fbpx
, ,

Kévin Nicaise : « On a posé les bases de l’avenir de la sélection tchadienne »

Sélectionneur du Tchad depuis plus d’un an, l’ancien international Kévin Nicaise (39 ans) s’est confié à Sport News Africa sur le projet qu’il a mis en place chez l’une des plus petites nations africaines au classement (176e, soit la 48e place sur les 54 pays membres de la CAF). L’occasion aussi de revenir sur la dernière campagne éliminatoire à la CAN et d’évoquer un futur incertain chez les Sao.

Kévin Nicaise, sélectionneur du Tchad.

Entre les forfaits, suspensions de la FIFA et éliminations précoces, le Tchad n’avait réussi qu’une seule fois à se qualifier pour le tour principal des éliminatoires pour la CAN depuis une décennie. La pression devait être grande pour ce barrage que vous aviez disputé contre Maurice en mars dernier, surtout après la victoire lors du match aller (1-0).

Kévin Nicaise : C’était notre premier succès depuis cinq ans, pour que les gens comprennent bien d’où on partait. Depuis 1963, on a dû gagner une dizaine de matchs officiels seulement. J’étais donc conscient de l’enjeu et aussi de la dangerosité de jouer à Maurice. C’est un petit terrain synthétique, ils ont leur public, la pression…


A la mi-temps, on perdait 1-0 et je n’étais vraiment pas content de notre performance, j’ai passé un savon à mes joueurs. Je les ai bien secoués même car on n’y était pas. Maurice a de la qualité et certains types de joueurs que nous n’avons pas. C’est pourquoi, depuis le début de l’aventure, j’avais axé notre projet sur un vrai collectif, un groupe qui vit bien ensemble, qui fait les efforts les uns pour les autres. C’est ce qui nous a permis de passer au-dessus physiquement durant les trente dernières minutes et de nous imposer 2-1 au final.

Cette qualification a généré un enthousiasme assez incroyable à N’Djamena...

Kévin Nicaise : Ah oui, c’était une euphorie un peu démesurée même car c’était simplement un tour préliminaire. Je crois que beaucoup de gens ont cru qu’on s’était qualifié à la CAN (rires). Bien sûr, on était super content et fier car enchaîner deux victoires de suite alors qu’on n’avait pas gagné un match depuis cinq ans… J’étais cependant conscient que cela s’était joué à très peu de choses, et qu’il ne fallait pas s’enflammer. Dans mon esprit, cette qualification était une base en plus sur le projet qu’on construit pour l’avenir de la sélection.

Lire aussi : Tchad : Nicaise continue sa mission

Depuis le 30 novembre 2023, le Tchad n’a officiellement personne pour diriger sa fédération puisque le bail du comité de normalisation n’a pas été prolongé par la FIFA et les élections n’ont pas eu lieu. C’est une situation unique au monde qui doit forcément avoir des répercussions sur la sélection et vous.

Kévin Nicaise : Oui, c’est particulier. On fait avec les moyens du bord. Mon contrat, par exemple. Après la qualification, j’avais proposé qu’on discute d’un vrai contrat à moyen et long terme. Au final, j’ai signé pour deux mois, puis trois mois, et quatre mois. Disons que je ne pourrais pas continuer ainsi sans être fixé pour un engagement au moins sur du moyen terme.

« J'ai contacté des joueurs via les réseaux sociaux »

Sans bureau fédéral, comment avez-vous travaillé, notamment pour la prospection des nouveaux joueurs ayant fêté leur première sélection avec vous ces derniers mois ?

Kévin Nicaise : Ce fut un travail de tous les jours et toutes les nuits (rires). J’étais derrière mon pc avec mon téléphone sans avoir le luxe de me déplacer pour voir les joueurs de visu. J’ai fait un gros travail de recherche même si ça fonctionne aussi beaucoup au bouche à oreille et avec les réseaux sociaux. Par exemple, j’ai reçu un message sur Instagram de mémoire avec toute une série de joueurs d’origine tchadienne. C’était une vieille liste Transfermarket avec certains qui étaient désormais retraités, qui avaient arrêté, etc. J’ai trié, puis j’ai essayé d’en contacter certains par les réseaux sociaux en demandant leur numéro pour les appeler. Ils m’ont ensuite envoyé des vidéos, j’essayais de trouver leurs matchs sur Wyscout, puis arrivait la question : dois-je l’appeler en sélection ?

Pour certains, c’était des coups de poker car on avait très peu d’informations, c’était un point d’interrogation. Si on prend Mahamat Thiam qui évolue en Géorgie. Il n’était pas renseigné comme tchadien, mais avec le bouche à oreille, je l’ai contacté par les réseaux sociaux, etc. C’est une très bonne trouvaille, il a d’ailleurs marqué contre la Sierra Leone.

J’ai également le DTN, Oumar Yaya Mahamat, qui m’a envoyé des profils comme William Damba, un bon petit joueur qui évolue en première division au Burkina Faso. Sans le DTN, jamais je n’aurais pu le connaître et on l’a également appelé. Enfin, j’ai aussi reçu des demandes spontanées de joueurs tchadiens qui m’envoyaient leurs vidéos.

« Kevin N'Doram ? Plus de son, plus d’image, je suis déçu »

Est-ce que le travail de persuasion a été compliqué pour les convaincre de venir jouer pour les Sao ?

Kévin Nicaise : Honnêtement, ça n’a pas été trop difficile pour ce type de joueurs un peu méconnu. On parle d’une équipe nationale, de jouer contre de grandes nations, de voyager, ça reste quelque chose d’exceptionnel. Pour cette catégorie de joueurs, il n’y avait aucun souci car ils voulaient défendre les couleurs de leur pays. Par contre, pour la catégorie plus connue dira-t-on, j’ai rencontré des difficultés. C’est peut-être un de mes regrets même si je n’y suis pas pour grand-chose.

Il y a notamment le cas de Kevin N’Doram qui devait rejoindre la sélection ces derniers mois.

Kévin Nicaise : J’ai été le voir personnellement à Metz, ainsi que sa famille avec qui le courant passait très bien : « Vous êtes le premier coach à vous déplacer pour lui, à faire toutes les démarches, nous sommes honorés. » En juin, il n’a pas pu nous rejoindre car il disputait les barrages avec son club contre Saint-Étienne, ce que je comprends. Pour le rassemblement de septembre, il venait de signer en Arabie saoudite et m’a dit : « Coach, je n’ai pas fait de préparation, c’est un peu juste. » Lors du rassemblement d’octobre, il venait de commencer le championnat, il jouait et ne préférait pas venir pour faire une autre préparation durant cette trêve. Enfin, en novembre, silence radio. Plus de son, plus d’image. Je suis déçu car ça aurait pu être un vrai plus pour l’équipe.

Il y avait aussi Loum Tchaouna de la Lazio, mais je n’ai pas trop insisté car il évolue en équipe de France espoir, c’est compliqué. J’ai également parlé avec Jean-David Beauguel, un attaquant gaucher de 32 ans avec de la bouteille. Il a joué en République Tchèque des années, il est désormais en Chine, mais a eu l’honnêteté de me dire qu’il privilégiait sa carrière en club plutôt que la sélection à son âge. Disons que ces joueurs, d’un calibre supérieur, auraient pu donner une autre dimension à l’équipe.

« Les joueurs disent : "Coach, on vient jouer pour le pays, mais on se fait insulter !" »

Selon nos informations, il y a également eu parfois des soucis administratifs ou imprévus vis-à-vis de certains binationaux ou Tchadiens évoluant à l’étranger.

Kévin Nicaise : Oui, car pour faire les passeports, il faut absolument aller à N’Djamena, on ne peut pas passer simplement par une ambassade. Le système est assez rude dira-t-on, même pour les joueurs avec un passeport tchadien expiré. Certains étaient venus en présélection, ils s’entraînaient le matin, puis passaient l’après-midi au poste de police. Souvent, il manquait un truc, ils revenaient, repartaient. Puis, les footballeurs ne sont pas toujours bien perçus au Tchad. Certains sont déjà venus me voir en disant : « Coach, on vient jouer pour le pays, mais on se fait insulter ! » Ils devaient aussi payer, mais certains ne pouvaient pas, donc j’ai payé de ma poche parfois pour leurs papiers.

Des échos du vestiaire, on a l’impression qu’une véritable aventure humaine s’est dessinée avec ce groupe malgré les obstacles sur le parcours et cette dure phase éliminatoire de la CAN avec un groupe compliqué (Côte d’Ivoire, Zambie et Sierra Leone).

Kévin Nicaise : J’ai misé sur l’état d’esprit depuis le début avec des joueurs réceptifs. On a un peu bousculé les mentalités tchadiennes avec notre méthode de travail, notamment d’un point de vue physique, mais ça valait la peine ; même si je ne me suis pas fait que des amis (rires). Par exemple, lors du mois de ramadan, on était à N’Djamena avec les locaux. Je leur ai posé la question : « Comment faites-vous puisque le terrain n’est pas éclairé ? » Ils m’ont répondu : « Pas de souci coach, on s’entraîne à 16h/16h30. » A cette heure, il fait presque 40 degrés, c’est impossible de jeûner dans de telles conditions, mais ici, c’est normal. Les joueurs sont habitués à le faire sauf qu’au bout de trois jours, c’est fini, ton corps ne peut pas.

Dans le groupe, il y avait une moitié environ de jeûneurs. J’ai donc composé et on faisait une séance parfois à 7 heures du matin pour les non-jeûneurs et le soir, pour les autres, sur un terrain de five éclairé. On a cassé les codes. J’ai réajusté les méthodes d’entraînement, le dosage, la période de récupération qui n’est pas toujours optimale au Tchad. Athlétiquement, il y a une vraie différence avec d’autres pays. J’ai été particulièrement marqué face à la Gambie en 2022. Lorsque j’ai regardé les Gambiens monter sur le terrain… Ce sont tous des athlètes de haut niveau, on peut voir la différence sur les photos des deux équipes. Dans le recrutement, il y a eu cette approche de se rapprocher du niveau international en cherchant des joueurs un peu plus athlétiques et costauds, notamment pour une meilleure assise défensive.

Je savais que nous ne pouvions pas passer sur la seule qualité individuelle, donc on a axé une dynamique par le collectif en posant des bases défensives, puis en tentant de développer ensuite notre football. J’aime le beau jeu, mais je suis réaliste. Au fil des matchs, on a cependant progressé, on a fait un grand pas en avant dans la conservation du ballon, dans la gestion de la balle même s’il reste des progrès. Au milieu, on a des bons joueurs qui savent faire tourner. Jusqu’aux 30 mètres du but adverse, on est assez bon. Ensuite, on n’a pas forcément les joueurs pour partir en un-contre-un ou prendre la profondeur. On a donc été décrié offensivement car on a mis qu’un but en six matchs, je le comprends, mais c’est aussi notre marge de progression.

Au final, le Tchad termine de son groupe mais avec trois points (trois nuls) et une seule vraie claque, un 4-0 contre la Côte d’Ivoire lors de la dernière journée. Dans le monde du football africain, personne ou presque ne misait sur le fait que les Sao puissent prendre ne serait-ce qu’un point avec un effectif composé en énorme majorité de locaux, de quelques joueurs évoluant dans les championnats voisins et des expatriés jouant dans des ligues de seconde zone (Géorgie, D2 marocaine, etc.). Quel bilan tirez-vous ?

« Je ne peux plus signer des contrats de deux ou trois mois »

Kévin Nicaise : Il n’y a pas la qualification, mais on ne va pas se mentir, elle était assez utopique ; toutes les étoiles devaient s’aligner pour y parvenir. Personnellement, j’en tire un bilan vraiment satisfaisant car on a embêté fortement des équipes comme la Zambie ou la Sierra Leone. Ce ne sont peut-être pas les plus grands noms d’Afrique, mais ils ont des joueurs de Championship (D2 anglaise) ou de championnats majeurs. Pouvoir rivaliser avec eux sur les quatre matchs, c’est ma satisfaction avec notamment ce 0-0 en Zambie.

Contre la Côte d’Ivoire, on n’a pas été ridicule lors de la première rencontre (2-0), mais le retour me reste en travers de la gorge avec ce 4-0. On était pas réellement dans de bonnes conditions, surtout les 48 heures avant le match, mais quand même. Cela dit, on a pu montrer un autre visage du football tchadien en peu de temps sans réellement pouvoir s’entraîner tous ensemble ou disputer un seul match amical. Vu les circonstances et la jeunesse du groupe, je suis satisfait.

La fin des éliminatoires a aussi été marquée par la retraite internationale du capitaine, Marius Mouandimadji qui a ensuite été très critique vis-à-vis de l’organisation et du ministère des sports. Avez-vous été surpris par sa retraite ou en aviez-vous parlé avec lui avant ?

Kévin Nicaise : Pour être honnête, il m’en avait parlé depuis un moment. Il voyait les changements en équipe nationale depuis mon arrivée, il attendait un dénouement positif avec une qualification, mais le mode de fonctionnement du football tchadien ne lui convenait pas.

Pourquoi aviez-vous décidé de lui confier le brassard de capitaine ?

Kévin Nicaise : Suite à la non-sélection de Casimir Ninga, j’ai nommé Marius capitaine car il a une réelle aura au sein du groupe. Au début, j’avais un peu de mal à le cerner car il faut le connaître et percer sa carapace. On découvre alors un garçon entier, à fond avec ses coéquipiers pour faire reconnaître et valoir leurs droits. Ce sont des valeurs importantes, surtout qu’il a cette aura auprès des joueurs locaux et aussi des expatriés.

Au sein du groupe, il a toujours eu un comportement exemplaire et il était un vrai porte-parole. Au Tchad, les joueurs ne sont pas éduqués à avoir une personnalité et oser parler ; tout en étant respectueux évidemment. Parfois, c’est « joue et tais-toi » avec un coach vu comme un être suprême à qui on ne peut rien dire. Marius n’est pas comme ça.

Sportivement, en tant qu’entraîneur, j’ai forcément un petit regret de ne pas avoir pu exploiter davantage ses qualités. C’est un attaquant un peu à l’ancienne, capable de garder la balle dos au jeu et qui utilise son plein potentiel dans les seize mètres. On jouait en 3-4-3 avec des pistons pour l’abreuver en centres, mais on a encore du travail dans cet aspect. Au final, Marius n’a pas pu donner sa pleine mesure à cause de notre jeu. Il a parfois un peu forcé les choses balles au pied, mais il ne s’est jamais caché. Il a pris ses responsabilités et a eu un investissement exemplaire. Il courait, défendait, revenait, motivait ses partenaires. Un vrai capitaine.

Quant à vous, vous êtes en fin de contrat. Existe-t-il des pourparlers pour poursuivre l’aventure ?

Kévin Nicaise : J’attends de faire le bilan avec les autorités pour voir ce qui sera décidé. Honnêtement, le bilan est vraiment positif car on a posé les bases de l’avenir de la sélection tchadienne et on doit pouvoir s’appuyer là-dessus. Il faut que les choses suivent désormais avec un vrai projet à moyen-terme pour continuer à bâtir. Ce qui est certain, c’est que j’aurais mes conditions. Je ne peux plus signer des contrats de deux ou trois mois, mais m’engager sur la durée pour poursuivre notre développement.

Romain MOLINA

SNA vous en dit plus !

Pas de recommandation
SPORTNEWSAFRICA,
LA RÉFÉRENCE DU SPORT EN AFRIQUE
TOUS LES SPORTS
SUIVEZ-NOUS SUR :
linkedin facebook pinterest youtube rss twitter instagram facebook-blank rss-blank linkedin-blank pinterest youtube twitter instagram