Jean Pierre Bourhis a déjà basculé dans la préparation des JO de Paris 2024 après son élimination en qualifications du slalom aux Jeux de Tokyo en 2021. Le céiste franco-sénégalais est revenu lors d’une interview pour Sport News Africa, sur les raisons de cette élimination prématurée, l’importance de se qualifier à ses 3èmes olympiades en 2024 et son projet de construction de bateaux au Sénégal pour les JOJ au Sénégal.
Jean Pierre Bourhis, comment avez-vous vécu votre parcours aux derniers JO de Tokyo ?
Un parcours assez mouvementé comparé à Rio. Tout a commencé avant les sélections olympiques où j’étais en forme et prêt pour la compétition. Malheureusement, le covid est arrivé et les sélections olympiques ont été annulées, le confinement, les restrictions s’en sont suivis. S'entraîner était quasiment impossible. C’était les montagnes russes sur le processus de sélections où un moment j’étais annoncé sélectionné puis les compteurs ont été remis à zéro. Il a fallu tout recommencer à zéro, les dates de nouvelles sélections ont été révélées très tardivement et il a fallu s'entraîner dans le flou sans objectif pendant une longue période. Puis la partie préparation a commencé avec beaucoup d’incertitudes. Le parcours de Tokyo peut être comparé à de véritables montagnes russes.
Cette élimination en qualifications était-elle due à une trop grosse pression que vous vous êtes mise pour votre 2ème olympiade ?
Jean Pierre Bourhis : Une partie de l’explication de ce résultat est ma blessure survenue à 10 jours des courses lors d’un entraînement. Une hyper extension au niveau des abdominaux m’a causé cette blessure. Il a fallu faire au mieux avec les moyens du bord et lors de ma 2ème manche, malgré un super temps de parcours, je n’ai pas voulu solliciter de nouveau en hyper extension et j’ai donc dû récupérer une porte ce qui m’a coûté la place en demi-finale. La période avant les Jeux a été compliquée pour moi, car il a fallu concilier mon stage de fin d’études en école d’ingénieur, la préparation olympique et l’aspect préparation et logistique de Tokyo qui prenait beaucoup de temps et d’énergie. Je sais que cette période est déterminante et que pour la prochaine olympiade, je vais faire des choix différents pour mieux appréhender cette période dense.
Comment vous êtes-vous senti de retour à la maison ?
Forcément beaucoup de frustration et de déception de ma part, mais je crois qu’il faut accepter et assumer les choix que l’on peut faire. Je n’ai certainement pas fait les meilleurs choix et j’ai pu débriefer de tout ça en rentrant. Je n’ai pas eu beaucoup de temps pour souffler, car dès mon retour mon stage a repris, j’ai pris du temps pour me soigner et me reposer. La question forcément se posait de repartir pour 2024, j’ai attendu d’effectuer les dernières courses de la saison pour prendre une décision finale. J’ai effectué 2 manches de Coupe du monde. J’ai pris beaucoup de plaisir à reprendre le chemin de la compétition, de refaire de bonnes courses et naviguer à mon niveau en me hissant deux fois en demi-finale et en accrochant un top 20 mondial. Puis, pour terminer, les championnats du monde seniors en Slovaquie à Bratislava où à nouveau j’effectue une demi-finale et passe de peu à me classer dans le top 15 mondial. C’est donc à la suite de ces résultats que j’ai pris la décision de tenter l’aventure encore jusqu’à 2024, car je ne peux pas m’arrêter en si bon chemin.
Rappelons que vous êtes né en France à Quimper. Qu’est-ce qui a motivé votre choix de défendre les couleurs du Sénégal ?
Jean Pierre Bourhis : Ce choix, j’ai voulu le faire pour me rapprocher de mon pays d'origine du côté de ma maman et de mes grands-parents. Benjamin Boukpeti, médaillé olympique lors des jeux de pékin pour le Togo, fut ma source d’inspiration. J’ai voulu et je veux à ma manière effectuer la même chose pour le Sénégal. Aujourd’hui en prononçant ces mots, cela prend encore plus de sens, car j’ai perdu ma mère fin 2021 et je sais que cela la rendait très fière que j’ai pu faire ce choix-là de représenter son pays et cela me suivra pour les prochaines compétitions en plus de représenter tout un pays ma mère occupera également une place dans mon canoë.
Au lendemain de Tokyo 2020, vous vous êtes tout de suite tourné vers Paris 2024. Que représentent ces Jeux pour vous, la 3e de suite et à domicile ?
Les Jeux de Paris seront, je l’espère, si j’ai la chance d’y retourner, spéciaux, car je vais pouvoir représenter le Sénégal dans le pays où je vis. Et avoir ces liens en combinaison sera fort. Mes amis français et sénégalais je l’espère, seront là pour ce moment de sport unique. Et je crois que cela permet de créer de belles surprises et surtout de se surpasser pour, je l’espère, pourquoi pas rentrer dans l’histoire. Ces jeux seront plus simples sur le plan organisation également, car étant sur place et ayant de nombreuses connaissances il sera plus simple et moins énergivore pour se préparer pour se consacrer pleinement à la préparation et aux courses.
Sur quels aspects avez-vous axé votre préparation et quelles compétitions avez-vous ciblées ?
La préparation est beaucoup axée sur la stabilisation du niveau et de la technique. Progresser sur la vitesse pour aller plus vite, car allez vite c’est bien, mais encore faut-il pouvoir stabiliser ce niveau, car sinon lorsque vous êtes en course c’est de la loterie. D’où l’aspect régularité et stabilisation. Allez plus vite, car il me manque encore à grappiller les dernières secondes pour me classer parmi les meilleurs. Je n’ai jamais été aussi près du but, cela prend beaucoup de temps mais en étant patient et persévérant, on peut y arriver. L’année 2022 va être consacrée à faire du volume pour stabiliser et répéter les courses avec notamment toute la série Coupe du monde, championnat du monde et courses internationales. En 2023 il va falloir être plus stratégique et cibler les échéances importantes notamment le championnat du monde 2023, un potentiel championnat d’Afrique également en 2023.
Parlons de social. Vous êtes engagé avec une association pour promouvoir les algues au Sénégal. Pouvez-vous nous en dire plus ?
C’est durant une rencontre lors d’une course avec Didier Burlot, membre de l’association P.E.R.S.A.I VERT au Sénégal qui a pour but premier de promouvoir les algues au Sénégal. L’idée est de mieux utiliser cette ressource qui regorge de nombreux avantages nutritifs, à impact carbone faible et qui est abondante. En formant mieux la population locale il sera possible de trouver des débouchés pour permettre de valoriser cette ressource, de créer des emplois et assurer la pérennité dans cette partie du pays. Je crois beaucoup en cette ressource qui n’est malheureusement pas assez présente dans nos alimentations et qui constitue notamment une alternative durable notamment dans les pays occidentaux où la surconsommation de protéines d’origine animale grignote beaucoup trop la planète. C’est donc une démarche vertueuse où je retrouve totalement certaines valeurs, où le projet de composite et de sport a commencé à germer.
Le composite justement, parlons-en. Avec cette matière, vous comptez promouvoir la fabrication du matériel de canoës-kayaks au Sénégal pour les JOJ au Sénégal…
Jean Pierre Bourhis : Oui, ce projet a déjà commencé avec Didier Burlot. Je l’ai rejoint en 2019. L’idée de ce projet est de promouvoir l’utilisation de composites au Sénégal permettant une substitution aux matières premières d’origine forestière comme le bois. La finalité est de créer une filière de formation des composites au Sénégal, de voir germer des entreprises, des entrepreneurs et des emplois liés à la fabrication et que cela profite à la population locale. Ce projet est lancé à Ngaparou où un groupe d’une dizaine de personnes ont pu se former aux composites. Il faut déglobaliser partout le système de la mondialisation, car faire traverser des produits d’un point à l’autre de la terre n’a pas de sens et n’est pas durable. En redonnant aux gens le pouvoir de créer, imaginer, construire, utiliser des ressources locales, cela profite à l’économie et à l’emploi. Ce kayak et c’est le défi, n’est pas d’effectuer la même construction actuelle par des matériaux à base de fibre de verre, de carbone, de kevlar, de résine époxy traditionnelle. Même si au début on passera par ces méthodes et matériaux éprouvés.
L’objectif est d’utiliser des ressources naturelles et au maximum renouvelables comme des fibres de lin, des fibres de palmier dans un avenir proche, des résines bio sourcées permettant de réduire l’impact environnemental de conception et de production. Étant en relation régulière avec la Fédération internationale de canoë, le Comité international olympique (CIO) et l’organisation des JO de Paris 2024, le projet séduit énormément car cela va dans le sens de ce qu’il faut faire et dans la volonté de promotion de l’olympisme. Les Jeux olympiques de la jeunesse arrivent à Dakar en 2026 et l’objectif est de voir ce projet se concrétiser par la fabrication d’embarcations fabriquées au Sénégal, utilisées pour l’événement et que cela profite ensuite à la population et à promouvoir le canoë. J’espère que cela fera venir beaucoup de jeunes à découvrir ce sport et augmenter le nombre de pratiquants et de clubs au Sénégal. Je crois beaucoup en ce projet et je suis sûr qu’il ira jusqu’au bout.
Sur le long terme, cela pourrait-il permettre à ce sport d’enfin se développer sur le plan local avec des prix plus accessibles que d’habitude ?
Oui et c’est tout à fait l’un des critères sur lequel nous nous attachons. On veut faire des équipements abordables sur le plan local, et que les gens puissent pratiquer ce sport, car le premier frein est l’accessibilité du matériel. Même pour moi, l'équipement est cher et j’essaie de ne pas renouveler trop souvent mon matériel pour des questions environnementales, mais également de budget. Pourquoi pas même, effectuer de la promotion touristique avec des embarcations de type kayak de mer pour augmenter les emplois et créer un cercle vertueux autour du sport ? Les idées ne manquent pas, mais il faut également trouver les budgets du début pour amorcer la mécanique. En tout cas, j'espère être présent lors des Jeux de la jeunesse et apporter le maximum à cette jeune génération motivée et enthousiaste, mais également inquiète sur le futur et les problèmes climatiques. Il faut leur prouver qu'une autre alternative est possible et que cela peut bénéficier à la population et à l’environnement.
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Par Moustapha M. SADIO