Le Sénégal a décroché la médaille de bronze aux championnats du monde de football des Malentendants tenus en Malaisie. Une compétition organisée par la Deaf International Football Association (DIFA). Un succès sénégalais qui porte la marque de Souleymane Bara Fomba. Le sélectionneur des Lions est revenu au cours de cet entretien exclusif avec SNA sur la résilience de son groupe confronté à une préparation difficile, des problèmes logistiques pendant le tournoi. Sous contrat jusqu’en 2025, Fomba vise le titre africain dont il est tenant actuellement ainsi que les prochains jeux des Malentendants en 2025.
SNA : Coach Fomba, vous revenez fraîchement des championnats du monde avec la médaille de bronze. Êtes-vous satisfait de la campagne de votre équipe ?
Notre objectif était de monter sur le podium. On est donc extrêmement heureux de remporter cette belle médaille de bronze. Cela confirme désormais notre statut de meilleure équipe africaine de football chez les Malentendants. Nous sommes champions d’Afrique en titre après le succès au Kenya (en 2021, ndlr). En dominant l’Égypte lors du match pour la 3ème place (victoire 2-1), nous gardons cette première place sur le continent. Ce n’était pas facile mais nous y sommes parvenus.
Revenons sur cette demi-finale face à l’Ukraine après votre beau parcours. D’où avez-vous puisé cette résilience pour arracher l’égalisation à la 122ème minute ?
Il faut rappeler qu’on prépare ces championnats du monde depuis 8 mois. On a organisé un mini championnat national qui a réuni plusieurs régions comme Kolda, Ziguinchor, Thiès, Dakar… C’est la base de notre présélection de 40 joueurs qui nous a permis de faire une préparation poussée durant 6 mois. C’est cette préparation qui explique notre fluidité et notre solidité dans cette compétition. Elle nous a permis de revenir du néant face à l’Ukraine. Pendant 120 minutes face à la meilleure équipe du monde dans cette discipline. On savait qu’on pouvait leur tenir tête après le nul en phase de poules (2-2).
Nous avions mené dans ce premier match à deux reprises. On savait qu’on avait le potentiel pour gagne. On a manqué de chance. Il y a eu ce manque de lucidité devant les buts de nos attaquants. On s’est procuré trois occasions franches dans le temps réglementaire qu’on aurait dû concrétiser. Ils ont réussi à mener en prolongations. Mon équipe en avait encore sous la semelle. J’ai procédé à une modification de mon système de jeu avec 3 défenseurs, 3 milieux de terrain et 4 attaquants pour arracher cette égalisation. Nous n’avons pas perdu nos deux confrontations face à cette grosse équipe d’Ukraine.
Avez-vous des regrets sur l’exercice des tirs au but perdu 8-7 ?
J’avoue qu’on a fait une erreur dans cette séance de tirs au but. Nous devions changer de gardien de but. Notre 2ème gardien (Zacharia Diallo) est meilleur dans cet exercice. Juste après le but égalisateur, j’ai demandé à mes adjoints de procéder au changement de gardien de but. On n’a malheureusement pas eu assez de temps et l’arbitre a sifflé la fin des prolongations. Notre 8ème tireur a manqué sa tentative. C’est un jeune joueur, on ne lui en veut absolument pas. Il avait la volonté de tirer mais ce n'était pas encore son tour. Il y avait encore deux anciens avant lui. J’ai d’ailleurs appelé avant le tir pour leur dire qu’un d’eux y aille à sa place parce qu’il n’a pas assez d’expérience. Mais cela devait se finir ainsi. Cela nous permet d’engranger plus d’expérience pour gérer ce genre de situation à l’avenir.
Comment vous êtes-vous relevé de cette désillusion pour remporter derrière le match pour la médaille de bronze devant l’Égypte ?
En allant à cette compétition, nous voulions terminer sur le podium. Malgré les conditions difficiles durant la préparation, je savais qu’on avait les qualités pour tenir tête à ces équipes. On a fait un travail très sérieux au Sénégal. On les a préparés sur toutes les phases tactiques et mentales du football moderne. Après notre élimination face à l’Ukraine, on s’est tout de suite remobilisé. On avait plus d’ambition mais on était encore dans les clous de nos objectifs et il ne fallait pas rater le podium. La motivation pour battre l’Égypte était présente chez les joueurs. Ils se sont donnés à fond pour décrocher le bronze.
Sur les réseaux sociaux on a vu les conditions difficiles vécues par votre équipe. Pas de maillots d’entraînement. Pas d’équipements. En avez-vous fait une force ?
Je leur (les joueurs) ai dit de faire abstraction de ces manques. Là où nous sommes, le manque logistique était accessoire. Il fallait montrer au peuple sénégalais que nous étions de vrais ambassadeurs, des soldats qui devaient atteindre leur mission. Il ne fallait plus se concentrer sur ce que l’on n’a pas mais sur ce que l’on pouvait faire sur le terrain. Nous sommes meilleurs que ces équipes. Elles étaient mieux loties que nous, et cela nous a motivés sur le pré. Ça aurait été dommage qu’on se laisse abattre par ces problèmes de maillots. Je suis fier de mes joueurs. Ils ont joué sans aucune prime de match. En tant que sélectionneur, depuis un an je n’ai pas de salaire. Pour autant, je continue d’entraîner cette équipe par passion et patriotisme. Le drapeau du Sénégal doit flotter haut.
Comment capitaliser sur cette médaille de bronze pour développer le football des malentendants au Sénégal ?
La compétition des sourds-muets est un sport spécifique qui demande un meilleur accompagnement au niveau de l’organisation. L’organisation laisse à désirer. On constate de vrais manquements. S’ils s’ouvrent un peu plus aux autres pour les aider à mieux structurer un championnat, le football des malentendants sera plus développé et mieux vulgarisé au Sénégal.
Rappelons que cette discipline ne fait pas partie de la Fédération sénégalaise de football ni du handisport. Comment intégrer une aide extérieure à l’association des sports sourds ?
Il faut qu’ils parviennent à faire le distinguo entre l’association sénégalaise des sports sourds (ASSS) et l’équipe nationale des malentendants. Il faut trouver des gens compétents pour organiser la partie football. Les mêmes personnes sont à plusieurs postes entre l’association et l’équipe nationale. C’est moi qui me suis occupé de l’organisation du tournoi national de détection. Si je ne m’en étais pas occupé moi-même, avec leur façon de gérer, le football des malentendants aurait stagné. Avec cette 3ème place mondiale, ça devrait provoquer une évolution de leur état d’esprit.
Quelles sont vos perspectives et celle de cette équipe ?
En août 2022, j’ai signé un contrat de trois ans avec eux pour diriger cette équipe. Nous avons des compétitions importantes devant nous. Il faudra aller défendre notre titre à la 2ème édition des championnats d’Afrique. Cela devrait se tenir au Sénégal ou en Égypte d’après certaines sources. Il y a également les jeux olympiques des malentendants (Deaflympics) en 2025 au Japon. Cela fait partie de mon contrat. Nous sommes désormais demi-finalistes mondiaux. Ce statut peut profiter à nos joueurs pour progresser et capitaliser en direction de ces deux prochains tournois internationaux. Nous avons la matière première, il nous manque juste l’organisation pour briller dans ces deux compétitions.
Par Moustapha M. SADIO