Championne du monde en titre, la France, qui affrontera la Tunisie, le Danemark et l’Australie au premier tour, s’avance vers sa seizième phase finale un peu boiteuse, à force d’être frappée par les blessures de plusieurs de ses cadres et impactée par l’ambiance délétère de sa fédération. Et si toutes ces mauvaises ondes étaient finalement une bonne nouvelle pour Didier Deschamps ?
De notre correspondant en France
Un jour, l'immense humoriste français Coluche, décédé en 1986 et jamais remplacé, avait posé une question aussi anodine qu’inattendue, et finalement pleine de sens. “Savez-vous pourquoi les Français ont choisi le coq pour emblème ? C’est parce que c’est le seul oiseau qui arrive à chanter les pieds dans la merde.” Cette conclusion définitive d’un homme qui ne s’intéressait pas du tout au football pourrait bien se transposer à l’actualité de l'Équipe de France, championne du monde en Russie en 2018, et dont le quotidien n’est plus vraiment un long fleuve tranquille. Didier Deschamps, à force de se le faire rappeler à longueur d’interviews, ne peut plus ignorer que dans l’histoire de la compétition, les tenants du titre ont toujours eu du mal à briller lors de l’édition suivante, à l’exception de l’Italie et du Brésil, qui avaient réussi en 1938 et 1962 à conserver leur bien acquis quatre ans plus tôt.
La France, qui avait lamentablement échoué au premier tour de la Coupe du Monde 2002 après avoir remporté son premier trophée en 1998, sait donc à quoi s’attendre. L’Histoire et les statistiques sont contre elle, et comme si cela ne suffisait pas, Deschamps a vu successivement le gardien Mike Maignan (MIlan AC), le défenseur Presnel Kimpembe (Paris-SG), les milieux de terrain Paul Pogba (Juventus Turin) et N’Golo Kanté (Chelsea) et l’attaquant Christopher Nkunku (RB Leipzig), ce dernier pas plus tard que le 15 novembre, à la veille du départ des Bleus vers Doha, se blesser et déclarer forfait. Karim Benzema, le Ballon d’Or 2022, a suivi des tribunes ou depuis son canapé les derniers matches du Real Madrid à cause d’une blessure musculaire heureusement sans gravité, Raphaël Varane a lui aussi connus des pépins physiques, et les affaires secouant la Fédération Française de Football (FFF), entre les SMS graveleux envoyés par Noël Le Graët à quelques employées et le management brutal et autoritaire de Florence Hardouin, directrice général de l'instance, largement étayé par un article du quotidien Le Monde, ont alourdi l’ambiance du football français. Et sur le terrain, les Bleus, vainqueurs de la Ligue des Nations 2021, ne pourront pas défendre leur titre l’été prochain, devancés par la Croatie et le Danemark lors des qualifications.
Bref, tout va presque mal, et ce n’est pas une si mauvaise nouvelle. Le Français, en général sûr de lui et un brin arrogant, a tendance à affirmer un peu plus ses penchants vaniteux quand les signaux sont au vert. Dans l’Hexagone, personne n’a oublié qu’en 2002, après le titre mondial de 1998 et la conquête de l’Euro deux ans plus tard, le maillot avec la deuxième étoile était prêt avant même que la Coupe du Monde en Corée du Sud et au Japon ne commence, les petits fours et le champagne déjà commandés, et le refrain du bon vieux I will survive prêt à resservir. Cette fois-ci, l’horizon est loin d'être aussi dégagé qu’il y a vingt ans, les Bleus et leur sélectionneur ont plutôt pris le pli de ne pas trop fanfaronner, et le passé invite à se rappeler quand les Français ne sont jamais aussi dangereux que lorsqu’ils ont au moins un pied dans la mouise.
Bien sûr, la France a un statut, des joueurs de classe mondiale, Kylian Mbappé, Karim Benzema et Antoine Griezmann en tête, des joueurs expérimentés dans (presque) toutes les lignes et un sélectionneur qui en connaît un rayon niveau grandes compétitions. On ne fera pas passer les Bleus pour un simple participant, venu respirer l’air chaud de Doha : avec le Brésil, l’Argentine, l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne et peut-être quelques autres, ils font partie des favoris, ou au moins de gros outsiders. Leur groupe, composé du Danemark, une de ses bêtes noires, de l’Australie et de la Tunisie, n’est pas le plus relevé, mais il ressemble furieusement à celui de 2018 (Australie, Danemark, Pérou), et on se souvient que les Tricolores avaient eu toutes les peines du monde à s’en extirper, après avoir produit un football faisant passer celui de l’Egypte comme un des plus flamboyants qu’on puisse imaginer.
On l’a dit, Deschamps dispose d’assez de qualité et d’expérience dans toutes les lignes (Lloris et Mandanda dans les buts, , L. Hernandez, Pavard, Varane en défense, Benzema, Giroud, Mbappé, Coman, Griezmann en attaque), mais pas vraiment au milieu, privé de Pogba et Kanté. Hormis Rabiot (29 sélections), aucun joueur de ce secteur essentiel n’affiche plus de 15 sélections au compteur, et cela peut avoir son importance dans le parcours d’une équipe qui évoluera de nouveau avec quatre défenseurs, Deschamps ayant été moyennement convaincu par le système à trois. La question du milieu de terrain n’est pas anodine, car, par empirisme, tout le monde sait que c’est un secteur essentiel si on espère aller loin dans une compétition. La France le sait mieux que quiconque : à chaque fois qu’elle a remporté un titre majeur ( Coupe du Monde en 1998 et 2018, Euro en 1984 et 2000), elle était formidablement outillée dans cette partie du terrain. A l’Euro 2021 aussi, et cela ne lui avait pourtant pas évité d’être éjectée par la Suisse en huitièmes de finale…
Alexis BILLEBAULT