Dans le milieu sportif, la question des binationaux est plus que jamais devenue un sujet central et un vrai enjeu de géopolitique. Longtemps en retrait, les pays africains doivent à présent rééquilibrer les débats.
C’est devenu un fait anodin que de réaliser le métissage qui caractérise nombreuses équipes représentatives des nations de football lors des compétitions. Pourtant, il faut dénoncer comme injustice dans cette dynamique, le fait que nombreux pays notamment africains perdent leurs talents sportifs à l’illustration d’une géopolitique qui a comme point de départ la migration vers un Eldorado où certains pensent trouver gloire et richesse.
Au départ, une question de migration
S’il existe des athlètes qui sont identifiés comme étant de binationaux, c’est parce qu’ils ont eu à subir une migration ; de manière involontaire, lorsque cela a été décidé par leurs ascendants ou de manière volontaire, lorsque la migration résulte de la volonté d’expérimenter bien d’autres possibles. Nombreux se retrouvent alors dans les méandres du langage de la migration, tantôt comme réfugié, bénéficiant d’un statut juridique accordé par la convention de Genève du 28 juillet 1951, tantôt comme migrant, étant en proie aux sensibilités et sensibleries de la communauté internationale car subissant la politique migratoire de chaque État.
Dans, « une Odyssée moderne : l’expérience de la migration à travers l’œuvre de Fatou Diome », les migrations africaines s’expliquent par les conditions de vie en Afrique qui s’érigent de manière paradoxale entre simplicité et misère, endettement et dignité, le chômage et la condition des jeunes. Il y a aussi le sous-développement, la condition des femmes, l’idéalisation de l’Europe. Curieusement, l’aventure qui est difficile ou périlleuse ne dissuade pas toujours les nombreux candidats au départ qui ont la chance de réussir l’impossible.
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Face au journaliste Charles Villa, le champion de MMA Francis Ngannou racontait en 2023 : « Pour rejoindre l’Europe je suis parti du Cameroun, ensuite j’ai fait le Nigeria et le Niger, et enfin Algérie - Maroc. J’ai passé près d’un an au Maroc. La sécurité là-bas est énorme, du côté marocain comme du côté espagnol. J’ai essayé d’escalader les grillages pour passer du côté espagnol, mais ça n’a pas marché. Je me suis fait littéralement déchirer par des fils barbelés. Quand j’ai essayé de passer la sécurité, j’ai failli me faire sortir les intestins, c’est hyper dangereux. En fait j’étais plus confiant à l’idée de passer par la Méditerranée finalement, car il y avait moins de barbarie. Vu mon physique, quand tu es attrapé à la frontière, tu es automatiquement considéré comme un leader. Et quand tu es un leader, Dieu seul peut venir à ton secours ».
L’Europe, l’Eldorado des talents africains
Depuis la création de leur nation, les Américains acceptent de commun accord l’idée que les États-Unis incarnent la meilleure terre d’opportunité pour eux et leurs familles. Cette vision des choses s’est révélée dans l’abondance de leurs ressources, leur pouvoir d’achat, des salaires élevés, la sécurité de la retraite, et la possibilité pour leurs enfants d’améliorer leur situation sociale et économique par rapport à la génération précédente. Pour décrire cette situation unique, en 1931, l’historien James Truslow Adams inventa l’expression « American Dream » (« rêve américain»).
Dans le domaine du sport, le concept rêve américain trouve sa place, aussi paradoxal que ça le paraît, sur le Vieux continent européen. Ainsi, nombreux talents sportifs migrent en Europe dans l’espoir de jouer dans les grands championnats, sachant que c’est une incroyable aubaine qui n’est pas donnée à tout le monde, d’une part, et c’est une très grande opportunité pour la famille d’un binational que de le voir évoluer en Europe.
A ce titre, la légende Samuel Eto’o livrait le témoignage suivant sur France 24, en 2014 : « J’ai pris la mauvaise décision, comme tout jeune africain qui rêve d’aller réussir en Europe. J’ai décidé de rester sans-papier. J’arrive en France avec un visa de 10 jours seulement. Je vais d’abord sur Marseille, Avignon et après, je décide de rester à Paris, à Notre-Dame. Je reste ici plusieurs mois […] c’était un moment difficile car je suis resté plusieurs mois à Paris sans-papier. Je suis sorti de mon logement que deux ou trois fois car, à l’époque, tout le monde était soupçonné d’être sans-papier. Et lorsque que l’on vous attrapait, on vous renvoyait chez vous. C’était vraiment très difficile car en plus quand je sortais il faisait vraiment très froid ».
L’Afrique dans la géopolitique des talents sportifs
L’on parle de géopolitique des sports, selon l’expert Pascal Boniface, en conséquence du fait que « le sport aujourd’hui, c’est bien plus ce que du sport. […] Nous sommes entrés dans l’ère du sport mondialisé. Le sport est devenu le nouveau terrain d’affrontement “pacifique et régulé” des États. C’est la façon la plus visible de montrer le drapeau, d’être un point sur la carte du monde et d’exister aux yeux de tous ».
C’est avec beaucoup de regrets qu’il faut établir le constat selon lequel, le drapeau est en berne dans presque toutes les nations de la CAF dans la lutte pour la géopolitique des talents sportifs. En conférence de presse, le Coach Sébastien De Sabre a tenu les propos suivants : « On n’a pas de noms à donner pour de potentiels arrivées du côté des binationaux. Il y’a beaucoup de bêtises qui se lisent sur les réseaux sociaux. Certains joueurs qu’on a contactés ont catégoriquement refusé. On suit pas mal des jeunes. Aujourd’hui beaucoup sont déjà appelés par d’autres sélections comme la Hollande, la Belgique et autres, mais on les comprend. Mais nous, l’objectif c’est de travailler avec ceux qui sont concentrés sur l’objectif du Congo ».
Par ailleurs, c’est en Afrique que les binationaux ont légitimement leur place. Les législatives du 30 juin et 7 juillet en France a été une évidence sur le fait que les binationaux dans nombreux pays occidentaux seront toujours en proie à des questions migratoires. Kylian Mbappé, capitaine de l’équipe s’exprimait : « J’appelle les jeunes à aller voter, on voit que les extrêmes sont aux portes du pouvoir, on a l’opportunité de choisir l’avenir de notre pays […] On a besoin de s’identifier aux valeurs de tolérance, mixité et de respect. J’espère qu’on sera encore fier de porter ce maillot le 7 juillet ».
En parallèle, le football continental prend de la valeur à l’exemple du Maroc et de son parcours à la Coupe du monde 2022, à tel point que le sélectionneur Walid Regragui affirme « maintenant, les pays européens ont peur de nous et veulent prendre nos joueurs. Forcément, nous devenons une grande nation».
Il faut ainsi que les Etats africains établissent des politiques qui vont faire en sorte que les binationaux donnent de la valeur aux nations de la zone CAF, qui sont une sécurité pour eux, au détriment de ces pays occidentaux dans lesquels ils sont constamment confrontés aux questions migratoires.
Gauthier PIKADJO, chercheur en droit des sports