Représentant national du réseau international des Jeunes Leaders francophones en France de 2017 à 2019, Vincent Lawé est avant tout un passionné de football. L'homme qui aspire à devenir agent de joueurs vient de publier un livre intitulé « Viser la lucarne ». Un ouvrage centré sur le football au Tchad, dont il est originaire, et qui met en lumières les nombreux maux du ballon rond dans le pays. Sport News Africa l'a rencontré afin de dresser un état des lieu du football tchadien.
Votre ouvrage aborde la question du renouvellement au sein des instances du football au Tchad et notamment à la Fédération. Comment expliquez-vous cet immobilisme avec des membres présents depuis une trentaine d'années ?
« Viser la lucarne » est un essai critique qui ne parle pas seulement du renouvellement générationnel au sein des instances dirigeantes du football au Tchad. En plus de ce problème réel, il y est évoqué le manque criard de professionnalisme des responsables en charge du football tchadien, le manque d’infrastructures, le non accompagnement des anciens joueurs pour leur reconversion, le fait que le politique n’a aucun projet allant dans le sens d’encadrement des institutions dédiées pour le sport en général au Tchad.
C’est très malheureux de le dire, mais le Tchad fait partie des Etats dans lesquels il est très rare que les gouvernants fassent confiance aux jeunes. Il y a beaucoup d’exemples qui me donneraient raison… Quand ils donnent une responsabilité à un jeune, cela étonne beaucoup. L’on a fini par se rendre compte que les jeunes sont carrément considérés comme des bébés auxquels il est dangereux d’associer à une quelconque gestion. Du coup, les caciques de la FTFA ne se voient pas bouger.
Comme un symbole, le mot qui revient ces derniers mois au Tchad, c'est « comité ». Entre celui de normalisation et celui de gestion provisoire, en matière de football, on a l'impression que le football tchadien est surtout victime de ses problèmes institutionnels.
Le football souffre terriblement sur tous les points. Le pire, c’est que ses tares viennent même des personnes qui sont censées le sortir de ce pétrin. Ce sont même les dirigeants qui le maintiennent depuis des années dans cette situation. Ils ne se remettent jamais en question. Sinon, comment comprendre que la situation du ballon rond au Tchad ne change pas mais aucun dirigeant n’ose demander publiquement les états généraux afin de faire avancer les choses ? Que font-ils réellement au Ministère des Sports, à la Fédération et dans les Ligues ? Se posent-ils vraiment les questions quant à l’état actuel du football tchadien et de son développement ?
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Oui, le football tchadien en est victime par la faute des personnes qui sont censées le faire vivre, le développer et aider ses acteurs à se donner sportivement pour que le Tchad brille partout. Et avec comme finalité les acteurs qui souffrent sur le terrain. Les clubs peinent à exister sur la scène continentale et la sélection a énormément régressé sur les dernières années. Voir les Sao devoir passer par un tour préliminaire pour les éliminatoires de la CAN, n'est-ce pas là la goutte de trop ? Je suis conscient des réactions que mes propos pourraient soulever, mais la réalité est que le Tchad est presque inexistant vis-à-vis même des pays de la zone Afrique centrale. Nous sommes en 2022 et il n’y a toujours aucune trace d’une qualification à la CAN. Nous sommes déjà hors-course pour l’édition qui sera organisée en 2023 en Côte d’Ivoire. C’est dire ! Le football tchadien mérite d’être à un certain niveau. On a des talents, mais le manque de professionnalisme des dirigeants et l’absence de projets concrets de leur part font que les clubs et les équipes nationales ne font pas le poids face aux autres.
Au niveau des infrastructures sportives, le pays a fait un sérieux pas en arrière et d'ailleurs aucun stade n'est à présent homologué par la CAF. Comment en est-on arrivé là ?
Le Tchad est un pays vaste dans lequel on pourrait avoir beaucoup d’infrastructures proportionnelles au nombre de personnes pratiquant le football. On ne devrait pas être là à parler du manque de stades homologués par la CAF. Normalement, le Tchad a les moyens de disposer de plus d’un stade, même si rien ne marche sur le plan sportif. C’est la moindre des choses. Mais on en est encore là parce qu’il s’agit d’une situation qui aiderait les caciques qui sont en place. Sans manquer de respect à quelqu’un, ni vouloir nuire à l’image de mon pays, j’ai envie de dire que c’est vraiment honteux qu’un Etat pétrolier comme le Tchad ne puisse avoir un seul stade digne de ce nom.
Des chantiers de construction de stades ont été lancés dans beaucoup de villes mais ces projets se limitaient seulement à la pause de la première pierre et quelques photos afin de duper le peuple assoiffé de voir le football tchadien décoller. La corruption, les détournements des fonds alloués pour ces projets sont passés par là et le Tchad se retrouve aujourd’hui sans aucun stade homologué. Un double échec car notre sélection ne peut pas bénéficier de l'appui de son public et le Tchad perd gros sur les recettes générées lors des matchs.
Des anciens internationaux comme Japhet N'Doram ont tenté de faire bouger les choses à leur niveau. Mais est-ce vraiment possible sans un réel appui étatique et notamment du ministère des Sports ?
Le football des clubs ne fonctionne pas de la même manière que celui des équipes nationales. Quand il s’agit d’équipes nationales, il est normal que les Etats apportent leurs aides. Comme le disait en janvier 2022 Samuel Eto'o : « Nos fédérations sont très pauvres. Elles s’appuient donc sur nos Etats. Mais la priorité de nos Etats n’est pas le football. » Ceci est valable pour beaucoup de pays africains, mais encore plus pour le Tchad. Il n’y a pas vraiment de politique orientée vers le football. Japhet N’Doram avait manifesté sa volonté d’aider le football tchadien et il est d’ailleurs actuellement à la tête du comité de gestion provisoire, mais il s’était rendu compte que l’état actuel du ballon rond dans le pays est le résultat d'une situation voulue par certains.
Avec votre livre également, le but est d'alerter sur cette situation. Quelles sont, selon vous, les priorités auxquelles il faudrait s'attaquer ?
Un travail de fond doit et est en train d’être fait. Face au désordre qui sévissait au sein de la Fédération et, pire encore, après les querelles nées de l’implication du Ministère des Sports, la FIFA s’est impliquée complètement dans la restructuration de la Fédération après avoir infligée une lourde sanction au Tchad. Nous attendons tous le résultat de cette réorganisation, qui pourrait éventuellement permettre de renouveler les cadres et relancer le football tchadien. Mon livre est fait dans le seul but d’oser briser l’omerta, d’amener à poser publiquement la question sur l’avancée réelle de notre football. « Viser la lucarne » ne pourrait être un livre par lequel le changement proviendrait du jour au lendemain. Le football tchadien a besoin d’un travail en amont et la question des infrastructures ne saurait être écartée. Il faut que les jeunes soient associés à la gestion du football au Tchad. Et qu’il y ait une politique bien définie pour qu’on puisse parler de décollage.
Malgré tout, êtes-vous optimiste pour un renouveau du football tchadien à moyen terme ?
Le fait d’avoir osé ce livre montre déjà que j’ai l’espoir de voir le football tchadien rayonner. Le découragement est là, mais je continue de croire que nous y arriverons. Le changement finira par arriver mais à long terme, il ne faut se mentir. On ne peut parler de renouveau car le football tchadien n’a pas vraiment eu assez de succès. Il y a certes quelques grosses performances dont la victoire des Sao à la Coupe de la CEMAC en 2014 et l’épopée du club de l'AS Coton-Tchad en Coupe d’Afrique des clubs dans les années 70, mais le peuple attend vraiment le changement. Les amateurs du ballon rond au Tchad en ont marre de cette situation et feront tout pour que cela change.