Le 5 décembre, le combat de lutte sénégalaise avec frappe Papa Sow-Siteu vire à la bagarre générale. Les accompagnants des deux lutteurs s’échangent des coups et toutes sortes de projectiles à leur portée. L’affiche tant attendue est finalement annulée. L’un des lutteurs, Papa Sow, est blessé. Il a reçu un tam-tam à la tête. Il est en sang. L’un des batteurs de son adversaire est mis à l’index.
Le Comité national de gestion (CNG) de la lutte a reprogrammé le combat pour le 29 janvier 2022. Mais, les deux lutteurs ont été sanctionnés. Ils ont chacun écopé d’une suspension de six mois avec sursis, assortie d’une amende de 500 000 francs CFA. L’agresseur du lutteur, lui, a pris 15 ans d’interdiction de stade ferme.
Dès le lendemain, le lundi 6 décembre, c’est le championnat populaire de quartiers (Navétanes) qui s’illustre dans le registre de la violence. Le stade Ngalandou Diouf de Rufisque (une trentaine de kilomètres de Dakar), réhabilité en 2018 et où reçoit le champion du Sénégal sortant, Teungueth FC, est le théâtre de heurts entre supporters. Un jeune du nom de Baye Ndoye est décédé dans les affrontements qui ont fait, en plus, de nombreux blessés.
Le drame est survenu lors d'une demi-finale qui opposait Thiawlène et Guiff. Un penalty sifflé en faveur de la seconde équipe a mis le feu aux poudres. Provoquant des scènes de vandalisme et de saccage du stade dont la pelouse a été incendiée.
Mercredi 22 décembre, la Commission qualifications, règlements et pénalités (CQRP) de l’ODCAV (Organisation départementale de coordination des activités de vacances) a tapé fort. Elle a confirmé la suspension pour cette saison des compétitions de Navétanes dans le département de Rufisque. Reconnue fautive, l’ASC Thiawlène est exclue pour dix ans des compétitions.
Samedi 18, c’est la Ligue 1 sénégalaise de football qui est touchée. La rencontre Jaraaf-AS Pikine a réveillé de vieux démons avec des scènes de violence dans les tribunes du stade Iba Mar Diop (Plateau). À l’origine, là aussi, un penalty en faveur des visiteurs pikinois. On jouait le temps additionnel. Les locaux menaient 1-0. La décision de l’arbitre est d’abord contestée par les joueurs médinois et le staff. Puis les supporters s’en mêlent, l’affaire dégénère. Les tribunes s’embrasent. Les forces de l’ordre chargent et envoient des grenades lacrymogènes aux fans des deux équipes. La rencontre finit en queue de poisson.
Au Sénégal, la violence est présente sur tous les terrains où se déroule le choc des ambitions. De la politique au sport en passant par les médias. «Souvent elle est le fait de jeunes désœuvrés, pas forcément des supporters ou de vrais amateurs, croit savoir le journaliste sportif Babacar Khalifa Ndiaye, ex-rédacteur en chef au quotidien sénégalais Le Soleil. Ces aires de compétition sont un exutoire pour des frustrés de la société pour diverses raisons. Des malfrats en profitent également pour perpétrer des actes répréhensibles.» Notre interlocuteur n’écarte pas une causalité entre ces violences et des paris sur les résultats des événements sportifs.
Vice-président de la Ligue sénégalaise de football professionnel (LSFP), Papa Momar Lô pointe «le manque de culture du fair-play et de sportivité». «Nos supporters sont souvent plus préparés à une victoire qu’à une défaite. Ce qui psychologiquement crée une déception et une amertume exprimée par la violence», décrypte-t-il, s’empressant de préciser qu’il ne cherche pas des excuses aux casseurs.
Il dit : «Aucune décision arbitrale ne peut justifier la violence dans nos stades. Autrement, il y aura tout le temps des scènes de violence dans les stades du monde. Dans le futur, nos structures doivent travailler justement à s’adapter au sport mondial par la mise en place de la VAR, qui aujourd’hui, corrige presque unanimement l’erreur humaine.»
Le médecin psychologue Ibrahima Giroux s’indigne : «Les violences dans les stades sont devenues depuis longtemps un sujet de préoccupations au niveau de l’opinion. La fréquence puis le niveau de destruction et de tragédie ont atteint une situation inacceptable qui remet même en cause, a priori, les raisons pour lesquelles les stades ont été construits et les activités sportives autorisées sous les formes en tout cas qui permettent à ces différentes violences, parfois tragiques, de s’exprimer.»
Affinant son analyse, Dr Giroux ajoute en commençant par interrogation : «Et si les violences dans les stades n’étaient que l’arbre qui cache la forêt ? En réalité, la violence semble avoir envahi le cadre d’existence du Sénégalais. Elle est dans l’arène politique et médiatique avec la même tragédie. Faut-il rappeler qu’en mars 2021 en près de 10 jours de manifestations quasi-inédites, près de 10 personnes ont été tuées, toutes des jeunes. La violence est également à l'école publique, à l’école coranique. Elle est encore présente dans la famille avec un modèle de parentalité hésitant entre un modèle traditionnel non-assumé et un modèle instable.»
La commission de discipline de la LSFP n’a pas encore légiféré pour les incidents de Jaraaf-Pikine. D’aucuns plaident pour des sanctions sévères contre les clubs mis en cause, histoire de les pousser à mieux encadrer leurs supporters. Pape Momar Lô acquiesce. Mais, il prône des «sanctions graduelles, en tenant compte des règlements en vigueur».
Babacar Khalifa Ndiaye penche pour la fermeté : «Il faut adopter un arsenal de dispositions réglementaires pour sanctionner tout débordement préjudiciable au développement du football, sous toutes ses formes. Ôter des points aux clubs fautifs, décréter des matches à huis clos en plus de fortes amendes et interdire de stades les fauteurs de trouble identifiés.»
Pour le vice-président de LSFP, pour vaincre la violence, il faudra manier la carotte et le bâton. «En dehors de la sanction, il faut encore plus de communication et de pédagogie, défend-t-il. Instaurer les stadiers ou bonhommes du fair-play dans tous les stades. Créer obligatoirement des officiers de sécurité dans les clubs à l’instar du football moderne. Organiser annuellement des séances de partage autour des schémas organisationnels standardisés.»
Dr Giroux est pour un traitement du mal à la source. Et dans cette perspective, prévient-il, il convient de poser d’abord un diagnostic précis. «Il est primordial que les autorités sportives identifient d’abord la racine du phénomène en question, suggère-t-il. De quoi parle-t-on vraiment ? Est-ce que ce sont les activités sportives elles-mêmes qui occasionnent la violence ? Est-ce que ce sont les jeunes qui sont devenus de plus en plus violents ? Est-ce que ce sont la conception, la réalisation des infrastructures et la gestion des événements sportifs qui n’anticipent pas suffisamment les violences qui, il faut le dire, ne sont pas propres ni à la jeunesse en général ni à la jeunesse sénégalaise en particulier ? Est-ce que la violence que l’on observe vient de plus loin et est bien plus complexe ? Ces questionnements sont importants afin que les décideurs politiques identifient clairement là où ils doivent intervenir pour anticiper ou répondre de manière plus dissuasive aux violences dans les stades.»
Le psychologue ajoute : «Il est important de repenser la philosophie du sport, au niveau du ministère des Sports, pour protéger et assainir l’univers sportif. De nouveaux paradigmes comme le sport-développement qui offre une structure de personnalité à la jeunesse doivent voir le jour. Cela signifie un travail ambitieux de redéfinition des rôles, des attributions et des missions des ODCAV, des ASC et des entraîneurs avec de véritables modules de formation pour en standardiser le contenu. Ces mesures urgentes s’imposent afin de stopper la vague de violence et en endiguer le cycle intergénérationnel qui serait le scénario catastrophe. Ni les stades ni les sports ne sont donc a priori en cause. La violence s’exprime où elle peut s’exprimer, quand elle peut s’exprimer et sous la forme et l’intensité avec lesquelles elle peut s’exprimer.»
Moustapha M. SADIO