A bord de sa moto, le Marocain Harite Gabari est un dur à cuire sur les pistes désertiques et sablonneuses. Amoureux du Dakar depuis le bas âge, aux temps où les pilotes passaient encore dans son pays, celui qui rêve d’une nouvelle participation se confie sur le challenge, les difficultés et surtout son ambition de voir d’autres Marocains affronter les pistes. Entretien.
Harite Gabari, comment est né votre amour pour le Rallye Dakar ?
C’est depuis tout petit. Avec mon père, nous avions une collection de cassettes vidéos des Dakar des années 1980-90. A chaque fois que nous pouvions en regarder nous le faisions durant les weekends. Et petit à petit je suis tombé amoureux de tout ce qui est rallye, désert... Quand le Dakar a commencé à passer au Maroc, mon père nous emmenait aux bivouacs pour voir les machines et les pilotes. Nous nous mettions dans cette ambiance de rallye, de motos et de compétition. Mon père faisait également de la moto, et c’est comme ça que j’ai chopé le virus.
Quelle participation vous a le plus marqué ?
Ma première fois. C’est l'édition qui s’était déroulée en Argentine en 2011. Mais mon premier engagement remonte au Dakar qui devait se tenir en 2008 avant que l’édition ne soit malheureusement annulée. Je m'attendais à ce que la compétition reste en Afrique, mais cela a été maintenu en Amérique du Sud. En tout cas, j’ai toujours la soif du Rallye Dakar.
Quels seront vos objectifs pour ce Dakar ?
Mon objectif pour le Dakar 2022, comme chez tous les participants, c’est d’abord de finir. Pour le classement, c’est une autre histoire, car nous n’avons pas les mêmes moyens, les mêmes budgets ni le même matériel. Il faut reconnaître que nous n'avons pas les moyens d'aller chercher les top pilotes. Heureusement, aujourd’hui, il y a plusieurs catégories contrairement à avant. Et cela permet d’augmenter les chances d’accrocher le podium dans la nôtre.
Cette année, je participe en malles-moto, c’est-à-dire sans assistance. C’est moi qui dois m’occuper de ma mécanique le soir, monter ma tente, préparer ma moto.... C’est un challenge. Pour moi, c’est ça aussi se mettre dans le bain du Rallye Dakar. J’espère faire un bon classement dans la catégorie des pilotes sans assistance.
Que ressentez-vous en tant que premier Marocain à disputer l’épreuve ?
C’est d’abord un sentiment de fierté, car j’ai tout fait pour y aller. Il faut dire que pour mon premier Dakar j’ai eu beaucoup de mal à y prendre part, car cela nécessite un gros budget. J’ai dû sacrifier beaucoup de choses. Mais comme je suis né dans une famille de motards, je me suis dit que je vais me donner jusqu’au bout. Même pendant le Dakar, j’ai eu beaucoup de difficultés. Il y a des journées où on rentrait à minuit, on partait encore à 4h00 du matin, on a seulement trois heures de repos. Toutefois, comme premier Marocain à y participer, je me suis dit que c’est une sorte de responsabilité pour moi et que je dois aller jusqu’au bout. J’ai fini mon Dakar et en plus j’étais classé 2e dans la catégorie Marathon. C’est une grande fierté d’avoir fait et fini le Rallye Dakar à ma première participation et d'avoir représenté mon pays.
Vous avez aussi participé à d’autres courses comme le Morocco Desert Challenge, quels sont les principaux obstacles à surmonter à chaque fois ?
J’ai fait pas mal de rallyes outre le Dakar. J’ai fait l’Africa Eco Race, le Morocco Desert Challenge, un des plus grands rallyes au monde. J’ai gagné des rallyes. J’ai fait l’Africa Race qui remplace un peu le Rallye Dakar en Afrique. J’ai été aux premières places durant les deux éditions que j'ai faites. Malheureusement, j’ai eu un accident pour la première participation. Pour la deuxième participation, j’ai eu un problème mécanique. Pour le rallye, il faut toujours avoir un bon budget, du bon matériel, une bonne machine. Réunir les conditions pour faire un bon rallye. Quand on n’a pas de bonne mécanique, on a des problèmes au bout de cinq ou six étapes.
Nous espérons avoir le plus de partenaires dans le futur, car c’est un sport mécanique qui nécessite des moyens. En Afrique et particulièrement au Maroc, il y a des conditions magnifiques et beaucoup de jeunes qui roulent super bien. Mais il faut que tout le monde investisse afin de développer les sports mécaniques, pour qu’on ait plus d’Africains sur les rallyes. Quand les conditions et les structures ne suivent pas, cela devient très compliqué. La presse doit aussi, de son côté, jouer son rôle, parler plus de ces sports, car elle a un très grand rôle à jouer.
Avez-vous eu du soutien d’institutions pour le prochain Dakar ?
Malheureusement non. Je n’ai pas de soutien d’institutionnels marocains. La raison est simple : le budget de la Fédération marocaine ne suffit même pas pour couvrir le championnat national. Donc si elle me finance moi tout seul il ne restera plus rien. Toutes les compétitions seront alors arrêtées. Il faut que les gens nous apportent plus de soutien pour participer, faire d’autres rallyes et représenter tout un pays, tout un continent.
Revenons un peu en arrière. En 2016 vous avez été victime d’une violente chute lors de la 4e étape. Qu’a changé cet accident en vous ?
C’est sûr qu’après des chutes et des échecs nous repartons beaucoup plus forts. En 2016 malheureusement j’ai eu un accident lors de la 3e étape, j’ai pu faire quatre étapes de plus avec des vertèbres cassées. J’ai serré les dents, mais les médecins m’ont conseillé d’arrêter. Car en cas d’autres chutes, c’est le maillon faible qui risquait de casser et ce serait la catastrophe. Je n’ai pas voulu abandonner, car c’est très difficile de se préparer pour participer au Rallye Dakar. C’était mon dernier Dakar et j’espère repartir sur celui-là dans de bonnes conditions.
Qu’est-ce qui vous a motivé à poursuivre l’aventure après ?
C’est tout le sacrifie et tout le travail que nous faisons. C’est un an de travail, de recherche de condition physique, de recherche de sponsors... C'est ce qui m’a poussé à poursuivre. En 2016, j’ai roulé quatre jours avec des vertèbres cassées, car quand on est dedans on n’y réfléchit pas trop. On se dit "je vais jusqu'au bout". Mais à un moment on pense aussi à sa santé.
Vous avez créé la team Morocco Racing, pouvez-vous nous en dire plus ?
En début d'année, j’ai contacté deux amis que je connais très bien à qui je parle du Dakar et des rallyes. Je leur ai parlé pour qu’ils participent au Rallye Dakar, car les gens ont toujours peur de s'y lancer. Ils voient le challenge trop grand, trop inaccessible... Mais tout au long de cette année, nous avons travaillé sur ces points. Je leur ai parlé de la préparation, de ce qu’il faut prendre comme moto... Je les ai coachés et nous avons participé au rallye du Maroc en guise de préparation. Je les ai donc poussés.
Mon objectif est aussi de ramener des jeunes pour qu’il ait de la continuité, car je ne ferai pas de la moto tout le temps. Je voudrais passer à quatre roues incha'Allah. Toutefois, il faut pousser les jeunes pour qu’ils y aillent, parce qu'ils se mettent des obstacles eux-mêmes. Bien sûr, il faut être qualifié. Il ne suffit pas d'avoir de l'argent pour venir s'inscrire. Donc mon premier objectif est aussi cette quête de continuité. Je pense cela va motiver d’autres Africains, d’autres pays… Comme le Sénégal, un pays qui fait beaucoup de rallyes.
Y a-t-il un réel engouement au Maroc pour les sports auto-moto ?
Ces dernières années, nous voyons de plus en plus de motards, de karting, de courses de voitures au Maroc. C'est vraiment en train de se développer. Les Fédérations organisent des compétitions, encouragent les jeunes. Mais il faut accorder une vraie importance à ces sports pour qu'il y ait de la continuité, car ce sont des disciplines qui coûtent cher. Il faut que le ministère des Sports s'investisse vraiment dans ce domaine.
Nous avons en tout cas beaucoup de potentiel. Et cela peut pousser tous les jeunes qui roulent sans casque dans les rues à intégrer ces sports, travailler et se discipliner, car la compétition offre aussi ces avantages. Donc nous pouvons avoir des champions demain, car nous avons un énorme potentiel, un terrain de jeu magnifique, comme je l'ai évoqué plus tôt.
Propos recueillis par Mohamed HADJI