Le Sénégal s’est offert un nouveau titre mondial aux Jeux Mondiaux de Skate en Argentine (24 octobre - 13 novembre 2022). L’œuvre de Dame Fall dans sa discipline de prédilection, le Free Jump. Déjà champion du monde en 2017 en Chine, l’athlète de 25 ans a réussi sa reconquête après la perte de sa couronne à Barcelone (Espagne) en 2019. Celui qui est devenu moniteur et coach à Brest (France) s’est confié à Sport News Africa dans ce long entretien sur les péripéties entourant cette nouvelle médaille d’or. Dame Fall en a profité pour évoquer ses objectifs de titres en 2024, son rêve de médaille olympique et l’ambition de créer une académie au Sénégal dédiée aux jeunes pratiquants de Roller.
De notre correspondant au Sénégal,
C’est une grande fierté et une joie incommensurable qui m’ont envahi en remportant ce nouveau titre de champion du monde. En 2017 c’était plus pour découvrir les Mondiaux et le Bon Dieu nous a gratifié de la médaille d’or. Ce n’était vraiment pas dans cette optique-là. En 2019 j’ai perdu mon titre (médaillé d’argent, ndlr). On a coutume de dire qu’avant de connaître la valeur d’une chose, il faut la perdre. Celle de 2022 a une saveur particulière. J’ai perdu mon bien (le titre) et j’ai cravaché dur pour le récupérer. Personne ne peut mesurer une telle joie. Tout ce qu’on a traversé pour récupérer la médaille d’or mondiale et surtout les attentes de ceux qui ont crû en cela étaient fortes. J’avais beaucoup de pression et le voyage vers l’Argentine était éprouvant. Mais là tout est oublié et on savoure ce titre de champion du monde pour tout ce qu’il représente.
En termes de gestion de stress en compétition j’ai énormément progressé. Je suis devenu éducateur sportif et j’entraîne des athlètes de haut niveau en France. Des athlètes qui font de grandes compétitions en France mais aussi les championnats d’Europe. L’autre chance que j’ai en de telles circonstances c’est ma foi car je suis un fervent disciple de Serigne Touba. Quand je suis en quête d’un objectif, j'y vais avec calme et sérénité. Cela m’aide énormément en compétition. Cela me tranquillise. Ensuite, en voyant mon adversaire principal tomber des barres, ce qui n’est pas dans ses habitudes, ça m’a davantage « boosté » et rassuré que c’était mon jour.
En 2017, nous ne savions absolument rien des championnats du monde. C’était vraiment une découverte. On ignorait tout du niveau international. Les objectifs n’étaient pas les mêmes déjà. Je décroche une médaille d’or grâce à Dieu. En 2022 c’était plus dur car on connaissait le niveau d’exigence d’une telle compétition, comment parvenir au titre de champion du monde. Je perds mon titre en 2019. Et en 2022, c’était beaucoup plus difficile. Le niveau a considérablement augmenté, l’expérience aussi, les concurrents plus nombreux et plus performants. La discipline du Free Jump est plus populaire aujourd’hui. Avant c’était une discipline dominée par un champion qui avait de la marge sur les autres.
Depuis que je me suis lancé dans le Free Jump avec mon rival Français (Petit collin, ndlr), on ne cesse de repousser nos limites. À chaque fois on bat des records, je le bats et il arrive qu’il me batte aussi. Ça n’a pas toujours été le cas dans cette discipline avant. La saveur que je tire de ce titre en 2022 est juste indescriptible parce que c’était vraiment galère pour récupérer ce titre. Sur le podium je n’ai jamais ressenti de telles émotions depuis que j’ai débuté le Roller. Je ne les ai jamais ressenties dans aucune compétition.
La préparation a été vraiment difficile. C’est souvent ainsi lorsqu’on se lance à la quête d’un titre perdu, il faut en faire plus que d’habitude. De 2019 à 2022, je n’ai jamais perdu de vue l’objectif : récupérer mon « bien ». La préparation physique m’a pris 8 mois. Huit mois où je me suis renforcé physiquement mais aussi mentalement pour le jour-J. Et même au niveau de l’alimentation car le High Jump qui est ma spécialité, est très technique mais aussi très physique. Il y a un certain gabarit à préserver. Tu ne dois pas être trop lourd, tu dois être affûté, à la limite sec et très léger. Il y a donc un régime alimentaire à s’infliger pour réaliser des performances.
Tout cela ce sont des sacrifices consentis au nom de cette médaille d’or, au nom de mon cher pays, le Sénégal. Même si en ce qui concerne le voyage et la logistique, c’est malheureusement toujours pareil. Les mêmes choses se répètent, on a toujours des problèmes de soutien financier et c’est au dernier moment que la situation se décante, le visa à la dernière minute. Et à chaque fois également quand on arrive à la compétition, on rencontre des difficultés pour trouver un hôtel correct, pour l’alimentation, des problèmes d’organisation sur place. À chaque compétition, c'est les mêmes difficultés, c’est récurrent.
Si on a eu plus de médailles avant, c'est parce qu’en 2017 et 2019, nous avions participé avec Awa Baldé. Elle a remporté le titre mondial à chaque fois et en s’offrant le record du monde lors de ces deux compétitions. Elle était tenante du titre pour ces Mondiaux mais elle n’a pas pu défendre son titre cette année. En 2019 on a perdu beaucoup d’athlètes en Espagne (des athlètes sénégalais ont fugué, ndlr). Les conditions de vie vécues lors de certaines compétitions avaient poussé certains athlètes à déserter. C’est ainsi qu’on a perdu pas mal de nos athlètes y compris Awa Baldé. Avec elle, la médaille d’or est une garantie à chaque fois. Elle est très forte pour sa catégorie. C’est pour cette raison qu’on a eu moins de médailles que lors des derniers championnats du monde. À chaque fois qu’elle venait, elle assurait une médaille d’or. En plus, le médaillé de bronze à Barcelone (Jean Pierre Sarr, ndlr) a vu son niveau baisser et a échoué à la 4ème place.
Ma présence en France m’a beaucoup aidé. Quand je quittais le Sénégal, je n’avais aucune expérience d’entraînement même si j’étais déjà champion du monde. J’ai suivi des formations ici en France. Une formation certifiée de qualification professionnelle pour être moniteur et un diplôme d’état pour devenir entraîneur de haut niveau en Roller. Sur le plan sportif, j’ai considérablement amélioré ma façon de sauter et mes performances en Free Jump. Et également en Skate-cross qui n’est pas exploité au Sénégal, faute d’infrastructures. C’est ici en France que j’ai débuté le Skate-cross.
Je suis très disposé à évoquer ce sujet car c’est souvent négligé. Le Roller est une discipline très technique, une discipline qui demande des formations pour des coachs au niveau local. Je me suis vraiment perfectionné quand je suis parti à l’étranger. Au niveau local on manque de formateurs, de coachs qualifiés. Aujourd’hui j’invite l’état du Sénégal à soutenir, à faire confiance au Roller en nous dotant d’infrastructures.
On a vraiment des problèmes d’infrastructures. Si on devait organiser une compétition de Roller, s’il pleut on annule parce qu’on n’a pas d’infrastructures fermées. Il y a aussi la partie financière et logistique qu’on demande aux autorités car le matériel en Roller coûte cher. Une paire de Roller professionnel coûte entre 500 et 600.000 FCFA (entre 750 et 900 €). La Fédération n’a pas ces moyens-là. Sans le soutien de l’état du Sénégal, on n’y arrivera pas. On a besoin de cette aide pour l’organisation d’événements sportifs et assurer la prise en charge des athlètes. Au Sénégal, il y a une jeunesse prête à prendre la relève. Il faut les accompagner en direction des Jeux olympiques de la jeunesse en 2026. Le Sénégal peut nourrir des ambitions de médailles car il y a du talent et de réelles capacités en Roller et en Skateboard mais il manque des moyens pour l’accompagnement des jeunes athlètes.
Mon objectif reste de gagner encore et encore. Conserver d’abord mon titre de champion du monde car c’était galère pour le récupérer. Battre de nouveaux records car les prochains Mondiaux sont prévus en 2024 (en Italie). Ça arrive très vite. On a quelques semaines pour fêter et on retourne au travail préparer les prochaines échéances. Mon objectif est de conserver mon statut de numéro 1 mondial. Je souhaite également offrir un titre olympique au Sénégal (le Roller, discipline candidate aux JO 2028).
Sur le plan professionnel j’espère pouvoir être en capacité d’ouvrir une infrastructure dédiée au Roller, une académie World champion Dame Fall ça s’appelle. J’ai l’ambition d’y former la relève, de faire sport - études. Si les occidentaux sont loin devant nous c’est parce que dès leur plus jeune âge ils combinent sport et études. Ils ne sont pas bloqués pour vivre leur passion. C’est un problème chez nous. C’est ce qui motive mon ambition de lancer mon académie au Sénégal pour répondre à ce besoin chez nos jeunes athlètes. À un moment de ma vie, j’ai été obligé de choisir entre le Roller et mes études. Je n’avais pas d’autres choix. Au Sénégal nous avons peu de chances d’allier sport et études. Abandonner mes études au niveau de la licence pour vivre ma passion du Roller, c’est une chose que je n’aimerai pas que les générations futures y soient confrontées.
Par Moustapha M. SADIO