La RDC est désormais comptée parmi les grands pays de la boxe professionnelle au monde, et ce grâce à deux frères, Junior Ilunga Makabu et Martin Bakole. Le premier est champion du monde WBC des poids lourd-légers et le second onzième au monde dans la catégorie des poids lourds. Si ces deux natifs de Kananga font parler d'eux aujourd'hui, leur parcours n'ont pas été aisés. Dans une interview accordé à Sport News Africa, leur coach, Charles Kisolokele est revenu sur les débuts de ces deux grands boxeurs. Celui qu'on appelle « faiseur de champions » demeure jusqu'à ce jour l'entraîneur principal de Junior Makabu.
De notre correspondant en RD Congo
Charles Kisolokele, Que ressentez-vous de voir le niveau qu'ont atteint aujourd'hui dans la boxe professionnelle, Junior Makabu et Martin Bakole, deux boxeurs que vous avez formés ?
Charles Kisolokele : Je suis très content de les voir à ce niveau-là aujourd'hui. C'est l'honneur de tout un pays. Je suis surtout très fier de moi, parce que cela montre que je leur ai bien transmis la matière. J'étais moi-même un bon boxeur, je n'avais pas atteint leur niveau et aujourd'hui je suis devenu entraîneur, j’ai sorti deux champions. Cela prouve que j'encadre bien les enfants et j'en suis très fier.
Lorsque vous aviez pris les deux boxeurs sous votre aile, espériez-vous les voir un jour à ce niveau ?
Oui, je le pressentais, parce que j'ai été moi-même un grand boxeur. J'étais souvent champion du Zaïre à l’époque, j'étais boxeur de l'armée. Plusieurs managers me courtisaient mais il y a eu un général, le général Nzimbi, qui ne voulait pas me laisser partir parce que je faisais la fierté de l'armée. Alors, lors de ma reconversion en tant que coach, je m'étais juré de sortir un champion du monde parmi mes élèves. Et aujourd'hui mon rêve est devenu réalité avec Junior Makabu.
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Comment avez-vous rencontré Junior Makabu et Martin Bakole?
J'ai commencé avec Junior Makabu en 2006. IL avait commencé la boxe à Kananga, sa ville natale, où il était passé par certains clubs. Mais lors de son arrivé à Kinshasa, il habitait chez sa tante et il cherchait un club. C'est un des garçons qui habitait dans la même parcelle que lui qui me l'a présenté. Il étudiait à l'Institut supérieur des techniques appliquées (ISTA). À l'époque je n'avais pas encore de club, je lui ai demandé de venir s'entraîner avec moi à Cap Service, la salle dans laquelle je m'entraînais au Stade des Martyrs. N'étant pas de Kinshasa il s'est égaré le premier jour, il n'a pas pu arriver au stade. Le deuxième jour il a réussi à arriver jusqu'à la salle et il s'est entraîné avec moi. Après deux ans d'entraînement avec moi, il est parti en Afrique du Sud en 2008. Il est revenu en 2009, il m'a encore cherché pour continuer à l'entraîner. Il m'a dit qu'un jour nous allions atteindre les sommets. C'est en 2010 que j'ai créé mon club de boxe et quatre ans après, en 2014, j'ai signé un contrat officiel avec Junior Makabu et nous cheminons jusqu'à ce jour.
« A ses débuts, Martin était un grand fainéant »
Qu'en est-il de Martin Bakole ?
contrairement à Junior Makabu, Martin Bakole ne connaissait rien de la boxe lors de son arrivée à Kinshasa en 2012. C'est d'ailleurs Junior qui l'avait fait venir à Kinshasa. Martin était un grand fainéant. S'il vient à l'entraînement aujourd'hui, il doit fuir le lendemain. J'envoyais les gens aller le chercher pour qu'il vienne à l'entraînement. Il a commencé à apprendre la boxe avec moi. Quand j'ai annoncé la nouvelle à Junior Makabu qui était reparti en Afrique du Sud, Il n'en croyait pas ses oreilles, sachant que son frère était un grand fainéant. Après son retour à Kinshasa pour se préparer avec moi avant un des ses combats en France, Junior a tenu à voir Martin à l'œuvre. Nous sommes partis à l'Université de Kinshasa et les deux frère se sont livré un sparing de trois rounds. À la fin, Junior était très content de voir le niveau qu'avait atteint son frère. Quelques jours après, il décidé d'amener Martin en Afrique du Sud. Je m'y étais opposé car j'avais besoin qu'il puisse mûrir ici avant de partir, mais Martin avait tenu à partir et j'ai autorisé qu'il parte. En Afrique du Sud, tout est allé vite pour Martin qui a bénéficié d'un bon cadre de travail avec tous les matériels qu'il n'avait pas à Kinshasa. Et de là, il est directement passé professionnel sans faire un seul grand combat en amateur. J'en suis très fier. Je voyais un grand avenir en Martin. À ses débuts je disais à ses camarades de profiter pour le taper parce que bientôt il allait tous les taper, c'est ce qui s'est réalisé.
Quel a été votre secret pour permettre à Junior et à Martin d'évoluer ?
Mon secret, c'est l'amour que je porte à mon travail. Je respecte les horaires de travail et c'est ce que j'ai inculqué à ces deux boxeurs-là et à tous les autres que j'ai entraînés et que je continue à entraîner.
Martin Bakole est basé en Ecosse et Makabu en Afrique du Sud, êtes-vous toujours leur coach principal à tous les deux ?
Je suis toujours le coach principal de Junior Makabu mais pas de Martin. Martin s'entraîne avec moi seulement quand il est à Kinshasa mais je voyage partout avec Junior lors de ses combats. Je pars au camp avec lui, je suis avec lui partout lors de sa préparation.
Junior Makabu et Martin Bakole vous sont-ils reconnaissants?
Oui, beaucoup. Aujourd'hui on parle de moi à travers le monde grâce à eux. Je voyage à travers le monde grâce à Makabu. Il ne m'a pas oublié malgré son succès. Il m'ont beaucoup aidé. Junior héberge un des mes fils en Afrique du Sud. C'est un grand geste de reconnaissance.
« Le potentiel de Junior Makabu se voyait »
Quelles sont les qualités que vous aviez trouvées en Junior Makabu et Martin Bakole et qui vous faisaient croire en un avenir meilleur pour ces deux boxeurs ?
Ils s'adaptaient facilement à tout ce que je leur donnais comme matière, c'est grâce à ça que j'ai su qu'ils allaient aller loin. Ils étaient toujours à l'écoute et respectaient ce que je disais. Junior lui, avait du potentiel qui se voyait depuis mais il s’est beaucoup amélioré avec moi.
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Quels ont été leurs points faibles que vous avez réussi à améliorer ?
Martin a été le plus difficile d'entre les deux, c'est normal il ne connaissait rien de la boxe. Si tu lui donnes un exercice difficile aujourd'hui, demain il va fuir. Mais j'ai su corriger cela. Avec le temps et grâce mes conseils, il a commencé à aimer le travail.
Pensez-vous que Martin Bakole pourra un jour devenir champion du monde ?
Oui, c'est un garçon qui aime ce qu'il fait et il est talentueux. Il faut laisser le temps au temps. Personne ne croyait qu’il pourrait battre Tony Yoka, mais il l’a fait avec la manière. Son heure viendra et il va triompher.
Vous êtes parmi les meilleurs coach en RDC en ce qui concerne la boxe, mais vous prenez de l'âge. Avez-vous formé des jeunes entraîneurs pour vous succéder un jour ?
Je ne suis pas égoïste, J'ai déjà formé plusieurs jeunes, certains étaient athlètes mais je n'ai pas trouvé beaucoup de qualités en eux comme athlètes. J'ai su qu'ils pouvaient bien être entraîneurs et je les ai convaincus à travailler avec moi pour se reconvertir en entraîneurs. Ça marche déjà bien pour certains, ils vont bientôt intégrer les sélections nationales. Plusieurs coaches qui ont des clubs viennent aussi chez moi. Ils m'appellent "père spirituel".
Qu'est-ce qui manque à la boxe congolaise pour mieux se développer encore ?
Il nous manque des infrastructures. Nous avons du potentiel mais il nous manque des infrastructures et des matériels. Les conditions de travail doivent s'améliorer. Il faut aussi mettre en valeur les entraîneurs parce que c'est nous qui formons ces athlètes. La fédération se bat comme elle peut, voilà pourquoi nous enregistrons des bons résultats en équipes nationales mais ce n'est pas encore suffisant.