Triple champion d’Afrique de kitesurf, le Mauricien Jean De Falbaire sera le seul représentant continental chez les hommes aux Jeux Olympiques de Paris. Une présence récompensant des années d’investissement et de travail loin des flashs et des médias.
Par Romain Molina
« J’avais un tonton fanatique de kitesurf, ça a aidé. » Jean De Falbaire rigole. Depuis Marseille, où il se prépare depuis six semaines, le Mauricien retrace son histoire d’amour pour le kitesurf, une discipline admise pour la première fois aux Jeux olympiques avec cette édition parisienne. « J’habitais près de la mer, donc forcément ça a aidé. J’étais souvent avec mon tonton et mes cousins qui pratiquaient. Lorsque j’ai eu 8 ans, mon père m’a finalement appris. Ca faisait des années que je cherchais ça. »
Pays au décor paradisiaque, Maurice apparaît comme le lieu idoine pour parfaire sa maîtrise du kitesurf, du moins en apparence. « J’ai un peu honte, mais ce sont surtout les touristes qui pratiquent la discipline chez nous », admet le jeune homme de 26 ans. « On aurait tendance à croire que non, mais très peu de Mauriciens s’y intéressent, surtout dans ma jeunesse. »
Un championnat du monde avec des potes à 15 ans
En famille et avec « trois ou quatre potes », De Falbaire s’amusait gaiement sans se préparer à une possible carrière. « Ce n’était pas le plan. Ce qui comptait, c’était de mieux rider que mes copains », s’esclaffe-t-il. « Jeune, on est compétitif avec les potes, mais ça restait amical. En 2013, un ami m’a dit :’Pourquoi on n’irait pas au championnat du monde de freestyle ?’ Avec l’aide de nos parents, on a pu y aller. C’était cool, on a vu que notre niveau était à peu près le même que les autres donc on a essayé de participer ensuite à d’autres compétitions. »
Avec d’autres athlètes mauriciens s’exportant au haut-niveau à l’international, comme Enzo Couacaud au tennis ou Kimberley Le Court au cyclisme, Jean De Falbaire représente une génération ayant dû se débrouiller par elle-même avant d’obtenir un soutien étatique. « On a eu de la chance car nos parents nous ont aidés, surtout au début. Avant de choper des sponsors, il y a une énorme étape où tu dois trouver des moyens pour progresser. D’autres Mauriciens n’ont hélas pas cette opportunité. »
Au moins 15 000 euros de matériel
Discipline marginale et onéreuse, le kitesurf nécessite un investissement conséquent en matériel pour espérer se hisser au rang des meilleurs mondiaux. « Pour les JO, il faut minimum quatre kits de compétition, donc ça coûte au moins 8 000 euros. On rajoute une planche à environ 1 500 euros, le foil pour 300 euros, et les barres auxquelles tu connectes le kite, donc 2 000 euros. Il faut aussi un set d’entraînement, qui devra être changé annuellement. En étant très gentil, c’est minimum 15 000 euros. »
Si l’État mauricien prend en charge les frais liés aux compétitions internationales auxquelles De Falbaire s’est qualifié, ce sont les sponsors privés du kitesurfeur qui complètent les besoins restants afin de lui permettre de vivre de son activité, notamment RMClub. « C’était mon premier sponsor principal, puis d’autres se sont ajoutés au fil des années comme Barnes ou Preskil Island Resort. Sans eux, je ne serais pas allé aux JO. »
4 000 calories ingurgitées par jour
Bénéficiaire de la Solidarité olympique du CIO et du soutien croissant de sa fédération, le Mauricien s’est exilé depuis trois ans en France afin de s’entraîner avec des groupes d’un niveau international. « Il faut habiter en Europe, je n’ai pas trop le choix car je dois naviguer avec ce genre de gars pour être compétitif. »
Triple champion d’Afrique, Jean De Falbaire s’est transformé physiquement au cours des deux dernières années afin de répondre aux exigences des meilleurs. « J’ai dû prendre 15 kilos », souffle-t-il. « On faisait des tests avec un gilet lesté de cinq kilos à l’époque. On sentait qu’on allait beaucoup plus vite, qu’on était plus stable, qu’on résistait davantage aux charges. Si tu es trop léger, déjà tu dois être beaucoup plus fort techniquement, mais au bout d’un moment, tu ne pourras pas suivre les champions. Donc j’ai entrepris cette prise de masse, ça n’a pas été facile. »
Conseillé par un nutritionniste, il devait ingurgiter près de 4 000 calories par jour, bien au-delà de la norme quotidienne constatée chez l’homme (entre 2 500 et 3 000 pour un individu actif). « C’était dur puisque je perdais beaucoup de calories en allant naviguer, donc je devais manger assez afin de ne pas être en déficit. Le matin, c’était la gym, l’après-midi dans l’eau… Parfois, je n’allais plus dans l’eau pour faciliter la prise de masse. »
Au Complexe Sportif de Côte d’Or, une installation conçue pour les Jeux des Îles de l’Océan Indien en 2019, le kitesurfeur put bénéficier de l’accompagnement nécessaire pour réaliser ses objectifs. « C’est vraiment une belle structure », confirme-t-il. « Tous les athlètes mauriciens quasiment s’entraînent là-bas. Je venais à tel jour et telle heure, j’avais toujours mon coach disponible pour moi pendant deux heures. Il y avait un suivi, tout. »
Des jeunes mauriciens se mettent au kitesurf
Moins en vue ces deux dernières années au niveau international, celui qui a plusieurs fois terminé dans le top 10 mondial était victime de la course au matériel dernier cri à l’approche des Jeux. « Des voiles neuves, ça change beaucoup de choses. Je n’avais pas l’argent pour avoir du matos neuf tout le temps, donc c’était difficile. Je ne pouvais pas mettre 10 000 euros pour une compétition. »
Avec une aide de l’État à hauteur de 9 000 euros et ses sponsors privés, le Mauricien partira cependant à équipement égal pour des Jeux particulièrement attendus au pays. « J’ai senti que quelque chose se créait depuis quelques temps », savoure-t-il. « Lorsque je rentrais des compétitions au centre de voile où je m’entraînais, des petits enfants me regardaient avec insistance. Je sentais qu’ils voulaient tous mon lycra (rires). Plein de jeunes veulent apprendre, j’ai senti que mon parcours pouvait être inspirant. Je me souviens aussi du championnat d’Afrique 2022 à Maurice. C’était émouvant de voir le nombre de bateaux venir crier :’Jean ! Jean ! Jean !’ »
Avec sa compatriote Julie Paturau, également qualifiée pour Paris 2024, Jean De Falbaire s’alignera en compagnie des 19 autres kitesurfeurs sélectionnés. Un privilège pour celui qui n’a qu’une envie : « Me donner à fond, puis ne plus être obligé de me lever le matin en allant directement au petit-déjeuner. J’ai mangé tout ce que je pouvais afin d’être prêt ! »