Utilisée par des Congolais de Kinshasa pour chambrer leurs voisins de Brazzaville dont la sélection est absente de la CAN en cours, l’expression « surveillez le fleuve » continue d’alimenter les échanges sur les réseaux sociaux et même hors. Mais au-delà de ce chambrage symptomatique d’un bon voisinage entre deux peuples ayant tout ou presque en commun, quel est le véritable message derrière ? Passi-Bibené, enseignant en journalisme au Parcours (département) des Sciences et techniques de la communication (STC) de la Faculté des lettres, arts et sciences humaines (FLASH) de l’université publique Marien Ngouabi de Brazzaville et auteur de plusieurs ouvrages en communication au Congo, donne quelques explications.
Passi-Bibené, en tant que voisin de la RDC, quelle est votre réaction à la qualification des Léopards pour les quarts de finale de la CAN ?
Passi-Bibené : C'est une qualification méritée. Les Léopards ont brillé dans le jeu et fait preuve d'un mental solide. C'est là, une performance à saluer.
A la veille de la CAN, des internautes de la RDC ont recommandé aux Congolais de Brazzaville de « surveiller » le fleuve pendant leur absence pour la CAN…
Dans plusieurs sociétés du monde, on retrouve ce genre de situations. Les voisins et même les frères biologiques se chambrent et parfois se disputent. Et les deux Congo ne font pas exception. Notre histoire est faite de cette ambiance. Dans les deux Congo le petit-fils et le grand-père sont appelés à se taquiner l’un l’autre. Mais au fond, ils s’aiment. Les plus beaux cadeaux reviennent toujours aux grands-parents et vice-versa. C’est la même chose entre les Sérères et les Peuls au Sénégal. Ils se considèrent comme des cousins et se taquinent très souvent.
Les chambrages, les deux peuples ayant en partage le majestueux fleuve Congo y sont habitués. Mais quelle est la particularité de celui-ci pour qu’il ait fait l’objet d’une question lors d’une évaluation à la Faculté des sciences ? Et même des acteurs politiques dont des députés l’évoquent dans leurs échangent avec les populations.
Qu'un fait ou sujet d'actualité fasse l'objet d'un sujet d'évaluation ne devrait pas surprendre, cela prouve simplement qu'il y a une sorte de veille d'information d'actualité de la part des enseignants. Le plus intéressant serait de savoir si le sujet d'examen est en conformité avec le contenu du cours. Je pense que seul l'auteur de cette expression peut répondre avec exactitude à cette question. Toutefois, il est possible de le comprendre de plusieurs manières.
De quelles manières concrètement ?
Les deux Congos sont historiquement des grandes nations de foot, donc il serait temps de retrouver les premières places. La RDC a déjà remporté la CAN à deux reprises (1968 et 1974). Avec 19 participations sur 34 éditions, le pays fait preuve d’une régularité énorme ! Ce géant d’Afrique a également deux CHAN dans son armoire à trophées (2009 et 2016). S’agissant du Congo-Brazzaville, il a une CAN (1972), une ligue des champions (1974) et une coupe de la CAF (2012). Donc, par ce chambrage, on peut entendre une invite au sursaut d'orgueil dans la conquête ou la reconquête du football africain.
C'est aussi pour moi une interpellation écologique (permettez-moi cette digression, rires). Le hasard du calendrier a fait que ce message soit lancé après une série d'inondations sur les deux rives du fleuve Congo. À ce jour, on déplore encore des victimes et des dégâts matériels. Donc à l'avenir, il convient de surveiller le niveau des eaux et les zones appropriées pour l'habitat afin de prévenir les catastrophes. Je pense également aux catastrophes écologiques et toutes formes de pollution de nature à détruire ou menacer l'écosystème du fleuve Congo. Cette surveillance du fleuve, au-delà de l'ironie, devait interpeller les politiques sur les moyens destinés à une telle mission. D'une autre manière, veiller sur le fleuve, c'est une mission noble parce que le surveiller c'est surveiller la vie, les échanges commerciaux. Le fleuve nourrit beaucoup de familles de part et d’autre des deux rives.
Souhaitez-vous que les voisins remportent une troisième CAN ?
Oui ! Désormais tout est possible. Cette CAN a déjà déjoué de nombreux pronostics et cela même avec les équipes favorites. Nous surveillons le fleuve. Mais ils doivent nous ramener la Coupe. C’est désormais le souhait de tous. Il fallait voir l’euphorie des Congolais de Brazzaville quand les Léopards se sont qualifiés pour les quarts. Donc, si la RDC revient avec la Coupe, peut-être qu'on va désormais mieux veiller sur le football sur chaque rive du fleuve.
Propos recueillis par John Ndinga-Ngoma