Le football d'il y a quelques décennies est très différent de celui du 21e siècle sur divers aspects. A une certaine époque, l'ossature des sélections nationales était constituée de joueurs évoluant dans les clubs de leur pays. Au Maroc, plusieurs sélections ne dérogeaient d'ailleurs pas à cette règle. Mais ces dernières années, ce sont les binationaux qui ont marqué de leur empreinte une équipe demi-finaliste du Mondial 2022. Pourtant, la DTN ambitionne de porter le nombre de joueurs locaux présents en sélection A à 50%. Un objectif difficilement atteignable. Explications…
De notre correspondant au Maroc,
Le football marocain veut arriver, d'ici quelques années, à instaurer le "ness-ness" (moitié-moitié). En effet, la Direction technique nationale (DTN), relevant de la Fédération royale marocaine de football (FRMF), a mis en place une stratégie de développement du football national, visant, à long terme, « à assurer à l’équipe nationale "A" un effectif de 50% de joueurs évoluant à l’étranger et 50% issus de la Botola Pro ». Telle une bombe, cette ambition affichée par la DTN en a étonné plus d'un, d'autant plus que le Maroc vient de sortir d'un Mondial très réussi et flirte actuellement avec le Top 10 mondial au classement FIFA. Porter le nombre de joueurs de la Botola en sélection à 50% parait même une annonce "pompeuse", de l'avis de quelques observateurs. En effet, l'expérience a été tentée (toute proportion gardée) pendant quelques années, en vain. Sous Rachid Taoussi, le Maroc avait aussi plus misé sur les "botolistes", avec le succès que l'on connaît. C'est lorsque la tendance a été inversée que la sélection s'est améliorée et a atteint un quart de finale de CAN et décroché deux qualifications de suite au Mondial. La plupart des onze alignés étaient composés de joueurs évoluant en Belgique, aux Pays-Bas, en Espagne et en France. Certains passés par la formation marocaine ont aussi brillé, tels qu'Aguerd, En-Nesyri et Bounou.
Selon la DTN dirigée par Chris Van Puyvelde, l'effectif actuel de la sélection nationale A est composé de 90% de joueurs évoluant à l’étranger et 10% seulement issus du championnat local.
Cette sous-représentation de la "Botola Pro" ne passe pas chez tous les férus de foot. Mais elle ne doit toutefois pas uniquement être perçue comme un manque de considération des joueurs des clubs tels que le Raja, le Wydad et l'AS FAR. Elle traduit surtout l'écart de niveau qui existe entre les joueurs évoluant sur le continent africain et ceux qui assurent le spectacle sur les pelouses européennes. Ce n'est toutefois pas la seule explication, car quelques exceptions ont réussi à briller avec la tunique marocaine tout en étant dans les clubs nationaux (Yahya Attiat Allah, Ayoub El Kaâbi, Yahya Jabrane...).
Si les moyens sont mis en place, le nombre de "botolistes" présents en sélection pourrait bien se renforcer, sans toutefois atteindre l'ambition affichée par la DTN. Cette expérience a été réussie par le passé par l'Egypte. À la différence que les joueurs d'Al Ahly et du Zamalek avaient un très bon traitement salarial qui ne les obligeait pas à répondre aux sirènes européennes. Pour que le Maroc y arrive, les clubs doivent disposer d'un vrai plan de formation et bénéficier d'un accompagnement qui leur permettra de conserver leurs joueurs sur le moyen terme. En outre, le joueur de la "Botola Pro" devra bénéficier d'un meilleur traitement sur le plan salarial avec un plan de carrière ambitieux sur le moyen terme. C'est toutefois l'inverse. Car, ces dernières années, les meilleurs espoirs du football local ont été obligés de s'exiler dans le Golfe au point de mettre presque une croix sur leurs chances d'être présents en sélection. Soufiane Rahimi, l'un des meilleurs joueurs locaux sur le continent africain, a ainsi hypothéqué ses chances d'aller au Mondial. Le jeune espoir Mehdi Moubarik est allé s'embourber dans le Golfe avant de rejoindre le Raja. Des champions du Maroc comme Mourad Batna (ex-FUS) ont aussi préféré le Golfe à une carrière en Europe. La liste est longue.
Pour certains commentateurs du football local, le chiffre annoncé par la DTN reste « illusoire ». « Compter sur 50% des joueurs du championnat national en équipe première ? Il semblerait que Van Buveld veuille nous vendre l'illusion ! Pour cet observateur, le problème du football est d'abord financier, car les clubs nationaux ne peuvent même pas rivaliser avec les clubs égyptiens et les clubs de taille moyenne du Golfe ».
Pour d'autres, la DTN semble s'être trompée de stratégie et devra la clarifier dans les prochains jours. « Avoir 50% de joueurs issus des centres de formation et clubs marocains en sélection reste possible. Mais avoir 50% de joueurs évoluant en Botola en sélection demeure illusoire, même sur le moyen terme ». En effet, les talents marocains dont on parle régulièrement sont formés dans les meilleurs clubs européens. Il est fréquent de voir des binationaux talentueux dans les clubs tels que le Barça, le Real Madrid, le PSG, l'Ajax Amsterdam… Pour certains, la meilleure politique serait d'investir dans le championnat local pour le développer tout en ayant l'œil sur les binationaux. Même certaines des meilleures sélections européennes aujourd'hui n'ont pas 50% de joueurs évoluant dans le championnat national (France, Portugal, Croatie…), si on analyse les équipes souvent alignées en compétitions officielles. L'Argentine, championne du monde, n'a aligné aucun joueur du championnat local dans son onze en finale. Pour son adversaire, la France, seul Kylian Mbappé évoluait en Ligue 1. Mieux, des pays vus comme des terres de formation comptaient dans leur onze plusieurs joueurs évoluant dans d'autres championnats (Pays-Bas, Belgique…).
Mohamed Hadji