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Israël Madaye : « On était plus que deux à tirer à l’arc au Tchad ! »

Qualifié pour les Jeux olympiques de Paris, l’archer Israël Madaye entretient l’émergence du Tchad au niveau international. Après Marlyse Hourtou à Tokyo, il est le second citoyen tchadien à participer aux JO au tir à l’arc. Une récompense pour des années d’efforts dans l’anonymat.

Par Romain Molina

Israël Madaye va connaître ses premiers Jeux Olympiques.

« J’étais loin d’imaginer ça quand j’ai commencé. » Loquace, Israël Madaye se remémore la première fois qu’il tint un arc. « C’était un été, en 2007 ou 2008. J’étais en vacances à N’Djamena et j’ai vu des gens qui tiraient. Ça a attiré ma curiosité et je suis allé voir de plus près. »

Originaire du sud-ouest du pays, dans la localité de Kim, Israël était alors un jeune garçon tutoyant la vingtaine. Aspirant à un meilleur futur, il s’installa dans la capitale en essayant de trouver des « petits boulots » tout en poursuivant des études en électromécanique. « Je faisais ce que je pouvais pour vivre tout en m’entraînant dur au tir à l’arc. Immédiatement, j’ai ressenti quelque chose… Je sentais que c’était fait pour moi. »

Des cibles conçues avec de la paille et du carton

Dans une fédération dépourvue de moyens, l’archer de Kim dédia une partie de son temps à concevoir des cibles avec ses partenaires d’entraînement. « On se débrouille comme on peut », abonde son aîné, Woibogo Wodegue Torso. « Notre cible, jusqu’à aujourd’hui, est à base de paille et de carton. On fait avec ce qu’on trouve. »

Confection de cibles à base de paille et de carton.

Dans les locaux du vétuste lycée Félix Éboue, situé dans le troisième arrondissement de N’Djamena, la troupe d’archers obtint la permission du proviseur pour apposer des cibles et s’exercer. Une bonne nouvelle pourtant éphémère à cause des difficultés économiques, logistiques et professionnelles rencontrées par les pratiquants. « Quelques années après mes débuts, il n’y avait presque plus personne », soupire Israël Madaye. « Réellement, on était plus que deux à continuer avec mon capitaine (Woibogo). Nous n’avons jamais abandonné même lorsque nous n’étions plus que deux. »

Dévoués, Israël et Woibogo continuèrent en convainquant les autorités de financer la participation à un tournoi en 2013 au Niger regroupant les zones de l’Afrique centrale et de l’ouest (TIZOCATA). « On a remporté notre première médaille ici », se souvient Woibogo. « A chaque fois qu’il y avait un tournoi international, nous faisions tout pour gagner afin que nos autorités permettent au tir à l’arc de prendre part aux compétitions. »

Le tir à l’arc, sport numéro 1 des médailles au Tchad

Derrière le duo, une génération d’archers prit une licence auprès de la FETTA, la Fédération tchadienne de tir à l’arc. Filles, garçons, aucune différence : le Tchad avait un talent particulier pour cette discipline d’ordinaire dominée au niveau continental par l’Afrique du Sud, par l’Egypte ou la Namibie. « On n’a jamais rien lâché », estime Israël Madaye. « En compétition, je voyais nos adversaires avoir plus de moyens que nous, du matériel professionnel, etc. Beaucoup n’arrivaient pas à comprendre comment nous parvenions à réussir. »

Au Tchad, les entraînements se font avec les moyens du bord.

Avec l’aide de quelques personnes – l’archer ivoirien René-Philippe Kouassi et son entraîneur ou Pascal Colmaire, l’ancien historique directeur du développement et de la formation de la Fédération internationale de tir à l’arc -, Israël Madaye va enfin recevoir quelques donations et un arc professionnel. « Je dois beaucoup aux gens qui ont cru en moi. Beaucoup. »

En septembre 2016, lors du tournoi international de la TIZOCATA tenu au Stade Idriss Mahamat Ouya de N’Djamena, le Tchad triomphe avec 34 médailles, dont 17 en or, loin devant le second pays, la Côte d’Ivoire (25 médailles, 12 en or). Un enthousiasme inédit entoure alors Israël, Woibogo et leurs partenaires, à commencer par Marlyse Hourtou, qualifiée plus tard aux Jeux Olympiques de Tokyo où elle s’inclina en trente-deuxième de finale avec un arc défectueux durant la compétition (une branche a craqué générant ainsi un problème de viseur, ndlr).

Bénéficiant d’une bourse de la solidarité olympique, l’archère put s’entraîner à Lausanne et crédibilisa davantage la pratique auprès des autorités. « Quel autre sport a ramené autant de médailles continentales et internationales au Tchad ? », questionne Israël Madaye. « J’ai été tellement surpris de voir des gens nous attendre et fêter nos succès au pays. C’était impensable lorsque j’ai commencé. Impensable. »

Préparation à Lausanne

Avec Hourtou, Israël Madaye remporta le bronze en équipe mixte aux Championnats d’Afrique 2019. Trois ans plus tard, flanqué d’autres distinctions continentales, il glana à son tour une bourse de la solidarité olympique pour se préparer à Lausanne au siège de World Archery, la Fédération internationale. « En une année ici, c’est comme si je m’étais entraîné dix ans au Tchad », sourit-il. « Les installations, le matériel… Ça n’a rien à voir. Je m’entraîne quotidiennement, parfois plusieurs fois. J’ai aussi travaillé sur mon corps, ma posture, plein de détails. »

 

Israël Madaye arrive à rapporter des médailles au Tchad malgré de faibles moyens.

Un travail qui accoucha d’une médaille d’or par équipe mixte aux Championnats d’Afrique 2023 avec la jeune Hallas Maria. Un aboutissement symbolique de la progression et régularité du Tchad au meilleur niveau continental. « On est crédible désormais », juge Woibogo qui accompagnera son ami et protégé qui a réussi les minimas pour Paris ce printemps. « Contrairement à Tokyo, j’ai réussi à faire le score suffisant », savoure Israël. « J’ai énormément progressé et même si ce n’est pas toujours facile – le manque de soleil et l’hiver en Suisse, je n’étais absolument pas préparé (rires) -, je savais pourquoi j’étais là. »

A 36 ans, Madaye est conscient d’évoluer à son meilleur niveau et sera l’un des trois représentants tchadiens aux Jeux, ainsi que le seul dans sa discipline ; la talentueuse Hallas Maria n’étant finalement pas du voyage. « C’est une grande responsabilité et un rêve. Je suis impatient, mais je ne me mets pas de pression supplémentaire. Je veux juste vivre le moment. »

Romain MOLINA

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