Il y a des matches qui marquent à vie. Surtout quand ils impliquent des problèmes familiaux. En 1994, Dago Charles remporte la Coupe de la Côte d’Ivoire avec le Stade d’Abidjan devant Africa Sports. L’ancien attaquant ivoirien a semé la tempête dans la défense de l’Africa Sports pour récolter la colère de son père, fervent supporter des Aiglons.
Le Stade d'Abidjan a été le premier club ivoirien à gagner la première Coupe d'Afrique des clubs champions devenue par la suite Ligue des Champions CAF, en 1966. Plusieurs joueurs ont marqué le club bleu et rouge. Dago Charles (47 ans, 7 sélections, 1 but) en fait partie. L'ancien international ivoirien se rappelle particulièrement d'une rencontre qui a marqué sa carrière à jamais. Il s'agit de la finale de la Coupe nationale en 1994 face à l'Africa Sports. «On a battu l'Africa (4-2). On avait éliminé l'Asec Mimosas en demi-finale (3-1). Cette finale, on l’avait bien préparée. Il y avait dans le groupe Ibrahim Bakayoko qui jouera par la suite à l’OM» se remémore l’attaquant.
Ce choc avait été joué dans un contexte particulier avec des relents régionalistes à l'époque. Dans les années 90, plusieurs joueurs du Stade d'Abidjan venaient de la Région de l'Ouest où l'Africa Sports, l'adversaire de ce jour-là, était encré. C’était son bastion. Il y avait donc un doute au sujet de leur implication notamment dans cette rencontre à venir. «Ce qui nous dérangeait, c'est que le comité exécutif ne croyait pratiquement pas en nous pour cette finale, dans la mesure où on était pratiquement tous de la région de l'ouest. Que ce soit Kamara Ibrahim, Tizié Jean-Jacques, Zézé Tapé Guy Claude, Camara Yssouf, Mobio Éric, Guedé Gba Ignace, Bolou Gnazalé, Lago Patrice Glogbo. Ils étaient convaincus qu'on allait tricher face à l'Africa Sports supposés être le club de nos ancêtres. La pression était tellement forte que c'était difficile pour nous en tant que joueur. Mais, on a essayé de résister à cette pression et le jour du match, on a éclaboussé cette équipe de l'Africa (4-2). On a outrageusement dominé la partie. On a mené (2-1) à la pause» explique Dago Charles qui signera personnellement une deuxième période de très grande classe.
«Après la pause, j'ai fait des slaloms. Sur le troisième but, au sortir d'un dribble sur Gnéto Kpassagnon, j'ai terminé l'action par un enchainement ponctué d'un coup de pied foudroyant des 30 mètres. Je n'en avais pas fini. Après un départ en solo face à quatre joueurs de l'Africa dans la surface, j'ai mis sur orbite Salifou Diarrassouba pour le 4e but. On a ensuite contrôlé la partie tranquillement jusqu'au bout sans vaciller. Après le match, on a eu tout ce qu'on voulait, mais moi mes parents m’avaient boudé. Ils étaient tous du côté de l'Africa en l'occurrence. Mon père a refusé de me saluer, parce que pour eux c'était inconcevable que je batte l'Africa, mon club de cœur, le club de ma famille et de ma région. J'ai beaucoup souffert après cette victoire et je me suis dit voilà comment le football peut nous réserver des surprises, voilà comment le sport roi peut diviser des familles. C’était déplorable. J'en ai souffert moralement sur le coup», raconte le désormais consultant et journaliste sportif avec une pointe d'amertume.
Malgré tout, Dago préfère garder la belle aventure de sa formation, le Stade d’Abidjan. «Il y avait 45.000 spectateurs au stade et le match était aussi retransmis en direct à la télé. Notre équipe était fabuleuse. Il y avait Tizié Jean-Jacques dans les buts, Kamara Ibrahim, Camara Yssouf, Bolou Gnazalé, Lago Patrice Glogbo, Mobio Éric, Zézé Tapé, Bakayoko Ibrahim, Salif Diarrassouba, Loué Guy Claude, Topa Grégoire, Tra Bi Serge et moi-même. On était une bande de 14, 15 gars. Franchement nous étions au top. J'avais démontré que j'étais le numéro 10 dont la Côte d'Ivoire avait besoin. Je venais de faire un gros match face à l'Africa Sports constitué à l'époque de dix internationaux», ressasse Dago Charles.
Grâce à sa prestation dans cette finale, Dago Charles verra les portes de la sélection s’ouvrir pour lui. «Après ce match qui avait tellement marqué les gens, je me retrouvais en équipe nationale pour mon premier match face au Mali (2-0) et après je ne suis plus sorti de la sélection», explique le retraité, âgé de 47 ans.
Après l’Africa Sport, il jouera à Lokeren (Belgique), à Al Jazira (Emirats arabes-unis) et au Koweit.
Sanh SEVERIN