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Escrime - Ndeye Binta Diongue : « Je vais aux JO 2024 et la Fédération ne m'aide pas »

Qualifiée pour les Jeux Olympiques de Paris 2024, après une première participation à Tokyo, Ndeye Binta Diongue va connaître ses 2èmes JO. Un aboutissement et une petite revanche pour l'escrimeuse spécialiste de l'épée et inspirée dans son enfance par la série "Xena, la guerrière". Partie de son Sénégal natal, elle bataille depuis pour vivre de son sport et de sa passion depuis ses débuts. Pour Sport News Africa, elle évoque sa préparation mouvementée pour Paris 2024 et un quotidien difficile, bien loin de celui des stars attendues à Paris et sur qui sont braqués les projecteurs.

Ndeye Binta Diongue va disputer des 2èmes Jeux Olympiques, sous les couleurs du Sénégal.

Vous vous êtes fait remarquer récemment en postant sur vos réseaux sociaux une capture de votre relevé de compte bancaire pour montrer votre situation et dénoncer le manque de soutien dont vous et de nombreux sportifs sénégalais souffrez. Pourquoi cet acte ?

Ndeye Binta Diongue : C'est mon pays et je l'aime, mais c'est très dur de représenter le Sénégal. Nous sommes dans un système qui ne permet pas aux sportifs de pouvoir performer car les moyens ne sont pas mis à disposition pour cela. Ou alors quand il y en a, ils arrivent trop tard. En plus l'escrime est un sport mineur, avec une petite fédération. Donc autant dire qu'on manque cruellement de moyens et d'aides.

Comment se traduit ce manque d'aide à votre niveau ?

Ndeye Binta Diongue : Par exemple, lorsque je suis arrivée en France et que j'ai commencé à m'entraîner dans un club tout le monde partait en compétition et moi je restais à l'entraînement faute de moyens. Au bout d'un an, c'est mon entraîneur, Daniel Levavasseur, qui a commencé à me payer mes déplacements pour que je puisse participer à des compétitions. Pour les autres, c'était leurs fédérations qui leur envoyaient de l'argent ou achetaient leur billets directement, soit ils étaient aidés par leurs familles. Moi je n'avais pas ça, aucune aide de ma fédération. Donc il payait mes frais pour les compétitions. Ensuite il m'a même trouvé un travail grâce à l'aide de son adjoint. C'est comme ça que j'ai commencé à participer avec eux à financer mes compétitions, jusqu'en 2019 où j'ai remporté ma 2ème médaille de bronze en individuel, puis à me qualifier pour les JO 2020.

« Des cagnottes en ligne pour couvrir mes frais et participer aux compétitions »

Et la Fédération pendant tout ce temps ?

Ndeye Binta Diongue : Rien. Et au fur et à mesure que les JO 2020 approchaient, j'ai essayé de les contacter, de les relancer, mais ils disaient qu'ils n'avaient pas de budget. Malgré l'aide de mon entraîneur, de mon oncle et de ma tante chez qui j'ai vécu, j'ai dû commencer à faire des cagnottes en ligne.

Comment avez-vous fait ?

Ndeye Binta Diongue : Grâce aux réseaux sociaux. Au niveau de la communauté sénégalaise il y a une page Facebook dénommée les « Sénégalais de l'Extérieur ». J'ai pu échanger avec le président de cette association, raconter mon quotidien et ce que je faisais. Ils ont trouvé qu'ils devaient me venir en aide. C'est comme ça que la première cagnotte a été lancée. Beaucoup de personnes ont participé à cette cagnotte et c'est grâce à cela que j'ai pu payer les frais pour participer à plusieurs compétitions pour préparer les JO et tenter de me qualifier.

Ndeye Binta Diongue, prend la pose au Centre sportif Brossolette de Saint-Maur-des-Fossés où elle s'entraîne.

Pendant tout ce temps qu'est-ce qui vous a fait tenir ?

Ndeye Binta Diongue : Je viens de tellement loin vous savez. Avec tout ce qui s'est passé depuis le début, la précarité, aller à l'entraînement le matin et enchaîner ensuite avec le travail... J'étais tellement fatiguée, mais en même temps je ne pouvais pas abandonner, même si je n'étais pas aidée par ma fédération. Je me disais qu'on a travaillé toutes ces années pour cet objectif (les JO, ndlr) et il fallait que je réussisse à me qualifier. Et dans le même temps je stressais car les qualifications approchaient et je me disais que je devais me qualifier. C'était ça ou rien. Le maître Levavasseur, mes parents, tout ceux qui se sont donné pour moi... C'était un défi que je m'étais lancé. Je ne pouvais pas les décevoir.

« Je dormais sans chauffage en hiver pour économiser de l'argent »

A quels genres de sacrifices avez-vous consenti ?

Ndeye Binta Diongue : Lorsque j'ai commencé à vivre seule, par exemple les hivers je dormais sans chauffage. Les chauffages étaient électriques et donc consommaient beaucoup. Je me disais que je devais économiser pour mettre de côté et financer mes compétitions. Le maître et ma famille ne pouvaient pas tout le temps m'aider. C'était à moi de faire en sorte d'arriver à me financer.

Pour financer une année par exemple, il faut quel budget ?

Ndeye Binta Diongue : C'est colossal. Il faut une somme autour de 30 000 euros. Et encore, sûrement plus car je n'ai jamais été dans un cadre où tout était calculé à l'avance. C'était au jour le jour. Déjà rien que le matériel, juste pour avoir le minimum c'est autour de 2500 euros. Le reste ce sont les déplacements, hébergements, soins, etc.

Comment vous faisiez pour réunir une telle somme ?

Ndeye Binta Diongue : Il y avait l'aide de mon entraîneur, de ma famille, les cagnottes que j'ai commencé à faire. Et encore j'ai pu économiser certains frais car les filles avec qui je m'entrainais acceptaient de partager leurs chambres avec moi lorsqu'on partait en compétition, pour m'éviter de devoir payer la mienne. C'était vraiment ça l'esprit de la Team. Il y a tout le monde qui m'aidait.

Dans tout ça, la Fédération sénégalaises d'escrime n'apportait pas sa contribution ?

Ndeye Binta Diongue : Non, du tout. Après j'ai commencé à toucher une bourse, mais c'était très irrégulier avec des versements qui arrivaient en retard. Seul le championnat d'Afrique était pris en charge à leur niveau via le ministère des Sports. C'était une fois par an. Pour le reste, je devais me débrouiller.

Championnats d'Afrique d'escrime
Ndeye Binta Diongue, médaillée de bronze aux Championnats d'Afrique d'escrime à Casablanca.

« Les bourses arrivent très tard et épongent les dettes »

Vous vous qualifiez quand même pour les JO 2020 de Tokyo. Qu'est-ce qui se passe au niveau de la fédération ?

Ndeye Binta Diongue : (Rires) Une fois qualifiée, le soir même ils m'appellent pour me dire que comme je suis qualifiée, c'est le comité national olympique sénégalais ou le ministère qui va prendre en charge ma préparation. Ils vont m'apporter des primes et subventions. Qu'il pourrait y avoir du retard mais que dans tous les cas ce serait remboursé. C'était tout nouveau pour moi car durant toute la période des qualifications, ils ne m'avaient pas aidée. Pas de bourse, pas d'aide, rien. Pourtant, en échangeant avec d'autres athlètes, j'ai su que certains avaient eu des aides. Mais je n'ai rien dit car je ne voulais pas parler avant d'avoir fait mes preuves.

Vous avez bien reçu les bourses prévues ?

Ndeye Binta Diongue : Les bourses arrivaient très tardivement, ce qui fait que tu es obligée de t'autofinancer, pour ensuite attendre qu'elles soient versées. Du coup je passais mon temps à demander à différentes personnes dans les instances où en était le versement de ma bourse pour que je puisse financer ma préparation ou rembourser mes dettes. On me répondait à chaque fois qu'il fallait patienter. Sauf que le haut niveau ne tolère pas cela. Il faut toujours être dans la préparation, l'anticipation.

Et après les Jeux ?

Ndeye Binta Diongue : A la base, il était prévu d'avoir des primes de participation, de performances et autres. J'ai reçu cet argent par virement.

Au moins ils ont tenu parole...

Ndeye Binta Diongue : Oui, mais entre temps, il fallait que je rembourse tous les frais avancés. Et puis sur ce qui restait, j'ai tout remis dans l'escrime. Je n'ai pas gardé cet argent pour investir ou me faire plaisir. C'était pour financer mes compétitions à venir et tous les frais. Après les JO de Tokyo, il fallait déjà préparer Paris dans 4 ans. Et comme au niveau de la fédération il n'y avait pas de suivi et qu'ils n'étaient pas tourné vers les prochains Jeux déjà, c'est cet argent des primes que j'ai utilisé pour me financer. Aussi, je collectais du matériel partout dans des clubs et je payais pour envoyer le tout au Sénégal où j'ai ouvert un club d'escrime à Dakar.

« Après Tokyo 2020, j'ai pensé à arrêter l'escrime »

Entre Tokyo 2020 et Paris 2024, vous avez été accompagnée financièrement ?

Ndeye Binta Diongue : Déjà, il faut savoir qu'après Tokyo, j'ai pensé à arrêter car j'étais découragée. J'ai connu tellement de galères que je ne me voyais pas continuer. Tous ces sacrifices sans reconnaissance derrière... Mais je me suis accroché. J'ai demandé si j'avais droit à des bourses pour m'aider à dans ma préparation en vue des JO 2024. Avec tous les sacrifices faits pour sa qualifier pour Tokyo, je pensais que je méritais un suivi pour pouvoir me qualifier pour Paris. On ne me répondait pas clairement. Avec le temps j'ai compris que je n'aurai rien.

Et qu'avez-vous fait ?

Ndeye Binta Diongue : A ce moment-là, on m'a proposé de travailler à temps plein. Si j'acceptais, je faisais peut-être une croix sur Paris 2024 car j'allais devoir moins m'entraîner. Ça allait être très dur de parvenir à concilier une journée pleine de travail et l'escrime. Mais après une discussion avec mon entraîneur, j'ai fini par accepter le temps plein pour m'en sortir financièrement et penser à mon après-carrière. Il a fallu trouver un nouveau rythme pour caler mes entraînements par rapport à mon travail. Tout le monde a vraiment été d'une grande aide, alors que rien ne les y obligeait. Mon entraîneur m'a fait un programme spécial, alors qu'il aurait pu refuser. Il faut savoir que comme je ne touchais pas de bourse, avec mon travail de l'époque, je ne pouvais pas le payer. Ni la fédération sénégalaise ni le ministère et encore moins le comité olympique sénégalais ne le payaient non plus. Mais grâce à ce programme spécial, j'ai pu concilier ce nouveau travail à temps plein et mes entraînements.

Mais comment avez-vous tenu ?

Ndeye Binta Diongue : J'avais des journées à rallonge... Finir une grosse journée de travail et enchaîner avec un entraînement intense, vous rentrez chez vous épuisée. J'ai donc pris un kiné et un préparateur physique pour tenir cette cadence. Et eux, je devais les payer. Le kiné était primordial car la blessure est l'ennemi numéro un. Et vu le rythme, il ne fallait pas que je me blesse. Avec le recul, je me demande même comment j'ai fait pour tenir.

Quelle était votre journée type ?

Ndeye Binta Diongue : Je me levais entre 5h et 6h du matin. Je prenais mon petit-déjeuner ou non selon que mes finances me le permettaient et j'allais à l'entraînement d'escrime. Après l'entraînement j'allais ensuite au travail. Une fois le travail terminé, j'avais quelques plans pour essayer de gagner un peu d'argent en plus, afin de pouvoir m'aider davantage. A ce moment-là il est environ 18h. Là j'enchaîne avec le préparateur physique ou le kiné. C'est seulement après cela que je rentrais chez moi. Et avec la distance, le temps arriver chez moi il était quasiment 21h. Je n'avais plus de vie sociale, j'étais dans une boucle.

« Ce qui fait mal, c'est le manque de reconnaissance »

A quel moment est-ce que la Fédération sénégalaise d'escrime revient vers vous ?

Ndeye Binta Diongue : C'est 18 mois avant les JO 2024 que j'apprends que finalement j'aurais droit à une bourse. Mais les bourses arrivent très tard. On ne sait jamais quand elles sont versés. Donc en attendant, c'est à moi d'avancer tous les frais, avec l'aide de mon entraîneurs et de proches. Donc quand la bourse arrive avec 5 mois de retard, cet argent c'est comme s'il avait déjà été dépensé en fait. Il sert d'abord à éponger les dettes, au lieu de servir à regarder devant pour se préparer. Le plus dur dans tout ça, c'est de se dire qu'on a un travail, mais qu'on en vit pas et qu'à côté on est obligé d'emprunter, d'accumuler des dettes, car votre fédération ne vous aide pas. Ça donne envie de baisser les bras.

Au final c'est avant les JO, lorsque vous êtes bien partie pour vous qualifier que le Sénégal réapparait. Est-ce vous n'avez pas l'impression d'être utilisée pour des questions d'images ?

Ndeye Binta Diongue : C'est ce qui fait mal en fait. Quand tu cherches à progresser et que tu demandes de l'aide, il n'y a personne. Mais dès que tu gagnes quelque chose, on s'attribue ton succès. Il y a eu de grands champions d'escrime au Sénégal. Pourtant, si par exemple aujourd'hui on parle de l'escrime au Sénégal, c'est grâce à moi. J'ai une communauté qui partage tout ce que je fais. Beaucoup de gens ne savaient pas qu'on pratique l'escrime au Sénégal ou même qu'il y a une fédération. J'ai fait plusieurs médailles, je suis la seule double qualifiée aux Jeux Olympiques. J'ai contribué à faire parler de l'escrime au Sénégal, mais les gens ne savent pas ce que j'endure au quotidien. Je n'ai eu aucune reconnaissance.

Ndeye Binta Diongue portera les couleurs du Sénégal aux Jeux Olympiques de Paris 2024.

« La fédération me doit 15 000 euros... Je suis en négatif sur mon compte »

C'est ce manque de reconnaissance qui fait le plus mal ?

Ndeye Binta Diongue : Je vais vous donner un exemple. J'étais au club de Bondy, je travaille pour la ville d'Asnières sur Seine. Après les JO de Tokyo, le maire de Bondy m'a reçue et m'a donné la médaille de la ville. Le maire d'Asnières m'a aussi reçue et m'a donné la médaille de la ville. Pourtant je ne suis pas française. Mais, ils m'ont décorée pour les sacrifices que j'ai fait pour en arriver là. Ils savent qu'aller aux Jeux Olympiques ce n'est pas quelque chose de facile. Au Sénégal ? Personne ne m'a reçue. On m'a juste dit « merci et félicitations ». Ce qui fait le plus mal, c'est de ne pas être reconnue dans son propre pays. Tu n'as aucun statut, rien. Tu te bats tous les jours au détriment de ta santé physique et mentale... Alors, oui c'est mon choix. J'ai choisi cette voie pour tenter de suivre ma passion et aussi inspirer les plus jeunes, mais au Sénégal, j'ai le sentiment que tout ce que j'a fait ne vaut rien.

La Fédération sénégalaise d'escrime a une dette vis-à-vis de vous ?

Ndeye Binta Diongue : La fédération me doit de l'argent et ils le savent. Quelque chose de l'ordre de 15 000 euros. Ce sont des contrats qui ont été signés. Ils ont une dette vis à vis de moi et pourtant ils disent qu'ils m'ont payée. Par transparence j'ai publié mon relevé de compte sur mes réseaux. Allez-le voir, je suis en négatif. Ce n'est pas normal. Là les Jeux arrivent, comment ça va se passer ? Quand j'allais aux tournois qualificatifs pour les JO, mon entraîneur n'était pas pris en charge. Il a payé le déplacement à un de ses adjoints pour qu'il vienne me coacher. Je me suis qualifiée. Dernièrement j'ai fait ne Coupe du monde à Dubaï pour préparer les Jeux, c'est encore mon entraîneur qui a payé les frais... En fait, si j'en suis là aujourd'hui, c'est grâce à lui et non à la fédération.

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