu tous ces jugements qu’on fait de nous, j’ai résolu de rester à l’écart pour ne pas les salir (Bantous, NDLR) quand bien même j’ai parfois envie de jouer », témoigne un autochtone.
Option différente pour Serge Ngoma Mouellet. « C’est vrai qu’au début c’était difficile d’être accepté par mes frères Bantous. Mais petit à petit, l’appétit venant en mangeant (rires), ils ont commencé à ne plus me repousser », se souvient-il. « Il était en concurrence au poste d’attaquant avec un jeune Bantou. Mais il a pu s’imposer au point de décrocher la place de titulaire », témoigne Fridol Moukengué, Bantou, milieu défensif. Pour nous qui sommes en défense, la présence de Ngoma Mouellet en attaque est une assurance. En ce qui me concerne, je dois tout faire pour récupérer et réussir de bonnes relances afin que la balle parvienne à notre 9. Il suffit de lui glisser de bonnes balles, il vous fera plaisir ».
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Mais si le talent a été un atout majeur d’intégration au sein du FC Missama, la spécificité de la loi sur la promotion et la protection réside dans sa rigueur quant à la discrimination de ce peuple. L’article 14 du texte par exemple prévoit des peines d’emprisonnement ferme (au moins 5 ans) et des amendes allant de 5 000 (7,62 euros) à 5 millions de francs CFA (7 622,45 euros) en cas d’assimilation forcée ou de discrimination de toutes sortes.
Ce qui contribue à faire bouger les lignes. « Ici, je ne ménage aucun effort pour parler aux populations de cette loi. Voilà pourquoi, les mentalités commencent à changer. L’autochtone peut désormais s’asseoir à côté du Bantou. Et il n’y a aucune raison de sacrifier un talent comme Mouellet sous prétexte qu’il est autochtone », se félicite Jean Félix Moukengué, ancien arbitre international à la retraite et aujourd’hui chef du village Missama.
Conscient de son talent, Serge Mouellet sait cependant qu’il ne saurait se faire entendre tant qu’il ne s’exprimera que du fond de la luxuriante forêt qui entoure son village. « Les compétitions sont rares. Nous nous contentons de rares matches amicaux. On a besoin des tournois. Je veux affronter de grandes stars pour que je devienne star à l’instar de mon idole Benzema », rêve Ngoma Mouellet. Du côté des pouvoirs publics, la volonté est là. « Mais les foyers font défaut. Et ça ne concerne pas que les autochtones. C’est un problème général », explique Jean Pascal Ikiti, président de la Ligue départementale de football de la Lékoumou.
Et si le sport contribuait à l’insertion socioéconomique des populations autochtones ? En tout cas, plus qu’un simple souhait, la thématique devrait être examinée avec minutie à l’occasion de la journée internationale des populations autochtones qui sera célébrée le 9 août prochain.
John Ndinga Ngoma