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Arrestations, disparitions et militarisation : que se passe-t-il dans le football au Burkina Faso ?

Prévues le 31 août, les élections à la Fédération burkinabè de football (FBF) ont pris un tournant inattendu avec les arrestations et disparitions de plusieurs personnes inscrites sur la liste d’un des candidats. Dans un climat extrêmement tendu où toutes les autres candidatures ont été rejetées, le pouvoir a pu placer son homme, l’ancien colonel-major Oumarou Sawadogo.

Oumarou Sawadogo, candidat unique à la présidence de la Fédération burkinabè de football.

« Je ne peux pas parler publiquement, ce serait trop dangereux. » Depuis les récents événements ayant secoué le football burkinabè, beaucoup d’acteurs impliqués dans le sport roi n’osent plus s’exprimer ; ou du moins exprimer le fond de leurs pensées. « Le pouvoir a récupéré notre sport, c’est tout », souffle l’un d’entre eux. « Que pouvons-nous faire ? C’est comme ça... »

Force émergente du football continental depuis une quinzaine d’années avec une participation sans discontinuité à la Coupe d’Afrique des nations – hormis en 2019 -, le Burkina Faso est cependant confronté à d’importantes crises de gouvernance en interne, notamment depuis l’élection en août 2020 de Lazare Banssé sur fond de conflit larvé avec son prédécesseur, le colonel Sita Sangaré.

Lire sur le sujet : Burkina : Oumarou Sawadogo, seul candidat à l’élection du président de la FBF

Déchirement, plaintes, la relation entre les deux hommes - qui s’étaient pourtant soutenus lors des élections - s’est envenimée avec l’appui de plusieurs « clubs frondeurs » qui demandèrent même la démission de Banssé. Imperturbable, le président de la FBF a gardé le cap pour aller au bout de son mandat de quatre ans malgré les intimidations. Toutefois, le 29 juin dernier, il publia une large lettre annonçant qu’il ne se représenterait pas. Une petite surprise pour ceux qui louaient sa « force de caractère » tandis que d’autres rappelaient sa « lassitude » et son « usure » dans ce contexte oppressant.

En réalité, Banssé s’est simplement écarté de lui-même suite à une entrevue avec les autorités, notamment le président de la Transition, le capitaine Ibrahim Traoré. Sans anicroche particulière, les deux hommes convinrent qu’il était préférable dans l’intérêt du football national - et du gouvernement - d’avoir un nouvel homme capable d’unifier (enfin) les différentes composantes du sport roi burkinabè.

Un pouvoir militaire de plus en plus fort

Prévues initialement le 17 août, les élections furent décalées deux semaines plus tard. De quoi laisser le temps, a priori, aux divers protagonistes d’établir une liste répondant aux critères d’éligibilité. C’est ainsi que l’Union Sportive des Forces Armées (USFA), un club omnisports avec une section football en première division nationale, a présenté un candidat : Oumarou Sawadogo, un ancien colonel-major à la retraite qui présida le comité exécutif de l’USFA pendant cinq ans.

Ex-directeur central de service des sports des armées, Sawadogo était immédiatement cité comme le candidat des militaires et du gouvernement. Ce qu’il réfuta lors de ses interventions médiatiques. Pourtant, depuis le 30 septembre 2022, le Burkina Faso était marqué par un second coup d’État en l’espace de huit mois mené par le capitaine Ibrahim Traoré, devenu le président de la Transition, qui conforta l’assise militaire sur le pays.

Dans un contexte sécuritaire délicat, où les autorités ne contrôlent pas l’entièreté du territoire face à des milices armées, la société s’est peu à peu militarisée avec l’enrôlement des VDP, les Volontaires pour la défense de la patrie. Pour aller au front, les autorités mobilisèrent aussi (de force) des opposants ou des membres de la société civile dénonçant des abus au Burkina comme Daouda Diallo, lauréat du Prix Martin-Ennals pour les défenseurs des droits de l’homme en 2022. Interpellé, puis porté disparu le 1er décembre 2023, il réapparut trois jours plus tard en treillis avec une kalachnikov sur des photos avec les VDP...

D’autres voix discordantes connurent le même sort (activistes, journalistes, imams, politiciens, etc.) dans une politique totalement assumée par Ibrahim Traoré. La semaine dernière encore, cinq magistrats furent détenus illégalement avec la perspective d’être envoyés auprès d’une unité militaire de Kaya, au nord du pays, pour « participer aux opérations de sécurisation du territoire » selon Le Monde. Ces cinq hommes avaient auparavant lancé des procédures contre des proches du pouvoir pour des allégations allant de l’orpaillage illégal au vol de bétail tout en instruisant à la police judiciaire d’enquêter sur des cas de disparitions.

Un président de la Transition très investi dans le football

Pour justifier ses actes, Ibrahim Traoré ne s’était pas caché, répétant que « tous ceux qui pensent qu’ils sont cachés à l’intérieur comme à l’extérieur, qui continuent d’informer, de communiquer pour l’ennemi, vont le payer ». Une théorie du complot surjouée même si son régime, qui s’est allègrement tourné vers la Russie au détriment de la France, subit des opérations de déstabilisation ; quatre tentatives de putsch furent d’ailleurs déjouées selon le gouvernement depuis deux ans.

Avec une charte spéciale adoptée le 25 mai 2024, la période de transition a été prolongée de cinq années et n’empêchera pas Traoré de se présenter, si tel est son souhait, aux élections suivantes. Avec sa forte personnalité et ses véhéments discours repris en boucle sur les réseaux sociaux, le président incarne un pouvoir très personnel aux yeux de ses concitoyens. De quoi susciter moult fantasmes et rumeurs y compris dans le football, un sport dans lequel le président s’est personnellement investi.

Outre ses messages d’apaisement et d’union pour l’équipe nationale, sortie piteusement en huitièmes de finale contre le Mali lors de la dernière Coupe d’Afrique des nations – en comparaison de sa quatrième place de lors de l’édition précédente -, Traoré enfilait aussi son maillot jaune floqué du numéro 10 dans un match de gala entre l’équipe de la présidence du Faso et celle des footballeurs professionnels.

Face à des internationaux actuels et passés, sur un terrain réduit avec des petites cages, le capitaine Traoré marqua un doublé - dont un penalty arrêté dans un premier temps, puis retiré par décision de l’arbitre - et donna une passe décisive pour permettre aux siens de s’imposer 3-2. S’adressant ensuite aux joueurs devant les caméras, il les pria d’honorer le pays et de mettre « leurs différends » de côté. Une missive qui s’adressait également aux dirigeants du football burkinabè dont les querelles énervaient sérieusement les autorités.

Un appel du Tribunal de grande instance la veille de la date limite de dépôt des candidatures...

Outre Oumarou Sawadogo, le candidat présenté par les militaires, trois autres hommes apposèrent donc leur nom pour les élections de la FBF :

  • Ali Guissou, lieutenant-colonel qui préside l’AS Douanes, le double champion en titre
  • Jonathan Pitroipa, ancien international burkinabè (84 sélections) qui stoppa sa carrière professionnelle en 2021
  • Moctar Diallo, homme d’affaires qui présida Djawaba Djawaba FC, une modeste équipe aujourd’hui en troisième division

Si Diallo déposa sa liste avant de la retirer, les trois autres protagonistes démarrèrent leur campagne avec des conférences de presse et l’élaboration d’un programme. Toutefois, rapidement, la commission électorale invalida le dossier d’Ali Guissou pour cause de « dossier incomplet » ; sur les vingt-et-un membres, un s’était désisté (le colonel Alain Traoré). Furieux, le président de l’AS Douanes fit appel dès le lendemain, ce à quoi le candidat Oumarou Sawadogo rétorqua en contestant la validité du dossier de son rival.

Devant la commission des recours, les avocats de chaque partie avancèrent leurs arguments. Pêle-mêle :

- Présence dans la liste de Guissou d’Assami Roamba, président du comité exécutif de l’Étoile Filante de Ouagadougou, qui a été condamné en 2018 à deux ans de prison pour faux en écriture privée, usage de faux en écriture privée, et complicité d’abus de confiance. Sa peine l’écartait, de facto, d’un poste au sein du comité exécutif de la FBF selon l’article 36.6. Cependant, les avocats de Guissou donnèrent à la commission des recours l’annulation en appel de cette condamnation.

- Ali Guissou, inspecteur des douanes dans le civil, avait été arrêté en 2021 dans une affaire de trafic de carburant. Sous enquête, il bénéficia d’un non-lieu le 12 juillet 2024. Toutefois, le 16 juillet 2024, la veille de la date limite de dépôt des candidatures pour la FBF, le procureur du Tribunal de grande instance de Ouagadougou fit appel de cette décision. Une décision en main d’Oumaraou Sawadogo qui avait saisi le 24 juillet la commission électorale en rappelant « qu’Ali Guissou fait l’objet d’une procédure pénale pour concussion, abus de fonction, délit d’apparence, blanchiment de capitaux. »

N’ayant pas averti la commission électorale de ce rebondissement judiciaire, la commission des recours a confirmé l’invalidation de la candidature de Guissou, qui a fait « preuve d’une faute particulièrement grave », en se basant sur l’article 38.6 et la règle de bonne moralité.

Sans Diallo - qui s’est rattaché a posteriori derrière Sawadogo - et Guissou, un seul autre homme pouvait contrecarrer la candidature de l’ancien colonel-major : Jonathan Pitroipa, l’ancienne star des Étalons.

Pas d’autorisation de la hiérarchie de la gendarmerie

Validée par la commission électorale, la candidature de Pitroipa se heurtait à un recours intenté par Sawadogo qui estimait celle-ci non conforme aux statuts. Devant la fameuse commission des recours, les avocats de chaque partie s’échinèrent donc à défendre leur client. Pêle-mêle :

- Un militaire (Ousmane Sinaré) et un gendarme (Sidiri Ibrahim Ouédraogo) figurent sur la liste de Pitroipa sans l’autorisation de la hiérarchie, ce qui est contraire à l’article 25 de la loi portant sur les armées.

- Si le militaire, Sinaré, s’est retiré de lui-même, le gendarme, Ouédraogo, est resté, ce qui a enjoint une invalidation.

Si d’autres arguments furent avancés – comment les anciens internationaux présents sur la liste ont-ils pu bénéficier de certificats fiscaux et de résidence alors qu’ils ne résident justement pas au Burkina Faso ? -, la commission des recours a motivé sa décision sur l’absence d’autorisation de la gendarmerie.

Candidat du fair-play, avec la présence d’ex-footballeurs, Pitroipa était donc lui aussi disqualifié. Une déception, partagée sur sa page Facebook, à travers un texte bienveillant dans lequel il disait respecter la décision finale qui laissait Oumarou Sawadogo, l’homme à la base des recours, en candidat unique pour les élections.

Les disparus de la liste d’Ali Guissou

Dans ce tohu-bohu juridique et médiatique, d’autres nouvelles plus inquiétantes vinrent entacher un processus électoral déjà tendu. Bourama Sawadogo, responsable à l’organisation de l’AS Douanes, le club présidé par Guissou, et Jean-Paul Mone, membre du bureau exécutif des Léopards de St Camille, disparurent. « Ils sont enfermés dans les cellules des services de police », affirme à Sport News Africa Ali Guissou, lui-même victime d’une tentative d’enlèvement le 24 juillet au matin.

Si l’infortuné candidat dit « aller bien », il évoque les « pressions » mises sur « ceux qui sont sur ma liste et les responsables de club de football d’abord à la direction de la sûreté nationale, ensuite par des militaires, et enfin par le ministre de la Défense ». Ce dernier, Kassoum Coulibaly, était visé spécialement par une correspondance officielle du camp Guissou lue par Sport News Africa :

« Les autres acteurs et prétendants à la présidence de la Fédération burkinabè n’ont plus le sommeil. Dans un premier temps, un ralliement forcé des prétendants a été opéré. Ainsi, la plupart ont été convoqué soit par le ministre de la Défense et des anciens combattants, soit par le directeur des sports de l’armée pour leur intimé (sic) l’ordre d’arrêter toute ambition et de rejoindre le candidat de l’armée. Ainsi, l’OLAO (office de liaison de l’Afrique de l’Ouest qui fut présidé un temps par Sawadogo) de qui est dans une caserne militaire a servi de lieu de convocation des acteurs du football en vue des ralliements.

Malgré les diverses pressions, y compris la convocation par le ministre de la Défense pour intimer l’ordre de se rallier, notre leader, le candidat des footballeurs a dit non et s’est porté candidat. Depuis lors un autre niveau de violence s’abat sur nos partisans et sympathisants. »

Depuis, un autre collaborateur de Guissou, Hassane Yanogo, a également été arrêté. Les élections, elles, sont toujours prévues le 31 août pour sacrer « l’envoyé par qui vous savez », le surnom très implicite du colonel-major à la retraite, Oumarou Sawadogo.

* Depuis ces évévements, David Yaméogo (coordinateur) et Jean-Paul Moné (soutien) ont été remis en liberté provisoire, en attendant leur jugement.

Romain MOLINA

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