Participer aux Jeux olympiques, Valentin Houinato en rêve depuis l'enfance. Le franco-béninois judoka et journaliste à France Radio a récemment décidé de défendre les couleurs du Bénin à l'international. Dans cette interview, Houinato raconte à Sport News Africa, sa double vie professionnelle et ses périples sur la route de Paris 2024.
De notre correspondant au Bénin,
Valentin Houinato, vous avez démarré les qualifications avec une médaille de bronze à l'African Open de Tunis de judo. Comment avez-vous vécu cette première ?
Valentin Houinato : Je me sentais quand même en forme avant la compétition, donc cette médaille me fait vraiment plaisir parce que je marque des points pour la ranking-list. Pour la tête, ça fait du bien de mettre une première médaille en 2024. Ça lance enfin l'année jusqu'à cet été les JO.
Encore une dizaine de compétition dans la quête du billet qualificatif. Paris 2024, un rêve et un objectif pour vous ?
Valentin Houinato : l'objectif c'est Paris 2024. Il ne faut pas trop se perdre parce qu'en fait, il faut marquer les points, mais il faut aussi se reposer. Je pense qu'on va encore faire le Grand Prix en Autriche, les Jeux Africains, le Grand Slam à Antalya, Turquie. Je réfléchis, je vais faire une compétition avec le club, après les championnats d'Afrique, les championnats du monde et enfin les Jeux olympiques.
Comment vous organisez-vous entre les entraînements, les compétitions et le boulot ?
Ici, au club, on fait bien de la musculation, la préparation physique, des séances techniques ou des séances de combat, ce sont des entraînements du lundi au samedi. Il faut juste essayer de ne pas faire trop de compétitions. Après, c'est le piège d'avoir envie de marquer beaucoup de points, d'assurer la qualification, mais faire des compétitions toutes les semaines, ce n'est pas le plus bénéfique. Il y a beaucoup de fatigue qui s'accumule avec les vols, les décalages horaires. Donc il faut essayer de trouver un équilibre. Pour l'instant, je ne suis pas encore dans une préparation des JO.
Le premier gros objectif de la saison, c'est le championnat d'Afrique qui est fin avril. Je n'ai plus de nutritionniste et tout, j'essaie de faire mon truc de mon côté, mais sur le long terme comme ça, le plus compliqué, ce n'est pas trop craquer. Mais je suis bien suivi ici, je suis tout le temps en contact avec le coach Stéphane (son coach aux entraînements, NDLR) et il est au top. Il voit tous mes combats en compétition et en entraînement, donc on travaille.
Vous représentiez la France jusqu'en 2023. Mais récemment, vous avez décidé de représenter le Bénin, le pays de votre père. Comment s'est fait ce choix ?
C'est parti d'une rencontre avec un ancien judoka béninois lors d'un entraînement à Paris. Il m'a dit ‘’écoute si ça t'intéresse, je peux te mettre en contact avec la Fédération’’. Je le connaissais déjà parce que j'avais vu ses résultats, je savais qu'il n'y avait pas beaucoup de judokas béninois. Ça s'est fait comme ça et j'ai commencé en mai 2022. J'étais blessé, mais on a commencé sur le premier championnat d'Afrique en Algérie. En France, j'étais vers la 15ème place, beaucoup trop loin pour espérer faire les Jeux avec la France. Donc deux ans avant les Jeux, c'était l'occasion de tenter l'expérience.
J'ai été élevé avec ma mère qui est française, je n'avais pas encore une attache aussi forte pour le Bénin. Mais à partir du moment où j'ai combattu pour eux, on voit déjà sur les réseaux sociaux une forte solidarité entre Africains et entre Béninois. On a vraiment ce sentiment-là de porter tout un pays, moi, j'ai croisé plein de jeunes gens qui habitent soit en France, soit au Bénin, on m'envoie des messages et on me dit, ‘’ah ça fait plaisir, surtout que nous au Bénin on n'a pas beaucoup d'athlètes’’. Il y a une vraie fierté et une émotion que je ne soupçonnais pas au départ, de représenter ce pays-là qui est peu représenté, mais avec un gros potentiel.
Quels sont les rapports entre Valentin Houinato et les dirigeants de la Fédération béninoise de judo ?
La fédération, on communique par WhatsApp, on se croise sur quelques compétitions. La dernière fois, c'était au Championnat d'Afrique. Je suis en contact avec le Président et aussi le Secrétaire Général pour caler les inscriptions aux compétitions, le paiement des frais et autres.
Vous rencontrez aujourd'hui des difficultés dans la préparation des compétitions. Vous avez même lancé une cagnotte via une vidéo sur votre compte Instagram…
Oui, le plus gros point noir, c'est l'aspect financier parce qu'une compétition quand on prend l'hôtel, l'avion, le visa et tout, en général ça coûte tout de suite entre 1 000 € et 1 200 €. On en fait une dizaine dans l'année, donc on arrive à 10 000 € ou 12 000 €. Les frais du quotidien, moi, je prends des cours de ju-jitsu en plus, la préparation mentale, les frais médicaux, l'alimentation, une saison ça peut coûter 20 000 €. Pour l'instant, la fédération rembourse ce qu'elle peut. En 2023, j'ai dû dépenser peut-être 6 000 € à mes frais. Tous les mois, je suis à découvert. C'est de l'argent qui est pris directement sur mon salaire ou sur mes économies.
A la base, vous jouiez au foot avant d’opter pour le judo. Pourquoi avez-vous changé de discipline ?
Ma mère ne voulait pas du foot alors que moi, je voulais être footballeur professionnel. J'avais un oncle qui était arbitre en Ligue 2 qui avait dit franchement, il a du potentiel et tout, mais ma mère n'aimait pas du tout le foot. J'ai fait des détections en Île-de-France, mais ça ne l'avait pas fait, car il y a beaucoup de très bons joueurs. Je n'étais pas mauvais, mais je pense qu'on était beaucoup trop, et je n'ai pas eu l'entourage qui connaissait vraiment ce milieu-là. Au bout de deux ans, je suis revenu au judo.
Comment mène-t-on la double vie professionnelle de journaliste judoka en France ?
C'est fatigant, ce n'est pas le meilleur métier pour faire du sport de haut niveau. J'ai la chance que mon service soit au courant. Quand je pars en compétition, je peux me mettre en indisponibilité un, deux ou trois jours. Il faut se lever un peu plus tôt, se coucher un peu plus tard parce qu'il faut aller à l'entraînement le matin et le soir. Honnêtement, il n'y a vraiment pas de recette, c'est vraiment dur, j'avoue, il faut juste serrer les dents.
Manquer le rendez-vous de Paris 2024 à la maison serait-il un échec pour vous ?
Dans ma tête, c'est sûr que je serai aux JO de Paris. On peut toujours se blesser, avoir des contre-performances, par contre là si ça ne le fait pas, ça va être très compliqué de gérer parce que les JO, c'est un objectif de toute une vie, depuis que j'ai commencé le sport, j'ai toujours voulu être au plus haut niveau.
C'est un rêve d'enfance et après, je travaille vraiment pour ça depuis 5 ou 6 ans. Mon quotidien est tourné vers ça, donc ça va le faire, je ne doute pas. Je pense qu'à la fin, à la fin de l'histoire, celui qui a le plus travaillé et le plus persévéré est récompensé d'une façon ou d'une autre. Si c'est vraiment une passion et quelque chose qui vous anime, il faut persévérer, un jour ça paiera, c'est sûr.
Rachidi DOSSA