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Abus sexuels dans le football congolais : les langues se délient

Suite au premier volet de l’enquête publiée par Sport News Africa sur un réseau pédocriminel sévissant dans le football congolais (RDC), les langues se délient. Une omerta de plusieurs décennies est en train de s’effondrer au milieu d’une Fédération dépassée. Mineurs, adultes, arbitres, femmes, petits clubs ou grosses écuries, personne n’est épargné par ce système.

Enquête sur les abus sexuels en RDC les langues se délient
Image d'illustration

«Mon petit, c’est vraiment compliqué avec ton cas. Tu sais bien qu’on ne peut pas te faire signer tant que tu ne veux pas ramener un sacrifice et te faire enc….*. C’est du genre 50-50. Tu donnes ce qu’on cherche, et on te donne ce que tu veux. On sait que tu es trop bon au football […] Mais il faut savoir que le club ne peut pas te faire signer tant que tu ne donnes pas ce qu’on cherche.» D’une voix calme, sans hausser le ton, l’interlocuteur d’un joueur de première division congolaise pose les conditions à la signature d’un contrat.

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Dans un message vocal WhatsApp de plus de deux minutes, il rappelle la réalité du football en RDC avec une tranquillité déconcertante. «Nous sommes au Congo, mon petit. Le football ne se joue pas comme tu le penses. Il y a beaucoup de joueurs actuellement qui ont accepté de signer le contrat dans des clubs comme V Club, Lupopo et tout. Ils ont accepté, hein ! Ils ont accepté de se faire enc….*. Si toi, tu ne veux pas, c’est ton problème. Tout dépend de toi, de ta disponibilité. On est là, petit. Donc une fois que tu es d’accord avec ça, tu me fais signe. Je vais le signaler à deux ou trois personnes de l’équipe. C’est 50-50. Tu donnes le sang, on te donne ce que tu veux. Tu donnes ton cul, on te donne ce que tu veux. La balle est dans ton camp.»

La majeure partie des clubs de D1 dans le système

Si le contenu de l’audio paraît surréaliste, les propos ont été confirmés à Sport News Africa par la vingtaine de joueurs et la dizaine de coachs sévissant dans le football congolais. «Le président du MK Étanchéité, Max Mokey, m’avait vu jouer et j’ai obtenu un essai dans son club, raconte un jeune. J’ai commencé les entraînements, tout se passait bien. Un mardi, le coach Vea (de son vrai nom Mbenza Fiston, Ndlr) m’a dit de passer chez lui pour voir certaines choses. J’y suis allé et il a commencé à m’expliquer ce qu’il fallait faire pour signer. Je devais coucher avec lui, coucher avec eux. Il m’a même dit que le président était au courant.»

Un témoignage confirmé par deux autres victimes adultes du coach Vea : «Il m’a montré du lubrifiant pour qu’on fasse l’amour. Il disait : ’J’irai voir le président après pour lui parler de toi.’»

Si les abus sexuels débutent pour la plupart des entraîneurs et dirigeants avec des joueurs mineurs, ils se poursuivent bien souvent après leur majorité dans les meilleurs clubs du pays. Si le MK Étanchéité évolue aujourd’hui en deuxième division, il a par exemple vu des éléments comme Chancel Mbemba ou Junior Kabananga porter son maillot.

Pareil pour la JSK (Jeunesse Sportive de Kinshasa, première division), où un secrétaire s’adonne aux mêmes pratiques. Même topo à Rangers à l’époque du coach Guy-Roger Limolo («il voulait m’enfiler, c’était la condition pour jouer. Il me disait que je devais mettre de la pommade et que tout irait bien»), à l’Étoile du Kivu et Renaissance du temps du coach Miezi Tifo («il m’envoyait même des photos porno pour m’inciter à coucher avec lui»), à Lupopo avec Bertin Maku et même à l’AS Vita Club, une des meilleures formations du pays. «On savait que ça existait, mais on ne se rendait pas compte de l’étendu de la pratique, soupire Hérita Ilunga, le président de l’Union des footballeurs du Congo. Les langues sont en train de se délier. Il faut continuer pour nettoyer notre football.»

D’autres condamnés pour pédophilie qui reviennent dans le circuit

Depuis la publication du premier volet, Sport News Africa a reçu une vingtaine de témoignages. Capture d’écran des propositions sexuelles émanant des coachs, messages audios des dirigeants exigeant «des sacrifices» et de «donner les fesses» pour obtenir un contrat ou du temps de jeu, plaintes à la police, témoignages vidéo : l’omerta est en train de rompre. «On encourage les victimes à parler, confirme Junior Mulop du LCPSBJ, la Ligue congolaise pour la promotion du bien-être de la jeunesse. Nous avons conscience des réalités, de l’ampleur du phénomène. Il faut agir.»

Après authentification, investigation et vérification des faits, Sport News Africa peut confirmer l’étendue de la pratique à une quinzaine d’autres personnes, en plus des six coachs déjà cités lors du premier article et qui ont été suspendus le temps de l’enquête par la FECOFA. «Je parle avec émotion. Je dois refouler beaucoup de choses, ce n’est pas facile», raconte avec des trémolos dans la voix un ancien joueur. Il y a quinze ans de cela, lorsqu’il avait 13 ans, son entraîneur de Bleu-Ciel l’avait agressé sexuellement dans la commune de Barumbu à Kinshasa après l’avoir drogué. «Ça m’a détruit. Mais je veux parler aujourd’hui pour que mes jeunes frères ne subissent pas ce que nous avons connu.»

Cet homme, le coach Izé, visait des jeunes parfois âgés de 7 ou 8 ans. Arrêté et détenu à Makala, la prison centrale de Kinshasa, il en est ressorti pour revenir immédiatement dans le circuit footballistique. Même topo pour Enock Mangala, président et coach du FC Mangala dont le dossier avait été transmis aux autorités, ou le président du Cercle sportif Bandal qui a été (enfin) appréhendé, il y a deux mois, suite à la plainte d’une famille de victime. «Il faut sévir avec les coupables et ne plus laisser passer cela», tonne Barthélémy Okito Oleka, secrétaire général au ministère des Sports.

Ci-joint une liste des coachs et dirigeants mouillant dans ces pratiques :

- Enock Mangala, président et coach du FC Mangala
- Blaise Ntumba Balay, président et coach de l’AS Balayi

- Glody Tusevo Magoda, plus connu sous le nom de Coach Magoda. Passé par le club de Fly et d’une autre équipe, Salvator (dans la commune de Lemba, à Kinshasa, dans le quartier Livulu)

- Coach Fueto, entraîneur à Lokola Mutu.
- Coach Bibey, de son vrai nom Charles Kahumba, aujourd’hui entraîneur à Ceforbel et anciennement à Belor d'où il a été renvoyé pour ces faits. Ancien entraîneur de Bel’or qui avait la particularité de mettre du rouge à lèvres au moment de passer à l’acte.

- Coach Izé, ancien entraîneur de Bleu-Ciel dans la commune de Barumbu
- Coach Sokola, entraîneur impliqué depuis le début des années 2000 dans la commune de Barumbu.

- Coach Lama, entraîneur de Jama Sport.

- Coach Miple, entraîneur du FC Makila dans la province de Bandundu.

- Coach Grady Matondo, entraîneur adjoint à l’OC Jupiter.

- Coach Tibet, dans la commune de Kintambo (Kinshasa).

- Coach Makoso, dans la commune de Kintambo (Kinshasa).

- Coach Vea du MK Étanchéité, de son vrai nom Mbanza Fiston.

- Coach Glody Kabongo, entraîneur au FC Salvador. Anciennement entraîneur à Jeune Talent, avant son récent changement de club.

- Coach Guy Mbole.

L’enquête fumeuse de la FECOFA

Devant l’ampleur du phénomène, les autorités congolaises ont réagi. «C’est un secret de polichinelle», rappelle Barthélémy Okito Oleka, secrétaire général au ministère des Sports, qui n’élude aucune question. Sur les ondes de Radio Okapi, dimanche dernier ou pour Sport News Africa, il clame ce que l’ensemble du milieu sportif congolais savait. «Il n’y a pas que le football. C’est une pratique qu’il faut éradiquer et nous allons tout faire pour.», promet-il.

Une parole suivie d’actes concrets puisque le ministre des Sports, Serge Nkonde, a saisi son homologue de la Justice, Rose Mutombo, qui doit elle-même écrire au procureur général pour l’ouverture d’une réquisition d’information. «Nous ne laisserons pas ces crimes impunis, glisse une source ministérielle. Les coupables et les gens ayant couvert les actes doivent payer.» Une réaction contrastant avec l’attitude de la FECOFA.

Au lendemain de la publication de l’enquête, le secrétaire général de la FECOFA, Belge Situatala Matuluakila, avait évoqué une «déstabilisation». Des propos ayant choqué bon nombre de victimes et d’observateurs du football congolais. Perdue, la fédération a enchaîné plusieurs réunions en urgence avant de changer de ton quelques heures plus tard, en privé comme en public, jusqu’à publier un communiqué annonçant l’ouverture d’une commission d’enquête indépendante avec un numéro de téléphone spécial.

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Lundi 7 novembre, la FECOFA allait plus loin en suspendant le temps de la dite enquête les six coachs incriminés par l’investigation de Sport News Africa. Une initiative louable sur le papier, mais fallacieuse. En réalité, plusieurs dirigeants de la FECOFA ont tenté d’intimider ou de menacer des témoins; l’ancien international Papy Kimoto a même dû faire déménager une partie de sa famille loin de la capitale.

Appelant tous azimuts, des officiels du foot congolais cherchent à se dédouaner en accusant d’autres dirigeants à leur place. Une bataille d’égo et d’écran de fumée à l’image de la fameuse enquête annoncée par la fédération. Malgré plusieurs appels, le numéro donné par la FECOFA pour gérer l’investigation n’a pas répondu, pas plus que les dirigeants ont rappelé une victime désireuse de témoigner.

Les filles aussi touchées

Si les révélations d’abus sexuels touchent (pour le moment) les garçons, plusieurs joueuses ont aussi contacté Sport News Africa pour évoquer le chantage sexuel de divers coachs et présidents. «Dans mon club, tu devais coucher pour jouer, sinon tu devais rentrer chez toi», explique l’une d’entre elles. Comme dans le football gabonais, miné par la pédocriminalité, la crainte prédomine toutefois chez la majorité des filles qui refusent encore de donner les noms de leurs bourreaux.

La FECOFA n’a pas encore répondu aux demandes, mais Sport News Africa peut affirmer que plusieurs de ses membres sont impliqués dans des affaires d’abus et chantage sexuel, et ce depuis les années 1990. Trois personnes sévissant entre les sélections filles et garçons ont été identifiées. «Le problème, c’est que nous avons peur, très peur, souffle une internationale. Si les gens savaient ce que nous avions subi...»

Une situation confirmée par Hérita Ilunga, le président de l’Union des footballeurs du Congo. Il dit : «Il y a encore cette barrière de la peur. J’avais échangé avec plusieurs filles, mais d’un coup, tout s’était arrêté. C’est très dur, mais nous continuons à travailler sur ce sujet. Nos joueuses doivent être protégées pour se sentir suffisamment en confiance afin de parler.»

Romain MOLINA

NB : toute personne victime ou témoin d’abus sexuels dans le sport africain peut contacter l’auteur de l’enquête sur ce mail : romainmolina@protonmail.com

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