Le football féminin au Bénin vit une nouvelle étape de son histoire avec une quatrième saison consécutive depuis 2020. Alors que la pratique commence à s'organiser, un phénomène de naturalisation à outrance des joueuses étrangères divise les acteurs.
De notre correspondant au Bénin,
Au Bénin, le règlement du championnat féminin de première division permet aux clubs d'enregistrer 30 joueuses dont 6 étrangères maximum pour la saison. En division inférieure, la Fédération Béninoise de Football a en effet interdit l'enregistrement d'étrangère. Certes, les clubs ne manquent pas d'idées pour contourner les dispositions pour assouvir leur objectif en naturalisant par exemple des étrangères souvent issues du Ghana, du Togo et notamment du Nigeria.
«Cela montre la facilité de certains responsables pour que leur club monte et puisse mieux se positionner. Ils pensent que si c'est six joueuses qui sont autorisées, on peut en prendre dix et leur changer d'identité. Ça bloque la formation des béninoises qui ne peuvent pas aller à l'équipe nationale facilement, vous avez des clubs d'élite qui n'utilisent que des étrangères», témoigne Guy Bewa Président de Flèche noire, club évoluant en D2.
«Je ne suis pas contre l'intégration des étrangères. Mais leur nombre dans chaque équipe est exorbitant. Ce sont ces étrangères qui perdent parce qu'il y en a plusieurs qui ont des passeports mais en arrivant au Bénin, elles disent qu'elles n'ont pas de papier et on leur fait un autre», affirme Colombe, ancienne joueuse de Phénix FC de Bohicon et membre du staff d'Espoir FC en D1. «Certains clubs sont constitués que d'étrangères. À quel moment valoriser les nôtres et qui va jouer, défendre et investir après pour le pays ?», s'interroge ainsi Antoinette Moreira, promotrice de football féminin et organisatrice du tournoi annuel Trophée Milôkpéhou au Bénin.
Pour les acteurs, la présence des étrangères ne poserait pas de problème si et seulement si les Béninois étaient mis en avant par les clubs. C'est un fait que déplore Emmanuel Houansou, entraîneur de CEFOS. «La naturalisation n'est pas mauvaise en soi, c'est plutôt la manière de la procéder qu'on doit revoir. Quand la majorité des filles d'un club sont des étrangères sans qu'on n'en retrouve aucune dans le onze nationale ce n'est plus la peine. On ne fait plus la promotion des Béninoises car le résultat est mis au dessus car on ne veut pas descendre en division inférieure», renchérit ensuite, Figo Bonou, promoteur de AS UMSA.
Le phénomène prend d'ampleur au Bénin, situer les responsables devrait permettre à l'ensemble des acteurs de se retrousser les manches. «Pour un football qui vient de prendre son envol, peut-on trouver 30 Béninoises de qualité par club pour faire une bonne équipe en deuxième division ? Interdire complètement l'enregistrement de filles étrangères est un problème. Les dirigeants proches de la fédération, ce sont eux qui écrivent les lois et qui les piétinent. Élargir le nombre d'étrangères éligibles dans les clubs devrait empêcher les clubs de tricher», déclare Célin Dossoumon reporter sportif à Parakou, au nord Bénin à 413km de Cotonou.
Les acteurs ne manquent cependant pas de propositions pour mettre un frein à cette pratique de naturalisation dans les championnats féminins au Bénin. L'entraîneur de CEFOS souhaite «qu'on limite le nombre d'étrangères à évoluer en D1 et en D2. Mais qu'on laisse la règle de moins de 20 ans pour jouer la D2 car certaines filles peuvent se relancer en D2. Il faut organiser la D3 avec les béninoises de moins de 17 ans et penser au championnat des moins de 15 ans», ajoute-t-il.
La formation des talents bruts apparaît comme la véritable solution. «La seule chose qui peut régler cette pratique, c'est le travail avec la pépinière. Prenez l'équipe du UMSA, par exemple, c'est un exemple pour moi ( au Bénin). Si tu vas trouver des étrangères, elles ne sont pas nombreuses. Si tout le monde pouvait regarder ça, ça serait bon pour le pays», invite Colombe. Elle est rejointe par Antoinette Moreira présidente de l'association pour le développement du sport et des arts du Bénin. « La base c'est le championnat Scolaire que le ministère organise depuis quelques années», a-t-elle souligné.
Le défi est de conscientiser les responsables de clubs et joueuses sur les conséquences d'une telle politique. Au-delà de la sensibilisation, Guy Bewa, président du premier club de football féminin au Bénin Alliance fille en 1974 pense qu'il faut brandir l'épée de Damoclès sur la tête des faussaires. «A la fédération, il faut un mécanisme pour vérifier que le règlement a été suivi. Quand on va faire ça une saison, les autres vont se ranger. On doit essayer de taper un peu dans la fourmilière.»
L'avis est également partagé par Marthe Gada, secrétaire général de l'association des anciennes footballeuses du Bénin. «Il faut créer un cadre juridique strict, une mission d'enquête pour voir si la naturalisation respecte les normes. Sanctionner les acteurs qui le font de façon anarchique et illégale», requiert-elle.
Rachidi DOSSA