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Natation-Malick Fall : «Quand Mohamed Ali m’a demandé…»

Plusieurs fois champion d’Afrique de natation, la légende sénégalaise des bassins, Malick Fall a accordé une interview à Sport News Africa. Retraité il y a quelques années, il est revenu sur sa longue carrière et ses débuts aux JO de Sydney à 14 ans. Aujourd’hui entraîneur national du Sénégal, Malick Fall dirige l’une des plus belles cuvées de talents de l’histoire de la natation sénégalaise. Il n’a pas manqué de relever problèmes infrastructurels qui retardent le développement de ce sport au pays des champions d’Afrique de football.

De notre correspondant au Sénégal,

Malick Fall, ancien Roi de la natation africaine ouvre, son album-souvenirs

Sport News Africa : Après plus de 20 ans au plus haut niveau de la natation, quel regard portez-vous sur votre carrière ?

Malick FALL : Je suis désormais dirigeant et entraîneur. J’ai beaucoup à transmettre aux jeunes. Partager ce que j’ai pu emmagasiner pendant mes années au haut niveau.  J’ai fait tout ce que j’ai voulu faire dans la natation. Pouvoir tteindre un niveau qu’aucun africain noir n’a pu atteindre jusque-là et décomplexer la natation africaine ont été mes objectifs. Parce que j’en ai subi des réflexions du genre : «ah ce noir sait nager». Des choses que j’ai vécues dans le haut niveau international. J’ai été 17ème et 14ème mondial. Avoir aussi été 5ème mondial dans ma catégorie ont été des challenges que je m’étais fixés. Cela a fait ma fierté en tant que sportif.

Aux JO de Sydney en 2000 vous n’aviez que 14 ans…

J’avoue que c’était quand même rapide. J’avais en effet  la natation en 1996 à Ngor. En 1997 j’ai commencé à nager en compétition. Et en 1998 je réalise vraiment mes premières performances. J’arrive dans la foulée au club de la BCEAO avec Malick Fall qui était l’entraîneur national. Tout est parti de là, j’ai commencé à m’entraîner sérieusement tous les jours, matin et soir. J’ai commencé à me dire que les Jeux olympiques c'était possible mais je n’avais vraiment aucune idée de l’ampleur d’un tel événement. J’étais complètement perdu pour mes premiers Jeux, avec toutes les stars qu’il y avait. Cela a suscité un intérêt plus accru pour la natation. Je ne m’intéressais pas forcément à mon sport. Ces JO ont été le déclencheur. Tout est allé si vite. J’ai pu gérer avec toutes les personnes qui étaient derrière moi et qui m’ont soutenu dans ce projet de devenir un grand nageur.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans les bassins lors de vos premiers Jeux ?

Ce qui m’a le plus marqué lors de ces Jeux ça a été ma rencontre avec Mohamed Ali (le boxeur, ndlr). J’ai vu toutes ces stars qui faisaient la queue pour ce monsieur en fauteuil roulant, qui tremblait. J’étais tout petit et je savais même pas qui s’était. Je me suis dit que ça doit être quelqu’un d’important. Il me désigne au fond de la file et me demande de m’approcher. Tout le monde était surpris et se demandait qui j’étais ? Il m’a invité à faire une photo avec lui. Un honneur qu’une telle légende m’ait choisi dans cette foule pour faire cette photo. Une photo d’ailleurs que je garde jalousement dans mes souvenirs de ces premiers Jeux. Également le fait d’avoir été un des plus jeunes athlètes des JO de Sidney. Mieux, le plus jeune dans ma discipline, la natation. De nager avec notamment avec Michael Phelps qui était encore jeune, qui avait mon âge. De voir des Ian Thorpe, c’était énorme. C’est là où tout a explosé en moi.

 

«J’étais complètement perdu pour mes premiers Jeux Olympiques, avec toutes les stars qu’il y avait»

 

Y a-t-il une pointe de regret dans votre longue carrière ?

J’en ai eu quelques-uns quand même. Lors des Championnats du monde de natation à Montréal (2005) où avec mon meilleur temps, j’aurai été directement en demi-finale. Je n’ai pu nager dans ces temp- là lors des 200m 4 nages. Et puis lors des Championnats de France en 2010 où je termine 2ème de la finale. J’étais devant toute la course. À l’arrivée, je n’ai pas malheureusement vu le mur. Du coup le médaillé d’or qui était pourtant derrière moi, a touché juste avant moi. Il fait 28’13, je fais 28’14 et j’étais largement devant lui dans ce finish. Ça a vraiment été le plus gros regret de ma carrière. J’aurai pu être champion de France. Il y a également les Championnats d’Afrique de natation de 2010, auxquels je n’ai pas pris part à cause de mes examens. Avec les temps que j’avais claqué cette année-là, j’allais être largement champion sur le 50m, 100m et 200m. J’étais vraiment en forme à l’époque.

Comment jugez-vous le niveau de la natation sénégalaise actuellement ?

Le Sénégal a un niveau assez intéressant aujourd’hui. Avant, j’étais quasiment le seul sénégalais compétitif en Afrique avec Binta Zahra Diop. Maintenant, on voit que pour être en finale aux Championnats de natation du Sénégal, il faut nager autour des 57 secondes, là où à l’époque avec une minute tu passes. Pour rentrer dans le relai 4 x 100m sénégalais il faut nager 52, 53 secondes. Alors qu’à l’époque il n’y avait qu’une personne dans ces temps. Il y a une densité qui existe, il y a des médailles. On voit les belles performances de Oumy Diop, qui est ma nièce. Steven Aimable et Adama Niane aussi.

On a le petit frère Aimable (Karl Wilson, ndlr) qui grimpe aussi. On a Amadou Ndiaye, Mathieu Sèye qui a beaucoup d’avenir. J’ai vraiment beaucoup d’espoir en Mathieu, un jeune qui bosse et qui sait où il va. La densité est là, maintenant il faut massifier tout cela. Malheureusement beaucoup de nos bons nageurs sont obligés de s’expatrier parce que la piscine olympique de Dakar n’est pas à leur disposition. Ce qui est dommage et qui pourrait les décourager de rester. Il leur faut ce lieu d’entraînement pour développer leur projet sportif.

Quelles solutions structurelles pour entretenir la flamme chez nos pépites locales ?

C’est très simple ! Pour faire du sky, il faut de la neige. Et pour faire de la natation il faut des piscines. La seule piscine qu’on a au Sénégal nous empêche d’évoluer, c’est déjà un problème pour que la Fédération développe la discipline. Si la mairie de Dakar veut une piscine, elle n’a qu’à en construire une à elle. Mais une piscine nationale c’est pour développer la natation sénégalaise. Nos enfants doivent pouvoir y accéder avec des programmes de la Fédération. D’un autre côté il faut procéder à l’élargissement. Dans les autres régions il n’y a pas de piscine. Il faudra donc que les pouvoirs publics mettent une piscine dans les 14 régions du pays. Cela permet l’apprentissage de la natation, la création de clubs, cela crée des emplois et permet de prévenir les noyades.

Trois cents personnes meurent cependant chaque année de noyade au Sénégal. En plus la natation aide les asthmatiques. L’asthme est souvent soigné par la natation. De grands nageurs comme Ian Thorpe étaient asthmatiques. Avec des activités comme l’aquagym que l’on fait ici à Ngor, on aide aussi des personnes handicapées moteurs dans leur rééducation. Il faut se mettre autour d’une table et réfléchir sur le développement de la discipline. Ici (au stade de Ngor, dont il est le directeur) on compte faire une piscine pour un programme de bébés nageurs mais aussi pour du ludique en famille. Tout cela est pédagogique.

 

«Pour avoir une médaille, il faut préparer l’athlète sur 8 ans. On ne peut pas donner une bourse à moins de deux ans de l’événement»

 

Aujourd’hui vous êtes entraîneur national, parlez-nous de ce nouveau rôle…

On avait un centre FINA (Fédération international de natation) à Dakar et aujourd’hui ce centre est menacé par la problématique des infrastructures. Au centre, nous avions au début 18 nationalités. Aujourd’hui, il nous en reste plus que trois. À la piscine olympique, ils nous ont tellement mis la pression pour qu’on s’en aille de là. Je me suis même fait agressé dans ces locaux à l’approche des Championnats d’Afrique de la zone II en 2022. Ils nous ont refusé l’accès à la piscine prétextant que l’eau était sale. L’eau de cette piscine a toujours été sale. L’affûtage avant une compétition est tellement importante, et qu’ils finissent par priver l’équipe nationale de s’y entraîner c’est quand même grave.

Je vois mal Aliou Cissé et ses joueurs être interdits de galop d’entraînement au stade Abdoulaye Wade. Encore moins se faire agresser pour ça. Avec tout ce que j’ai fait dans le sport sénégalais. C’est un manque de respect notoire. C’est ce qui explique qu’on ait boycotté la piscine olympique. En ce qui concerne le projet avec la FINA, j’ai reçu d’autres offres hors du Sénégal. Si je m’en vais, qui est-ce qui perd ? C’est le Sénégal. On a tellement de centres internationaux au Sénégal qui finissent malheureusement à migrer ailleurs au bout de deux ans. C’est comme si les autorités ne veulent pas nous soutenir. Je parle du Comité national olympique, du ministère des Sports. C’est pourtant leur rôle de nous appuyer. J’ai quitté la France où j’étais bien avec ma famille. Je suis venu apporter ma pierre à l’édifice pour que les jeunes générations aient la même chance que moi sinon plus pour réussir dans la natation. J’aide la Fédération pour entraîner nos jeunes nageurs et j’ai toujours mon centre ici à Dakar. Maintenant je fais des consultations avec la Fédération internationale pour aider d’autres Fédérations dans leurs projets de Jeux olympiques.

Comment la natation se projette-t-elle en direction des Jeux olympiques de la jeunesse de 2026 au Sénégal ?

Pour les JOJ, on a déjà élaboré notre plan stratégique avec un programme de détection. Mais rien n’est encore fait. On ne sait même pas où s’entraîner. C’est un vrai problème. Pourtant c’est nous qui organisons ces olympiades. Ça commence à devenir urgent. Après ils vont nous demander des médailles (dans la natation) alors que les adversaires de nos athlètes sont en train de se préparer depuis bien longtemps avec leurs staffs et tout. Nous sommes à trois ans des Jeux. La piscine doit être rénovée. On vient encore de repousser le début des travaux. Jusqu’à quand ? Si la piscine ferme, où est-ce que nos jeunes vont s’entraîner ? Il faut vite trouver des solutions.

Les Jeux olympiques de Paris sont dans un an, à peine. Peut-on rêver d’exploits chez nos nageurs ?

Pour avoir des médailles ? Je ne pense pas. Pour faire des minimas B, je pense qu’on en a quelques uns qui peuvent le faire. Là j’ai vu que le comité national olympique fait des efforts pour leur octroyer des bourses afin de se préparer. Les bourses de la solidarité m’ont aidé dans ma carrière. Heureusement qu’il y en avait à mon époque. Mais là, il faut en faire plus et maximiser les chances de nos nageurs. Seulement deux bourses pour deux nageurs, je pense qu’il fallait élargir un peu plus dans la natation. Les niveaux sont si proches. Par exemple Steven Aimable fait les mêmes temps que Mathieu Sèye. Il y a beaucoup de nageurs qu’on doit appuyer. Connaissant le niveau mondial, il y a 10.000 personnes pour peu de médailles. Le Sénégal n’est pas encore prêt, il faut être réaliste. Par contre, comment les préparer pour 2028, 2032 ? C’est ça le plus important. Pour avoir une médaille, il faut préparer l’athlète sur 8 ans. On ne peut pas donner une bourse à moins de deux ans de l’événement. En France ils réfléchissent depuis 2008 à la préparation de leurs nageurs pour ces Jeux de 2024. C’est un cycle.

C’est tellement rare de nos jours de voir un nageur comme moi, qui est né au Sénégal, qui a appris à nager au Sénégal et après partir en France. En France, tu as des piscines partout. Au Sénégal la seule piscine qu’on a, aujourd’hui ce n’est pas disponible demain oui. Tu peux rester trois mois sans t’entraîner. Alors que la natation est un sport de contact, de sensation. On a besoin d’avoir des bassins. C’est pourquoi tous nos jeunes veulent partir à l’étranger. À mon époque, j’ai dû aussi me rendre à l’étranger parce que je n’avais plus d’adversaires ici et quand on regardait mes temps, j’allais même plus vite que ceux qui étaient en France à cette époque-là. Mais avoir un petit niveau et vouloir partir en France, tu risques de faire autre chose que la natation parce que ça n’intéresse aucun entraîneur de prendre des nageurs moyens alors qu’il y a des jeunes plus forts que vous.

Par Moustapha M. SADIO

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