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Romain Molina : «Certains dans les instances protègent les pédocriminels»

Au cours des derniers mois, de nombreuses affaires d'abus sexuels ont éclaté dans le milieu du sport en Afrique. Des faits au Mali, au Gabon ou encore en Côte d'Ivoire, dévoilés par Romain Molina, qui ont donné lieu à des enquêtes et condamnations de certains prédateurs par la justice. Sport News Africa est allé à la rencontre du journaliste d'investigation pour faire le point sur ces affaires, ainsi qu'un état des lieux sur ce fléau au sein du sport sur le continent africain.

Une académie de football au Gabon.

Dernière affaire en date, ce scandale de chantage et harcèlement sexuel sur des joueuses, dont certaines mineures, en Côte d'Ivoire à l'Africa Sports. Où en est votre enquête ?

Romain Molina : C'est une enquête qui est allée assez vite car il y avait déjà beaucoup de témoignages et de preuves matérielles. Peu de temps s'est écoulé entre le moment où j'ai été alerté par des plaignantes et la publication du premier article. La Fédération ivoirienne a eu connaissance de cette affaire et a ouvert une enquête par son comité de normalisation. Ils m'ont d'ailleurs demandé si j'étais à disposition du Conseil national des droits de l'Homme en Côte d'Ivoire. Bien entendu je suis prêt à leur fournir tous les éléments en ma possession. Après, cette enquête montre qu'il n'y a pas qu'à l'Africa Sports où ça se passe. C'est un phénomène mondial.

Au niveau du club et de la Fédération, quelles sont les réactions ?

Romain Molina : La réaction a été assez étonnante du côté de l'Africa Sports. Le président de la section féminine, Issiaka Bamba m'a appelé en s'énervant au téléphone. Il a qualifié les faits de mensonges et menacé d'attaquer en justice les personnes qui accusent le fameux coach. Un coach qu'il présenté comme un simple stagiaire et qui avait juste dragué une joueuse qui, elle n'était pas mineure. Ce qui n'est pas interdit par la loi. Sauf qu'au vu des éléments et surtout des échanges, ce n'est pas de la drague. Parler de masturbation et menacer de plus faire jouer la personne si elle n'accepte pas un rapport, ce n'est plus de la drague. Ils ont fait une réunion, mais aucune décision n'a été prise et ce coach Touré a pu continuer sans aucun problème. Leur première réaction a été de couvrir l'affaire. Le président Bamba demandait des preuves, il a reçu les preuves. Depuis, plus de réponse. Il faur se poser des questions... Mais depuis la publication du premier article et sa reprise, le ton a changé. Au niveau de la Fédération, il y a donc cette enquête diligentée par le Comité de normalisation et sa présidente

C'est pourtant une affaire qui n'a pas fait grand bruit dans la presse ivoirienne, alors que le Comité de normalisation de la Fédération s'est saisi de l'affaire pour enquêter. Cela traduit-il un manque d'intérêt autour d'un sujet aussi sensible ?

Romain Molina : Ce n'est pas propre qu'à la Côte d'Ivoire. Globalement il y a un manque d'intérêt pour ce genre de sujet. Il y a eu plusieurs affaires du genre qui sont sorties, comme celle aux Comores et pas une seule reprise au niveau international. Seulement à l'échelle nationale. On parle de pédocriminalité sur une période de 20 ans quand même. Il y a des plaintes, des personnes qui parlent à visage découvert et pourtant personne ne reprend ces affaires. Je me rends compte que quand ça touche la pédocriminalité, peu de médias font leur travail. Ce n'est pas assez. Alors, quelle est la moralité de l'histoire ? Quand il y a de la pédocriminalité, ça donne la sensation qu'il y a un tabou, une omerta incroyable. Pas seulement vis à vis des victimes, mais aussi au niveau des médias et de la diffusion de l'information. On parle quand même de crime là. Pourtant il a fallu du temps avant qu'au niveau de la Côte d'Ivoire, cette affaire fasse parler. RFI a traité le sujet sur mon enquêté et ensuite ça a été repris par d'autres médias. Ce qui a contribué à faire bouger les choses. C'est souvent en raison du silence médiatique qu'il y a un sentiment d'impunité chez les prédateurs. Pourtant, on parle de structures qui sont sous l'égide d'une fédération, elle même sous l'égide de la CAF, qui est sous l'égide de la FIFA. Dakota au Comores, par exemple, est un instructeur de la CAF. Pourtant, personne ne réagit. Il y a une indignation à deux vitesses. Sur d'autres sujets comme la Super League, les salaires des joueuses américaines, tout le monde s'est saisi de l'affaire. Mais pour condamner la pédocriminalité, il n'y a personne.

Au Gabon en revanche que ce soit pour le cas de Maître Chaka, dans le football ou le tennis, la presse avait accentué la pression et quelque part poussé les autorités à réagir. Qu'est-ce qui peut justifier cette différence ?

Romain Molina : Il est vrai que beaucoup de médias ont parlé des affaires qui ont éclaté, notamment celle de Maître Chaka. Mais il faut remarquer que tout est parti de l'entretien fait sur France 24 qui a eu un vrai impact au niveau local. Et encore, il a fallu ''vendre'' le sujet comme potentiellement la plus grande affaire de pédocriminalité dans le monde du sport, du fait de sa durée dans le temps. Et c'est ça qui a généré autant de réactions. On en vient quasiment à devoir marketer des sujets aussi graves. Par exemple, derrière l'affaire Maître Chaka, il y a eu l'affaire Mbombo. Et regardez si elle a autant fait parler. On parle d'un monsieur qui était dans la délégation de la CAN 2021. Le tennis gabonais, sur des filles de 6 ans, pareil. La Fédération internationale de tennis a été contactée, même pas une réponse. C'est la politique de l'autruche à partir du moment où il n'y a pas de pression médiatique. Mais il faut saluer la réaction des autorités gabonaises sur ces dossiers. 5 personnes écrouées c'est déjà énorme pour les victimes. Mais le manque de réactions des autorités et médias dans les autres pays est assez incompréhensible. Par exemple, à la FIFA, on soutient la Fédération et son président alors que Mbombo était dans ce système. On parle quand même de jeunes qui sont morts ou qui ont eu des vies brisées par ces actes.

« Une exploitation de la misère humaine »

Avant cette affaire à l'Africa Sports, il y a eu le Gabon, le Mali aussi, le Zimbabwe et d'autres pays. Est-ce à dire que c'est tout le continent qui est touché par ces actes ?

Romain Molina : Oui... Quasiment tous les pays africains et aussi sud-américains. L'Asie aussi de ce que je sais, mais on manque encore d'informations. Il y a eu des cas en Europe, en Islande notamment. France, Pays-Bas, Espagne... Un cas comme le Gabon, j'espère qu'il n'y en a pas d'autres. Mais Mali, Zimbabwe, RD Congo, Cameroun, Kenya... Il y a des cas de partout et des jeunes qui n'en peuvent plus et qui commencent à parler. Tout ceci est une exploitation de la misère humaine. Il y a le cas d'un entraîneur sur lequel nous travaillons actuellement, qui a fait des choses graves en Afrique et qui a été couvert.

Mais ce n'est pas qu'un mal africain, d'autres continent sont aussi touchés. Personne n'est vraiment épargné. Ce qui est marquant dans pas mal d'affaires, c'est la durée dans le temps. Pour que des personnes agissent de la sorte aussi longtemps, ça sous-entend qu'ils ont une sorte de protection non ? Que leurs actes sont couverts ?

Romain Molina : C'est exactement ça. On a mis à nue des réseaux de 20-30 ans. Ça a commencé en Haïti. Le Gabon ont parle de réseaux de 30 ans. 20 ans au Mali dans le basket. Ça met en lumière trois choses : ceux qui commettent les actes, ceux qui couvrent les actes une fois qu'ils sont au courant et ceux qui sont encore plus hauts, qui couvrent le tout. C'est le principe même d'un réseau. Il n' s'agit pas d'un pédocriminel isolé, ce sont des réseaux. A chaque fois dans les enquêtes ont se rend compte qu'il ne s'agit pas d'un acte isolé et que plusieurs noms ressortent. Et très souvent couverts par leurs directions. Et ce sont ces gens-là qui ont le destin du football et du sport mondial entre leurs mains.

« Des personnes dénoncées mais toujours en poste »

Au niveau des instances internationales, comme la FIFA, la CAF, la FIBA ou des fédérations comme celle de taekwondo, quelles sont les réactions ?

Romain Molina : Ils couvrent énormément. Comme par hasard des témoignages sont perdus. Les victimes finissent par se dire trahies notamment par la FIFA. Par exemple dans le cas du basket au Mali, la FIBA qui a mené une enquêté a notamment écouté une des filles parmi les victimes. Elle leur a donné un nom bien précis, celui d'un instructeur FIBA. Ce nom n'a jamais été mis dans leur rapport. Ça veut tout dire. Il est toujours en poste, sans problème. Vous voulez dire quoi à la fille qui a témoigné et qui voit que ce prédateur n'a pas été cité dans le rapport d'enquête ? Certaines personnes dans les instances protègent les pédocriminels.

Est-ce à dire qu'à moins que les autorités locales ne se saisissent vraiment du problème pour traiter les affaires, de tels faits vont encore continuer ?

Romain Molina : Il faudrait que certains s’inspirent des autorités gabonaises. Là, on a va sortir la concrétisation de 2 ans de travail avec notamment une des fédérations les plus importantes au monde qui avoue avoir viré une personne pour abus sur mineurs et qui laissent travailler cette personne dans le foot au plus au niveau. Prostitution infantile, des instructeurs qui trempent dans des affaires de pédophilie. Le premier problème du football mondial aujourd'hui, c'est la pédocriminalité et les viols. Le tout avec les fédérations et autres organismes qui détournent le regard. S'il n'y avait de grands noms dans le sport qui prenaient ce sujet à bras le corps et en parlaient, cela changerait tellement de choses dans ce milieu. Il est temps de dire que trop c'est trop.

Mansour LOUM

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