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Tchad : Corruption, humiliation, favoritisme... l'enfer des athlètes face au Comité olympique

Depuis plusieurs années au Tchad, le Comité olympique et sportif tchadien (COST) est décrié par de nombreux athlètes nationaux. Corruption, humiliation, favoritisme, mauvais traitement, menaces, tout y passe. Sport News Africa a mené l’enquête après une nouvelle olympiade sans médaille, mais avec des dirigeants ayant pleinement profité de leur séjour parisien.

Par Romain Molina

Les archers tchadiens dénoncent les dérives du CNOST.

« Je ne peux plus rester silencieuse. Je veux dénoncer toutes les personnes malhonnêtes qui nuisent au sport tchadien et à la vie des athlètes tchadiens. » Le 4 mars 2024, Bibiro Ali Taher, écrit un large texte sur ses réseaux sociaux pour « réclamer ses droits » et ceux des autres athlètes nationaux. Équipements, frais, primes de participation aux compétitions, la détentrice du record national du marathon (2:50:59) expliquait n’avoir rien reçu, pas même le remboursement de son billet d’avion pour les Jeux olympiques de Rio en 2016 où elle était pourtant la porte-drapeau du Tchad.

Invitée dans plusieurs médias tchadiens et français (elle s’entraîne en France, ndlr), Bibiro poursuivit sa diatribe envers le Comité olympique et sportif tchadien (COST), ainsi que la Fédération d’athlétisme (F.T.A). « Je suis dans mes droits. La vérité, le mensonge, l’hypocrisie et la malhonnêteté, ce n’est pas ma tasse de thé. Pendant toutes ces années, j’ai supporté seule de lourdes charges. Mentalement, mon cœur est brisé. »

En réponse, le COST publia un communiqué pour démentir les griefs de l’athlète, tout en rappelant qu’elle n’avait pas terminé l’épreuve du 5 000 mètres à Rio. « C’est une manière de m’humilier à nouveau », déplore-t-elle pour Sport News Africa« Ils détournent le sujet de mon combat et de celui des autres athlètes par des attaques personnelles. Cela veut dire beaucoup sur leur manière d’opérer. »

Où sont passés les donations de la solidarité olympique et de World Archery ?

Allant au bout de sa démarche, Bibiro a écrit une lettre officielle au président de la République, Mahamat Déby. Une initiative à laquelle le cabinet présidentiel a répondu, chargeant le ministre des Sports, Abakar Djarma, d’instruire un dossier. Pas de quoi gêner cet ancien judoka qui présida le Comité olympique et sportif tchadien entre 2017 et 2021 avant de perdre les élections au profit du général Idriss Dokony, qui avait déjà dirigé le COST entre 2013 et 2017.

Si l’inimitié entre les deux hommes est connue - Dokony accusa par exemple Djarma d’avoir laissé un solde fictif de plus de 8 millions de francs CFA -, la gestion du COST et de plusieurs de ses fédérations affiliées méritait depuis bien longtemps d’être examinée selon la totalité des athlètes sollicités par Sport News Africa« Nous ne sommes pas considérés », peste Hallas Maria, championne d’Afrique par équipe mixte avec son compatriote Israël Madaye en 2023. « Surtout les femmes, et encore plus si nous osons réclamer nos droits. »

La jeune archère (23 ans), qui fait partie des meilleurs espoirs continentaux, énumère ainsi les compétitions auxquelles elle a pris part sans recevoir ses frais de mission ou les donations d’équipement qui ne profitaient pas aux athlètes. « Dernièrement, il y a eu une formation à laquelle nous avons pris part au pays. Des fonds ont été déployés pour acheter du matériel, mais on n’a jamais rien reçu. En plus, cela était financé par la solidarité olympique et la WA (World Archery, la fédération internationale de tir à l’arc). »

Contrairement à son homologue masculin, Israël Madaye, qui bénéficia d’une bourse de la solidarité olympique sur le long terme (trois ans), Hallas n’a jamais obtenu de bourse malgré ses titres et distinctions, et ne put rejoindre l’Europe qu’au dernier moment avant les Jeux où elle espérait se qualifier en réalisant les minimas.

Une différence de traitement rageante eu égard à la passivité de la Fédération de tir à l’arc et du Comité olympique tchadien, peu enclins à débloquer les formalités administratives nécessaires – l’obtention du visa notamment – en amont. « Le souci, c’est que j’ai réclamé mes droits », rappelle l’archère. « Dans notre milieu, lorsque vous ouvrez votre bouche pour réclamer ce qu’on vous doit, on vous écarte. On vous le fait comprendre très clairement. »

Pour preuve, pendant que Madaye se préparait à la fastueuse World Archery Excellence Center de Lausanne, Hallas a finalement dû se débrouiller avec l’aide de l’Ambassade de France au Tchad et le Projet de Valorisation de la Pratique Sportive chez les Jeunes Filles (dont elle était la marraine), pour s’entraîner trois semaines à Clermont-Ferrand, bien loin des centres d’excellence prévus pour les meilleurs espoirs du continent...

Lacrymogènes, policiers et interdiction de participer aux Championnats d’Afrique

Discipline en verve, agrémentée de nombreuses médailles continentales, le tir à l’arc souffre d’un cruel manque de moyens. Obligés de construire des cibles avec du carton et de la paille par eux-mêmes, les archers et leurs entraîneurs s’exercent où ils peuvent, sans lieu réellement approprié. Dans les locaux du vétuste lycée Félix Éboué, situé dans le troisième arrondissement de la capitale, N’Djamena, la troupe tirait à des heures précises selon les disponibilités scolaires. Une préparation indigne qui caractérise malheureusement la réalité du sport tchadien.

Lire sur le sujet : Israël Madaye : « On était plus que deux à tirer à l’arc au Tchad ! »

Sans une réelle politique sportive étatique, chaque discipline vivote au gré des compétitions et de ses intérêts. Proche de Dokony, le président de la Fédération de tir à l’arc, Nguelet Colombe, est ainsi le secrétaire général du Comité olympique tchadien. Une place de choix comme celle d’Ouya Bourma Malato, secrétaire général de la Fédération d’athlétisme et premier secrétaire général du Comité olympique. Un cumul de poste qui interroge, mais fait sens ; au Comité olympique, c’est Ouya qui s’occupe de toute la paperasse.

Très influent, ce dernier est accusé par l’immense majorité des personnes sollicitées de « mener un double jeu ». En off avec certains athlètes, Ouya n’hésite ainsi pas à accuser le président Dokony de récupérer plus d’argent qu’eux. En on devant les caméras ou sur les réseaux sociaux, il magnifie le bilan de Dokony. « C’est une dictature », balaye Mahamat Reouhidi, coureur de 200 et 400 mètres. « Par exemple, j’ai participé aux Jeux scolaires à Moundou en 2019. Après cela, la direction des sports militaires (DSMIA) à organiser la compétition pour la sélection des Jeux mondiaux militaires en Chine, puis la fédération d’athlétisme à organiser un championnat national pour la sélection aux Jeux africains en 2019 à Rabat, au Maroc. Sauf que la fédération a refusé que ceux sélectionnés aux Jeux mondiaux militaires puissent participer au championnat national. Ils ont appelé les policiers de CA3 pour leur dire que les athlètes rebelles sont au stade. Ils sont venus avec des lacrymogènes.. »

Plusieurs donations, notamment d’un entraîneur italien (Tommaso Rava), n’ont jamais été données aux athlètes, selon Reouhidi qui déplore l’absence de compétition digne de ce nom ainsi que les menaces. Lui comme d’autres coureurs tchadiens ont ainsi décidé de s’exiler au Cameroun pour s’entraîner et vivre, sans aucune aide fédérale. Pis encore, lors des Championnats d’Afrique 2024 organisés à Douala, Reouhidi et ses coéquipiers vivant au Cameroun ont été exclus de la compétition. « Le secrétaire général de notre fédération, Ouya Malato, a appelé le secrétaire général camerounais pour lui dire qu’aucun athlète tchadien étant au Cameroun ne peut participer sans notre autorisation. Voilà ce qu’on vit. »

« Nous savons où tu es »

Dans cette cacophonie, seulement trois athlètes tchadiens furent sélectionnés aux Jeux Olympiques de Paris. De quoi susciter l’incompréhension chez certaines, notamment la marathonienne Bibiro Ali Taher. Cette dernière estimait prétendre à la place attribuée à un/e athlète tchadien(ne) suite à l’invitation décernée par la Fédération internationale d’athlétisme. Or, la Fédération tchadienne décida d’envoyer Valentin Betoudji, le recordman du marathon chez les hommes.

Déchirée, comme l’archère Hallas Maria qui ne put faire les minimas pour valider sa place à Paris, Bibiro redoubla d’efforts pour faire valoir ses droits et ceux de ses confrères et consœurs. Un collectif regroupant des athlètes de nombreuses disciplines fut ainsi monté : l’Union des droits sportifs tchadiens. « Nous en avons marre d’être exploités », explique-t-elle. « J’ai parlé à des champions ou championnes en pleurs, en dépression à cause du traitement qu’on leur réserve. Est-ce normal ? »

A l’intérieur de ce groupe, les témoignages fusent. Intimidation - « nous savons où tu es » -, confiscation de passeports, tout y passe et même de l’argent en espèce pour calmer les potentielles ardeurs des récalcitrants comme le boxeur Brahim Mahamat Saleh à qui il donna 1 000 euros en cash dans un hôtel de luxe parisien. Une « dictature » pour reprendre les termes du coureur Reouhidi où la communication est verrouillée et tournée à la gloire du président du Comité olympique, le général Idriss Dokony.

Sur Facebook, l’immense majorité des posts n’est pas consacrée aux athlètes, mais à son président, notamment cet été lors de sa campagne pour briguer (et obtenir) le poste de premier vice-président de la Confédération africaine de volley-ball. Une distinction s’ajoutant aux nombreuses autres pour cet ex-international qui a également endossé des responsabilités à l’ACNOA, l’Association des comités nationaux olympiques d’Afrique, et qui exerce son second mandat au Comité olympique tchadien après un premier intermède entre 2013 et 2017. Mais, surtout, Dokony est connu à N’Djamena pour avoir été un ancien ministre de la sécurité.

Hôtel de luxe et argent cash

Figure de l’ancien régime sous feu président Idriss Deby, Dokony avait conservé d’importantes prérogatives avec le nouveau chef d’État, Mahamat Deby. Ministre de la sécurité publique et de l’immigration, il fut cependant débarqué de ses fonctions le 26 février 2023 par un décret présidentiel. Si le porte-parole de la présidence a tenu à calmer les supputations, parlant de « démarche normale et courante dans l’administration », Dokony fit également partie de la liste des 47 généraux « mis à la retraite » en juin 2023 par un autre décret présidentiel.

S’il contesta initialement cette décision, Dokony se fit discret. Selon nos informations, ce « déclassement » coïncidait également avec une dispute l’ayant opposé au chef de cabinet présidentiel lors d’un voyage à Kinshasa. Vaquant de facto à ses multiples mandats sportifs, le général obtint toutefois une nouvelle nomination politique le 21 juin 2024 en qualité d’opération économique pour la CNG (Commission Nationale de Gouvernance) du MAEP (Mécanisme africain d’évaluation par le pair). Une promotion anecdotique en comparaison de l’échéance tant attendue de 2024 : les Jeux olympiques.

Dokony dirigea une délégation de 17 officiels pour seulement 3 athlètes, un ratio élevé, mais moins important que le nombre farfelu (33) circulant sur les réseaux sociaux. Cependant, le président du CNOST, logé à l’Hôtel Hyatt Regency, est venu avec sa conjointe à qui il obtint une accréditation. Sur les clichés, son secrétaire général, le président de la Fédération de tir à l’arc, Nguelet Colombe, était également avec sa partenaire, comme le secrétaire général de la Fédération d’athlétisme, Ouya Bourma Malato. Festoyant, le trio passa une olympiade étoilée à défaut de rentrer au pays avec des médailles.

Où sont passés les 589 276 dollars versés par le CIO pour le cycle olympique de Rio ?

De retour à N’Djamena, le COST et les différentes fédérations affiliées ont repris leur rythme habituel. Ouvertement critiqué pour le manque de résultat, Idriss Dokony s’est défendu lors d’une conférence de presse en arguant que « le gouvernement n’a levé aucun fond pour faciliter la participation des athlètes aux JO ». Un argument recevable bien que discutable.

Sport News Africa s’est procuré des documents de financement du CIO envers les différents comités olympiques africains. Lors de la première présidence de Dokony, pour le cycle olympique de Rio, le COST avait reçu 589 276 dollars dont 16 548 de bourse pour les athlètes. Dans ces conditions, pourquoi la porte-drapeau de la délégation, Bibiro Ali Taher, a-t-elle dû se payer elle-même son billet ? « Je n’ai jamais rien reçu, pas d’aide, rien », souffle-t-elle.

Plus curieux encore, le COST avait également perçu 82 761 dollars de bourses olympiques pour les coachs ou 85 894 dollars pour les développements des structures. D’autres sommes importantes furent reçus (166 550 dollars pour le développement de l’administration, 49 524 pour les cours destinés au personnel administratif sportif ou 31 026 dollars pour l’éducation, la culture et l’héritage olympique) au plus grand étonnement des entraîneurs ou personnels de l’époque : « Depuis quand on a reçu ça ? »

Plus étonnant, le COST avait pris l’habitude de réclamer des aides étatiques en plus des subventions du CIO. De quoi susciter l’interrogation du cabinet de la présidence quant aux réels montants reçus par Dokony pour le cycle olympique parisien, qui ne seront connus que l’année prochaine…

L’État n’est d’ailleurs pas le seul à se poser des questions puisque World Athletics, la Fédération internationale d’athlétisme, a ouvert un dossier quant à la gestion de la fédération tchadienne, tandis que le CIO a reçu également des plaintes concernant le COST. Une libération de la parole et des dossiers qui suscite un espoir chez Bibiro Ali Taher et les membres du groupe l’Union des droits sportifs tchadiens. « On rêve simplement de pouvoir continuer notre passion sans avoir de problème », dit-elle. « Ce qu’on fait, c’est pour nous, mais surtout pour la génération à venir. »

NB : contacté, le COST n’a pas répondu à nos questions.

Romain MOLINA

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